La salle d’attente est pleine, bruyante. La médecin prend sans rendez-vous, nous sommes mercredi matin. Il y a des enfants malades partout, et j’essaie de me faire la plus petite possible sur ma chaise.
Cela fait deux jours que je rate mon train pour aller à Lyon. En soi, ça arrive, ce n’est pas la fin. Mais cela fait un mois que je ne me réveille plus, que je dois parfois appeler le boulot en catastrophe, que j’annule des rendez-vous parce que je n’arrive pas à me lever, pas à sortir…
Et ça, c’est beaucoup plus ennuyeux.
La médecin me reçoit enfin, après deux heures d’attente. Elle est douce, à l’écoute, et alors que j’essaie d’expliquer mes antécédents, les hospitalisations, le combat, et que ça allait mieux, que j’avais arrêté les médicaments, mais que maintenant je ne me réveille plus, que je n’en peux plus, je me sens m’effondrer.
La médecin me tend un mouchoir, m’arrête pour une semaine, me prescrit des nouveaux antidépresseurs, me réconforte.
« Gardez courage ».
En sortant, je salue ma chance d’avoir une telle médecin en bas de chez moi.
Je passe la semaine à dormir, et la semaine suivante, elle m’arrête à nouveau.
*
C’est le week-end de Pâques et c’est une fête importante pour ma famille. La famille qui vit à cinq heures de route d’où j’habite. Les transports me tétanisent. Devoir affronter le métro, puis le train, puis le bus…
L’idée de décevoir ma famille me tétanise encore plus. Je cède. Métro, train, bus ce sera.
Je dissocie. Je me regarde valider mes titres de transport les uns après les autres, dire bonjour au contrôleur, remercier le chauffeur. Du haut de mon poste d’observation privilégié, je regarde mon corps trembler et puis s’affaisser, comme pour faire oublier qu’il est là, qu’il existe. Ma tête est loin, ailleurs, dans un délicieux coton où le bruit ne m’atteint pas.
Je retrouve ma famille et je tiens, vingt-quatre heures, le rythme des conversations bruyantes à table. Tant qu’on ne me demande pas comment ça va, tout va bien. J’arrive à accrocher les sujets des autres, j’arrive à afficher un sourire, j’arrive à donner le change.
Jusqu’au dernier matin, le jour du départ. J’appréhende le trajet. Six heures de route, avec un inconnu au volant. Avec les grèves, pas d’autre solution que le covoiturage. Je suis sur les nerfs.
Alors quand on me demande, cette fois-ci, je n’arrive pas à dire que ça va. Je me sens m’émietter, sombrer, et avant que je le sache, je pleure à gros sanglots dans les bras de cette personne que je n’ai pas serrée dans mes bras depuis au moins quinze ans… Je pleure, et je pleure, et je m’en veux de pleurer parce que je la vois pleurer aussi, et je n’arrive pas à m’arrêter, et je serre les dents, et je me vois, de haut, me redresser, présenter mes excuses, ne plus savoir quoi faire.
Je la remercie. Et puis « ça va aller ».
Ça va toujours aller, dans ce genre de cas. On ne dit pas aux gens que c’est peut-être la dernière fois qu’on les voit, parce qu’on ne sait pas comment on se lèvera le lendemain.
*
Chaque semaine, la médecin m’arrête une semaine de plus. Alors que j’ai tenté de contacter le travail pour leur parler, continuer à les aider dans une situation plutôt critique, je sens que tout me glisse entre les doigts. Je n’y arrive plus.
Je me saborde sous les yeux de mes colocataires.
« Il faut que tu donnes des nouvelles. Les gens m’en demandent. Souvent. »
Je sais.
« Maman aimerait bien que tu répondes à ton téléphone. »
Je sais. Je sais.
« Objection ! »
Les seules personnes qui ont des nouvelles sont ceux qui habitent avec moi et les personnages de mon jeu. En février, j’ai recommencé Ace Attorney. Je n’avais fait que le premier jeu, il y a presque dix ans de ça. Les heures de jeu filent à toute allure –elles ont le mérite de ne pas me prendre trop d’énergie, et elles m’ancrent.
« Il faudrait vraiment que tu rappelles A., elle s’inquiète… »
Mon téléphone est abandonné dans la chambre, noyé, en silencieux, j’essaie de ne plus le regarder, il m’angoisse trop. Je ne m’approche plus de l’ordinateur –maintenant que nous hébergeons mon frère, je n’ai plus de bureau ni de coin où m’installer vraiment. Je reste, assise sur le canapé, à creuser mon trou, à jouer. Ma DS est le seul équipement électronique dont j’ose m’approcher. Les personnages dans les jeux deviennent mes amis proches, des connaissances dont je sais tout, des tropes faciles à cerner. Des gens qui ne me demandent pas comment je vais, des gens qui ont leurs propres problèmes qui ont l’air à des kilomètres des miens, et que j’aide à résoudre de manière bien plus simple que les miens.
Je joue compulsivement, un jeu après l’autre, à toute allure, parce que c’est tout ce que j’arrive à faire. Au moins, j’arrive à faire ça, c’est un pas en avant, non ?
*
« Les médicaments ne fonctionnent pas. »
La phrase tombe, comme une sentence, mais sans vraiment de surprise. Après un mois allongée, à avoir réussi à me forcer pour deux grands trajets, à essayer de conserver mes interactions sociales, je suis vidée. Nous sommes mi-avril, je n’ose plus regarder mon téléphone depuis une dizaine de jours, cela fait aussi longtemps que je ne suis pas sortie.
La médecin me regarde, me jauge, évalue l’affaissement de mes épaules, la rougeur de mes yeux, le gras de mes cheveux -depuis combien de temps ne me suis-je pas douchée, je ne me douche plus, je n’y arrive plus, pourquoi me doucherais-je de toute façon ?
« Je vais vous envoyer chez un spécialiste. »
Devant moi, elle prend le téléphone. Elle fait le numéro. Et devant moi, elle prend rendez-vous, pour moi, avec un psychiatre en qui elle a confiance, pour la semaine suivante, au fin fond du XVIe arrondissement.
« Allez-y. C’est quelqu’un de bien. Il saura quoi faire. »
La semaine suivante, mon colocataire m’accompagne dans le métro, me tient l’épaule pour m’ancrer dans la réalité, et me voilà dans une salle d’attente plus grande que mon salon, avec deux cheminées, des canapés bien trop moelleux, et Fip en fond sonore.
Il est à l’heure. Il est aimable. Il m’écoute pendant vingt minutes, puis résume. Fluoxétine, duloxétine, paroxétine, prazépam, quatre molécules et pas une seule n’a fonctionné sur le long.
« On va tenter quelque chose de différent. »
Il prend le temps, m’explique, puis fait un e-mail à ma médecin en me mettant en copie.
En rentrant chez moi, je google « IMAO ».
Oh.
Je suppose que ça veut dire que je ne vais encore pas boire d’alcool pendant quelques années.
*
Le CMP est en bas de chez moi –littéralement à deux numéros de la porte de mon immeuble. En rentrant de chez la médecin, alors que je passais devant, je suis entrée impulsivement pour exposer mon cas. On m’a donné un rendez-vous infirmier la semaine suivante, où j’ai une fois de plus tout déballé.
Puis j’ai oublié.
Il faudra attendre un mois pour avoir un coup de fil.
« Vous avez déjà un suivi médical et psychiatrique dans le cadre de votre ALD, on ne peut pas vous prendre en charge. Et puis nous avons des cas beaucoup plus sérieux à faire passer en priorité. »
C’est vrai que mon cas est simple, il y a des gens dans des situations bien pires que la mienne. Je devrais être soulagée.
Je pleure quand même.
*
Les posters respirent. De mon point d’observation privilégié, allongée sur le canapé, je les regarde, incrédule. Ce n’est pas possible, c’est que je bouge, c’est ça ? J’arrête de respirer, je m’assure de ne plus bouger, mais non, ils continuent. Un effet du vent peut-être ? Mais la fenêtre est fermée.
J’élimine les possibilités les unes après les autres mais finalement, le doute n’est pas permis : les posters sur mes murs respirent. Je vois leur corps de papier se gonfler, se dégonfler, à rythme régulier, même si je ne respire pas de la même manière.
Je détourne le regard. J’essaie de les prendre par surprise. Hop !
Mais ils continuent. Se gonflent, se dégonflent.
Bientôt, ce sont les murs entiers qui se mettent à respirer.
*
« Pourquoi je vis, pourquoi je meurs ? »
Mon subconscient a le chic pour me mettre dans la tête des chansons que je n’ai pas entendues depuis des lustres.
Les nuits sont longues, depuis les IMAO. Les médicaments ont le mérite de me tenir éveillée.
Ce n’est pas la première nuit que je passe assise sur le lit, à regarder par la fenêtre les quelques étoiles qui parviennent à percer la pollution lumineuse de la région parisienne.
Ces moments sont les pires et les meilleurs. Alors que tournent en boucle dans ma tête les paroles du SOS du Terrien en détresse, je me sens sereine comme jamais. Le silence de la nuit est comme une validation de ce que je ressens. La chaleur lourde du mois d’avril (comment peut-il faire aussi chaud en avril ?) me soulage du poids que j’ai en moi.
Rien n’a de sens. Je pourrais disparaître du jour au lendemain, et ce serait tout. Une telle libération…
La douce torpeur qui m’enveloppe n’a rien de celle de l’endormissement. De temps en temps, je pleure un peu, avec cette certitude qui s’ancre en moi.
Je vais mourir.
Je ne sais pas quand, mais bientôt.
*
J’ai perdu le compte des semaines. Elle signe à nouveau l’arrêt. Je ne retournerai pas au travail, pas cette fois encore.
« C’est long. Ça prend du temps. Gardez courage. »
Je lui serre la main, comme d’habitude. A la semaine prochaine.
*
On est le premier mai deux mille dix-huit. Demain, nous serons le deux mai deux mille dix-huit. Une date qui n’a aucune importance pour personne, un jour comme un autre, alors pourquoi ça me secoue autant ?
Demain, cela fera vingt ans qu’hide est mort.
Vingt ans.
Vingt. Ans.
Je n’ai jamais connu hide. Il est mort quand j’avais huit ans, dans un pays dont j’avais seulement vaguement la notion de l’existence à l’époque.
Je n’ai jamais rencontré hide. Je ne l’ai jamais vu sur scène. Je ne lui ai jamais serré la main.
hide n’est rien pour moi. Juste une star morte sept ans avant que je prenne conscience de son existence. Rien de plus qu’un ami imaginaire, quelqu’un que j’ai pleuré année après année, quelqu’un dont j’ai une image figée. Quelqu’un à qui je me suis confiée quand je n’arrivais plus à me confier à personne. Quelqu’un qui m’a fait me lever les matins, juste avec un solo de guitare –je déteste la guitare –oui mais c’était hide. La seule personne dont je parvienne à identifier les solos de guitare au monde.
hide n’est rien pour moi. La dernière fois que j’ai commémoré sa mort avec des amies, j’avais seize ans. Je vais en avoir vingt-huit.
Vingt-huit.
Cela fait douze ans que je n’ai pas réellement grandi sur le sujet. Impression de ne pas avoir avancé d’un iota.
Je déteste le deux mai deux mille dix-huit parce que ça fera vingt ans que quelqu’un qui était probablement une star pompeuse et déconnectée de la réalité est mort. S’il n’était pas mort il aurait eu cinquante-quatre ans. Il serait devenu un vieux con imbu de lui-même. Il n’aurait plus rien eu à voir avec la star qui déambulait sur scène.
Oui mais c’était hide. hide qui avait seulement trente-quatre ans à l’époque, hide qui répondait personnellement aux mails de ses fans, même ceux qui lui disaient simplement « bonjour » ou « bonne nuit », avec des petits mots d’encouragement.
Je n’ai jamais envoyé d’e-mail à hide.
J’ai passé des nuits à lui parler, dans une langue qu’il ne parlait pas, ne comprenait pas, dans des milieux où il ne pouvait pas m’entendre.
Il ne m’a jamais répondu.
Le deux mai deux mille dix-huit, je ne me réveille pas avant dix-huit heures, et je vais me coucher à vingt heures. C’est bien assez d’heures d’éveil pour une journée pareille.
Peut-être que le trois mai, je serai moins hantée par la moi de quinze ans qui a besoin de pleurer toutes les larmes de son corps.
Stupide hide.
*
De temps en temps, je lève les bras et je sursaute. Au bout, là, loin, il y a… des mains. Mais ce ne sont pas mes mains. Ce sont… des mains. Des mains inconnues. Trop longues, trop grandes. A qui sont elles ? Je baisse les bras, elles les suivent.
Plusieurs fois par jour, plusieurs fois par heure, je lève ces mains, les tourne, les inspecte. C’est étrange. J’effleure le canapé, je touche mon épaule, griffe mon bras.
Ce sont mes mains ?
Mais elles changent de forme devant mes yeux. Et les ongles sont si… longs ? Courts ? Puis longs à nouveau ?
Ce sont mes mains ?
Au bout de quelques jours je me rends à l’évidence. Je ne reconnais plus mes mains. Alors, de temps en temps, je les lève vers mon visage, les inspecte.
Je me rappelle qu’il y a une quinzaine d’années, une de mes plus grandes peurs était de me faire couper les mains.
Mais non, elles sont toujours là. Elles continuent à répondre à mes injonctions, même si je ne les reconnais plus.
Cela dure environ trois semaines. Et puis, à force de vérifier, de toucher, de griffer, j’admets.
Je peux tranquillement recommencer à me ronger les ongles, maintenant qu’ils ont arrêté de changer de taille quand je les regarde.
*
« Il y a trois facteurs. La dépression, l’anxiété et le sommeil. Dans votre cas, il semblerait que les IMAO fonctionnent pour le premier facteur. Maintenant, il faut que nous réussissions à stabiliser les deux autres. Pour l’instant, vous n’êtes pas assez stable. C’est normal. C’est difficile. C’est comme pour une personne diabétique : il faut trouver les bons dosages. »
Je lui serre la main.
« Gardez courage. »
En sortant, j’explique à mon colocataire que c’est un peu comme si j’avais un cancer de la pensée. Mes pensées se bouffent elles-mêmes et vont bientôt détruire mon corps si ça continue.
Il sait déjà, mais le fait que j’arrive à mettre des mots dessus le rassure.
*
« Objection ! »
Le jeu se termine sur cette dernière exclamation. Ça y est, j’ai fini Ace Attorney. Les six jeux, les deux spin-off, « Investigations » et le crossover « Professeur Layton vs. Ace Attorney ». J’ai poncé la franchise, comme on dit. Testé tous les objets, sauvegardé et testé toutes les possibilités de réponses, observé minutieusement chaque environnement.
Je connais les personnages et l’histoire par cœur. J’ai appris les dates, comme si elles avaient la moindre importance. J’ai appris certaines répliques parce qu’elles m’avaient marquée.
Il y a quelques semaines, j’ai juré par tous les diables à mon colocataire que non, jamais, je n’entrerais pas dans un nouveau fandom, j’en avais déjà assez, et que si je le faisais, ce ne serait certainement pas Ace Attorney.
Mais quand même, il faut que je vérifie… comment coïncident deux affaires, la relation entre certains personnages…
Je reprends mon téléphone pour la première fois depuis des lustres. J’accède à Internet. Je fais mes recherches. Je tombe sur Tumblr.
Il n’en faut pas plus.
Ça y est. Après Harry Potter, Gundam Wing, FullMetal Alchemist et X Japan, me voilà dans un nouveau fandom.
Je ne m’investis pas, je ne prends part à aucune conversation. Je ne fais que lire, parcourir, découvrir le canon encore plus en détail, découvrir les headcanons. Je suis simple spectatrice, mais le fandom de Ace Attorney est encourageant en soi. Passionné et tolérant. Clay Terran est en vie, Phoenix ne cesse d’adopter des enfants, et Miles a un « Nghoooh » très caractéristique qui n’a de cesse de me faire sourire.
Peut-être que j’avais besoin de ça ?
Au moins, j’ai à nouveau mon téléphone en main. Même si j’ai désinstallé les principales applications et coupé le réseau pour n’user que le wifi. Même si j’évite avec panache tous mes réseaux, c’est peut-être… Un premier pas vers l’extérieur ?
Mon colocataire se moque de moi, mais je sens que ça lui fait plaisir de me voir à nouveau discuter, et pas de manière cynique ou suicidaire. Même si ce n’est que pour parler d’Ace Attorney.
*
Il est trois heures du matin. Je viens de finir de lire une fanfiction de plus. Celle-ci faisait quatre-vingt mille mots.
Je fais le calcul rapide. Quatre-vingt mille mots en quatre heures. Vingt-mille mots en une heure. Environ trois cents mots anglais par minute. Presque mille mots toutes les trois minutes.
En anglais, il me faut bien une demi-heure pour en écrire autant. Dix fois plus de temps.
J’ai le vertige et du mal à étouffer un rire cynique. Ce calcul n’a aucun sens. Lire et écrire, ce n’est pas pareil.
Pourtant, cela me tient éveillée toute la nuit.
Même en me débattant comme un beau diable, je ne pourrai jamais écrire plus que je lis, parce que je lis trop vite, je n’écris pas assez vite, tout ça n’a aucun sens. Je n’ai aucun sens. Ma vie n’a aucun sens. On ne vit pas pour lire, on ne vit pas pour écrire.
Je suis très sereine dans ma réalisation. Cette nuit encore, je la passe à observer l’étoile que je vois de ma fenêtre, avec des chiffres dans la tête. Tous les mots que je n’écrirai pas.
Je ne peux pas me jeter de la fenêtre. Cette mort serait sale, et surtout, méchante pour qui retrouvera mon corps. Je ne veux pas que ma mort fasse souffrir des innocents.
Je réfléchis. Je suis sereine. Je n’écrirai jamais autant que tout ce que j’ai lu. Et de toute façon, ça n’a aucune importance : je vais mourir.
Quelques jours plus tard, on me prescrit des somnifères.
*
Quand le gamin de l’étage au-dessus est arrivé au bout de son précédent morceau de piano, j’étais satisfaite. Il allait enfin apprendre quelque chose de nouveau.
Quelques jours plus tard, les premières notes de la Lettre à Elise passent notre fenêtre. Enfer.
Tous les soirs, petit à petit, charcutée, la Lettre à Elise résonne. Encore plus les mercredis après-midis et les week-ends.
Mais on ne joue pas du piano à trois heures du matin. Pourtant, la Lettre à Elise résonne malgré tout dans mes oreilles. En permanence. Comme si on la jouait à côté de moi.
« Oh oui, les somnifères peuvent donner quelques hallucinations. »
Super, après les mains et les murs qui respirent, il ne manquait plus que ça. Des nuits peuplées de Lettre à Elise.
Je me sens maudite.
*
Il faut que je me coupe les cheveux. Les pointes fourchent, ils sont devenus moches. J’ai pris la sale manie avec l’angoisse de me passer les mains dans les cheveux en permanence, de tirer les nœuds, d’en faire quand il n’y en a pas, puis de tirer jusqu’à ce qu’ils partent. Des fois, je saisis la racine, et je tourne dans un sens, dans l’autre, et j’entends presque le petit « ploc » du cheveu qui se détache, un son tellement satisfaisant que je continue.
Il y a des cheveux partout par terre. Il faut que je fasse le ménage. Il faut que j’arrête de m’arracher les cheveux. Il faut que je me coupe les cheveux.
Les jours passent. Il y a de plus en plus de cheveux. Je ne fais pas le ménage. Et puis un jour, mon colocataire laisse la paire de ciseaux dans la salle de bain, et puis j’en ai marre, il est grand temps, alors je coupe les pointes. Pas long, juste les pointes, même pas cinq centimètres, juste au-dessus des nœuds. J’égalise un peu pour que la coupe soit propre. Je me passe la main dans les cheveux : tout est lisse, rien n’accroche. Voilà, c’est fait.
Mon colocataire passe l’aspirateur. Il n’y a plus de cheveux par terre. Je n’ai plus de raison d’avoir des nœuds dans les cheveux, de les tirer, de les déplanter un par un…
Même pas une heure après, je recommence à m’arracher les cheveux.
*
« Oh Christ how I hate what I have become
Take me home »
Les chansons continuent de circuler dans ma tête. La Lettre à Elise m’a un peu laissée tranquille, mais mon subconscient a vraiment le chic pour faire tourner les pires paroles au bon moment.
Je me revois l’an passé et je me demande comment j’ai pu, en un an, brûler à ce point mes ailes. Je n’écris plus, je ne dessine plus, je ne veux plus voir des gens, la simple idée de parler à quelqu’un me fait me griffer les bras à m’en arracher la peau. Alors que l’an passé, je recevais des gens chez moi, j’écrivais et dessinais à m’en arracher les tripes pour m’en servir d’encre sur le papier. J’avais un Hivemind aidant, aimant, vers qui je n’ose plus me tourner.
Je suis devenu un fantôme.
Je sais toujours que je vais mourir. Je ne sais toujours pas quand, j’ai toujours cette sensation de proximité, mais le moyen devient plus flou.
Pour oublier, je me noie dans les mots des autres. J’ai 120 onglets de fanfictions ouverts. Plus que je n’en écrirai jamais, mais ça n’a plus d’importance.
*
« Ça va aller ? »
Inspiration. Expiration.
« Ça va aller. »
C’est devenu un mantra. Le médecin l’a dit : maintenant que j’arrive à faire deux ou trois choses par jour, même si c’est juste le repas, le ménage, prendre une douche, il faut que je continue.
« C’est comme le sport, plus on fait, plus on a l’adrénaline pour faire. »
J’objecte : au cours de ma vie j’ai dû essayer au moins vingt sports différents et je n’ai jamais eu cette poussée d’adrénaline.
« Bon, peut-être que le sport n’était pas un bon exemple. »
Ou peut-être que je n’ai juste pas l’adrénaline ? Je dois me forcer, pour tout. Ma seule motivation est mon but, et je ne prends aucun plaisir à faire le chemin. Mon moteur unique ? Ce n’est pas l’espoir, ce n’est pas l’amour. C’est la culpabilité.
« Il faut faire les choses pour vous-même. »
Si je fais ça, je ne ferai plus rien…
Elle me serre la main.
« Gardez courage. »
Mais je sens que, même si c’est mon médecin traitant et qu’elle commence à me connaître, elle arrive à bout des choses qu’elle peut me dire. En sortant, je saute le pas et prends rendez-vous avec un nouvelle psychologue.
Il est grand temps que je recommence à voir quelqu’un.
*
Je déteste prendre des douches, parce que c’est toujours le moment où je réfléchis le plus. Les mots me tournent dans la tête.
Les premières semaines, je prenais une douche toutes les deux semaines. C’était tout sauf bon, mais je m’en moquais, je m’en moque toujours.
Je suis passée à une douche toutes les semaines. Et puis, au début de cette semaine, mon colocataire a passé un deal avec moi : un jour sur deux. Les autres jours, c’est son tour.
Alors je passe plus de temps sous la douche.
Les mots me tournent encore plus dans la tête. Les mots de ces derniers mois. Toujours ce besoin de canaliser, d’archiver, et surtout de faire comprendre.
Ce sont des bribes, des vagues choses dont je me souviens. Ces trois mois sont passés comme un vague rêve dont je m’éveille petit à petit, non sans mal.
Je ne me réveille toujours pas bien les matins. J’ai toujours du mal à m’endormir les soirs. Je me sens plus Serveuse automate que jamais. J’ai juste envie d’être moi, ma vie ne me ressemble pas…
Hier, pour la première fois, je suis sortie, je suis allée à un événement social, après avoir passé mon 21 juin à pleurer de ne pas réussir à sortir pour la fête de la musique.
Aujourd’hui, j’écris.
Et sans relire, j’appuie sur le bouton « Publier. »
Je n’ai même pas vraiment fait exprès. J’étais entrée dans une nouvelle grosse période de dépression et de stress, j’avais l’impression de marcher face au vent, j’étais prête à tripler les doses, et puis je me suis dit « bwarf », j’ai eu la flemme de les prendre ou je les ai oubliés un jour, puis deux, puis trois, puis une semaine, puis… j’ai eu mal à la tête, très, des migraines atroces qui duraient des nuits durant.
Et puis j’ai recommencé à dormir normalement.
Genre, pas vingt heures par nuit. Juste huit ou neuf heures.
Et puis j’ai arrêté de me sentir oppressée H24.
Il est probablement un peu simplet d’établir une corrélation entre mon arrêt des médicaments et le fait que ça aille mieux. Je pense qu’il y a plein de choses qui entrent en compte : ma sortie d’un environnement qui m’était devenu toxique, le retour des beaux jours, des envies d’avenir…
Le week-end dernier, j’ai enfin pu participer à un shooting photo avec Lorelei, que nous avions prévu en novembre dernier mais que mon burnout m’avait forcée à annuler.
Cela fait un mois que, lentement mais sûrement, je peux retourner voir mes amis les Negitachi et chanter avec eux, au lieu de passer mes lundis à dormir. (Enfin ça c’est quand je ne suis pas clouée au lit avec une bonne grippe, évidemment.)
Ces dernières semaines, je tremble moins en allant au boulot.
Tout n’est pas soigné, tout n’est pas près d’être soigné. Je sens que ça prend du temps. Mais je sens les choses revenir petit à petit.
Je m’autorise à être en colère, et je sens cette colère qui me porte, parfois. Et j’ai recommencé à pleurer. Je pleure tout le temps. Rien qu’écrire le mot pleurer me fait pleurer. J’ai l’impression de retrouver mes sentiments.
Je ne suis plus une boule d’anxiété qui n’arrive pas à avancer. Et j’ai du temps… bon, pas assez d’énergie pour le remplir, mais je redécouvre ce que « vivre » veut dire.
J’apprends à me laisser vivre.
Un jour, j’étais chez le psychologue, on venait de finir un protocole d’ICV (c’est curieux, l’ICV. C’est un peu comme de l’hypnose qui fait voyager dans le temps. Et on va parler aux éléments abîmés qu’on trouve sur le chemin temporel, les rassurer, montrer que ça va. Je vous raconterai peut-être un jour plus en détails), on allait passer à de la méditation en pleine conscience (ça aussi, c’est curieux, d’ailleurs). Et puis, dans un instant de flottement où il ne se passait rien, je me suis rendu compte que je respirais.
C’est magique de respirer. C’est un truc dingue. On n’y pense pas, mais c’est le plus beau geste qui soit.
C’est pas beau, ça ? On n’en a même pas conscience, mais on vit. On ne s’arrête pas assez sur ces choses-là.
Bref. Je vis. Je respire.
Le burnout étant ce qu’il est, j’ai quand même besoin d’être active. Je continue à travailler, alors que je ne devrais pas, ma boîte mail ouverte sur le côté, je m’empêche d’être trop réactive, mais voilà. A côté, je cherche du travail, parce que j’ai besoin d’être rassurée, besoin de me dire qu’il va y avoir quelque chose après. Et j’essaie de régler les choses administratives, parce qu’il faut que ça bouge, il faut que je me sorte de ma situation actuelle.
Ce sont les seules choses dans lesquelles j’arrive à mettre de l’énergie. C’est socialement plutôt bien, j’imagine, nul doute que Manu Croncron serait fier de moi, malade mais opérationnelle, prête à faire avancer la start-up nation.
(A la réflexion, oubliez : je fais partie de ces fichus assistés qui profitent indignement de l’argent théorique de la CAF. Et en plus à côté, je suis contractuelle de la fonction publique (pour former des futurs chômeurs créateurs de dette). MA VIE EST LITTÉRALEMENT FINANCÉE PAR VOS IMPÔTS.)
Bon, je suis active professionnellement, je sauve les meubles toujours. Mais d’un point de vue personnel, le reste suit difficilement. J’aurais envie de faire tous les jeux vidéo de ma liste Steam, finir de regarder tous les anime que j’ai en retard, lire tous les livres de ma PAL, dessiner et surtout, écrire, écrire, écrire… Mais je n’y arrive pas. Je n’ai pas l’énergie. Donc je me contente d’être assise et de respirer, et d’attendre, le regard dans le vide.
Attendre quoi ? Je ne sais pas. Attendre qu’enfin l’impulsion revienne.
Inspiration. Expiration
En apprenant à vivre, je commence à renouer avec mon corps. Je tente de me faire à manger. Lentement. Un repas par jour. A vingt huit ans, j’ai découvert ce qu’était « avoir faim ». Si je l’ai déjà su, j’avais oublié. C’est désagréable, cette sensation de tiraillement au ventre, cette faiblesse si on ne mange pas, cette impression de défaillir… Je me demande si je ne préférais pas quand je n’avais pas besoin de manger ? Et en même temps, cette sensation me rassure et m’ancre dans mon corps.
Comme ma grippe actuelle. Ça fait tellement du bien d’être malade physiquement, de manière légitime, de pouvoir me dire « je vais aller voir le médecin et il pourra faire quelque chose pour moi, facilement, rapidement », plutôt que ce tâtonnement permanent qu’est la souffrance psychique. Et ça fait du bien de me dire que mon corps est capable de ressentir des choses, même si ce sont des choses négatives, même si j’ai chaud et froid et chaud et froid et l’impression que je vais vomir mes poumons et que ma gorge a triplé de volume au point de m’empêcher de dormir. Ça va. C’est juste une grippe. Ça ne m’empêche même pas de me lever !
Voilà, il me semblait, visiteurs de l’Erreur, que vous méritiez d’avoir une petite mise à jour de mon état. J’apprends à vivre. Et parce que ça prend du temps, en attendant, je respire. Que du positif, finalement, non ? Qui sait, peut-être que d’ici quelques temps, je me remettrai même à écrire…
Maintenant il ne me reste plus qu’à inspirer un bon coup… et prendre rendez-vous chez le médecin pour lui avouer que j’ai arrêté les médicaments.
Et vu comme j’ai peur de le faire, je crois qu’il me reste encore un bout de route avant la sortie du tunnel. Mais j’avance.
J’ai utilisé cette phrase il n’y a pas si longtemps, pour exprimer ce que je ressentais 80% du temps en public. Je vais bien, je l’affiche sur mon visage, et au creux de ma poitrine, le vide continue à se dessiner, de plus en plus clairement.
Je vous souris mais à l’intérieur c’est une autre histoire. Je ris à vos blagues, et de bon cœur encore, et je ne me force même pas. C’est vrai, elles sont drôles, vos blagues (…des fois). Je suis contente d’être avec vous.
Mais ça ne suffit pas. Il y a toujours les voix, qui remplissent ma tête et tournent là où le vide prend sa place insidieusement.
« Je vais mourir ». Une mise en garde violente contre les petits désagréments de la vie. Tout prend une ampleur disproportionnée, et entendre cette phrase me prévient que là, c’est trop, c’est plus que je ne peux le supporter, qu’il faut que je m’en aille, et vite, encore. La dernière fois que j’ai entendu cette voix, c’est quand je me suis rendu compte que mon manager avait des fibres de pervers narcissique. Culpabilisation, deux poids deux mesures… Quand j’ai fondu en larmes en me disant que j’allais mourir au boulot, j’ai donné ma démission.
Cela fait quelque temps que je n’ai pas entendu cette voix. Ça me rassure, ça doit vouloir dire que j’ai fait les bons choix dans ma vie et que je me mets moins en danger. Ou alors ce sont juste les médicaments qui agissent ? Ce qui me chagrine, c’est que maintenant, une autre voix se fait entendre.
« Je veux mourir ». Une entrave dans mon avancement personnel. Ce n’est plus une mise en garde. C’est malgré tout le signe que là, maintenant, il y a quelque chose qui fait que je trouve que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Avec, à nouveau, cette sempiternelle exagération de mes sentiments qui est si propre à mon état. Non, je ne veux pas mourir, ce n’est pas vrai, mais ma vie vaut si peu qu’elle pourrait disparaître à tout moment. Je l’entends beaucoup trop souvent ces derniers temps, cette phrase. Elle tourne dans ma tête. Peut-être parce que j’ai mis le doigt sur certaines choses.
Il y a peu de livres que je n’ai jamais pu finir de lire. (Même le Silmarillion, je suis allée au bout !)
Mais parmi eux, il y en a un que j’ai retrouvé chez quasiment tous mes psys. Il s’agit de celui de Philippe Labro. « Tomber sept fois, se relever huit ».
J’ai commencé à le lire en 2007, avant tout diagnostic. Chaque phrase résonnait, trop violente, trop honnête. Je ne suis pas allée au-delà des vingt premières pages, et j’avais déjà souligné la moitié des lignes, au crayon à papier, avec mes annotations dans les marges. Car oui, je suis de ces gens sans honte qui défigurent leurs livres à coup de pages cornées et de gribouillages de pensées personnelles.
Un livre, ça vit, vous voyez. Comme son lecteur vit en le lisant.
Et moi en lisant ce livre je vivais un peu trop la même chose que ce qu’il racontait. Alors je n’ai jamais pu aller au bout, je n’ai jamais su comment Philippe Labro s’est relevé une huitième fois. Peut-être qu’un jour je trouverai la force de finir ce livre. Ça me ferait surement du bien.
« Sourire et mourir de l’intérieur »… A l’hôpital, cette phrase a choqué les infirmières. Je suis du genre à dire les choses cash, sans enluminures. Ça m’a coûté de nombreux postes, car je n’entrais pas assez dans le moule à l’entretien. J’ai fait pleurer des psys en disant ce que je ressentais sans fioritures. J’ai mis mal à l’aise beaucoup de gens en exposant ma vision de la mort.
C’était marrant, l’hôpital. Toujours à l’heure aux activités, toujours présente pour un sport que je déteste mais que je fais avec ferveur (« De quoi vous punissez vous ? » »D’exister »), présente même pour la relaxation qui me faisait sentir mal comme jamais ou pour les groupes de confiance en soi qui ne servaient pas à grand chose pour moi.
J’ai encore été la bonne élève, comme à l’école où « on ne s’en faisait pas pour moi ». « Comme vous l’êtes toujours », m’a dit mon médecin traitant. Il faut toujours que je sois parfaite aux yeux du monde. Donnez moi un cadre et je serai la première de la classe. Il faut toujours que je sois souriante et de bonne humeur, c’est plus fort que moi, même quand je fais la gueule, je n’arrive pas à le tenir, je souris. Je souris et je meurs. Je n’existe que pour la satisfaction de l’autre. Mais retirez le cadre, et je suis incapable de le recréer… Il n’y a que cette envie de disparaître. Parce que je ne mérite pas ce cadre.
« Absence d’estime de vous-même », m’a dit mon psychiatre. Et la première psychologue. Et la deuxième psychologue. Et tout le corps infirmier.
Marrant ça, on dirait qu’ils ont tous mis le doigt dessus, alors que moi je ne le sens pas comme ça. Je sentais une extrême confiance en moi. J’avais oublié que confiance et estime ne sont pas forcément la même chose, et qu’on a besoin des deux…
Avec une seule aile, on ne peut que voler en rond… ou ne pas décoller du tout.
J’aime être avec vous, vous n’avez pas à vous sentir coupable de mon état de mort interne. Des fois, si j’ai le regard dans le vide, c’est juste que je fais le point sur ma vie. Est-ce qu’elle vaut encore la peine d’être vécue ? Est-ce que je ne m’inflige pas des contacts juste pour me punir ? Me punir de quoi ? D’exister, encore ?
D’où vient cette impression que je n’ai pas le droit de vivre ? Que je ne devrais pas être en vie ?
Je ne maîtrise toujours pas mes limites sociales. Je sais pourtant dire non, mais mon sens du sacrifice est encore plus haut que celui du martyr chrétien. C’est dire à quel point c’est ridicule !
Je vous aime, tous. Et ça m’épuise. Parce qu’a priori je ne m’aime pas moi. On m’aurait dit ça, je ne l’aurais pas cru. Je suis quelqu’un d’assez fier, mine de rien. J’ai l’impression de ne pas détester tout ce que je suis.
La dépression parle autrement.
Si j’étais la dernière personne sur Terre, je crois que je ne m’efforcerais pas de créer du beau, de recréer la vie, de faire en sorte que la flamme reparte. Je me suiciderais, parce qu’il n’y aurait personne pour qui je vivrais, et que ma vie ne vaut rien.
Et pourtant, j’ai « la rage de vivre ». Mes TS se sont toutes soldées par des échecs. Et dès qu’on me met en présence de quelqu’un, je déploie tout ce que je peux pour montrer à quel point je suis en vie.
J’ai la chance d’avoir globalement un entourage bienveillant, même professionnellement, des gens qui comprennent. Que je ne me lève plus les matins, parfois je ne me lève pas de la journée (« hypersomnie », dit le médecin). Que j’ai du mal à me nourrir, à me laver, à m’habiller. Et que dire de prendre les transports ! Cette semaine c’est encore une vingtaine d’heures que je passerai dedans. Lyon-Paris, Paris-Lyon, Villeurbanne-Bron, 12ème-14ème, C17, ligne 13, et tout autant de stimuli sensoriels. Je suis épuisée.
Je ne peux plus vivre seule, parce que je me laisse dépérir, parce que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue si je ne suis pas au contact des gens, mais le contact des gens me pousse à bout.
J’ai la chance de vous avoir, vous, qui me portez parfois à bout de bras, parce que les médicaments ça ne fait pas tout, et même si je fais tout ce que je peux, le suivi psychologique ne résout pas tous les problèmes en quelques mois.
J’espérais qu’avoir mis le doigt sur ce qui ne va pas aiderait, mais il y a ce qu’on sait, et ce qu’on sent.
Et pour le moment, je sens juste que je n’ai toujours pas le droit d’exister à mes yeux. Je ne sais pas pourquoi. Je sais que c’est totalement irrationnel. Je sais qu’un jour cette barrière sera levée.
Qu’est-ce que j’ai hâte.
Il est décousu, cet article. Mais au moins il laisse une trace ici de ce que je suis en train de vivre. La dépression, le burnout, l’hypersomnie, l’hospitalisation… C’est mieux qu’un fil Twitter : je le retrouverai sans peine quand ça ira mieux, et je pourrai me faire un high-five mental en me disant que ouah, j’ai bien évolué.
Je suis au fond, mais ne vous en faites pas. Moi, je ne m’en fais pas. Je suis encore loin d’être morte. Je suis juste tombée une énième fois (peut-être même plus que sept), et je me relèverai encore. Je suis déjà en train de le faire.
Après tout, ne suis-je pas en train d’écrire ?
Plus de trois mois sans article de blog, des DailyShort sporadiques qui n’ont plus rien de « Daily », pas une seule nouvelle en vue depuis le lot du concours… Force est de constater que c’est un fait : je n’écris plus.
Ce n’est pas une angoisse de la page blanche ; c’est que je ne trouve même plus la force de saisir un carnet et un crayon.
L’an passé, j’écrivais « Lettre ouverte à l’inspiration. » Des kilomètres de DailyShorts, d’articles de blogs, de paroles de chanson, de nouvelles plus tard, me voilà revenue au point de départ. Pas l’énergie, pas la force. Même écrire des cartes postales cet été m’a coûté (et j’ai encore oublié de les poster. Cela dit, vous devriez les avoir reçues désormais ! Si ce n’est pas le cas, faites signe.)
J’avais bon espoir avec la fanfiction, mais même ça n’a pas fait de miracle (même si j’ai quand même réussi à pondre quelques chapitres, et ça m’a sauvé mon écriture de l’été).
Bon sang, même tweeter est difficile !
Bien sûr, la Vraie Vie fait des siennes dans tout ça. Outre mon moral qui fait yoyo, il y a surtout ma reprise d’études à Paris qui entre en jeu et me dévore le peu de temps libre qui me restait. Il y a l’apprentissage du suédois, du Python, du Java, du banjolélé, il y a l’organisation à mon travail. Il y a quelques projets qui persistent… mais pour le moment je bloque.
Je crois qu’il est temps que j’admette que des fois, ça va et ça vient. Je croyais fermement en le contrôle du flux, le fait qu’écrire un peu chaque jour pouvait tout débloquer, mais on dirait que ce n’est pas le cas.
Après une année plutôt intense, me voilà dans une période de creux, de burnout artistique. A en faire trop en trop peu de temps je me suis un peu brûlé les ailes. Résultat des courses : l’impression d’avoir fait tout ce que je pouvais, de ne pas réussir à me renouveler.
J’ai tenté des choses nouvelles. Le chant choral, chez les Negitachi par exemple…
…ou avec Stéven et son arrangement d’Ensei (de la grande Yuki Kajiura) :
Je me suis même fait inviter dans un podcast où on raconte des histoires…
Pour évacuer, je gratouille mon banjolélé et j’écris des paroles… Mais maintenant, c’est le temps où je recommence à lire, à observer, à apprécier simplement. Les mots reviendront, ils reviennent toujours. Mais je dois réalimenter la source avant de replonger tête baissée dans l’écriture.
Espérons que cela ne dure pas trop. Je vous aime toujours et je continuerai de poster des choses, probablement sous d’autres formes. J’aime trop créer et partager pour disparaître.
Le besoin de faire quelque chose pour te rendre hommage me prend aux tripes. Si je savais dessiner, je dessinerais. En l’occurrence, je ne sais même pas ce que je pourrais dessiner. Si je savais composer, je ferais une chanson que je te dédicacerais.
Mais je ne sais qu’écrire. Je vais donc t’adresser ces mots que tu ne liras jamais, lettre ouverte à toi mais surtout à moi-même.
Maigre hommage face à tout ce que tu as pu consolider en moi.
Comme beaucoup de personnes de mon âge, Linkin Park occupe une place importante dans la bande originale de ma vie. Je ne compte pas ce groupe parmi mes fondateurs, mais il faut lui reconnaître deux choses.
La première, c’est qu’il y a eu beaucoup de choses qui se sont beaucoup mieux passées qu’elles n’auraient pu grâce à lui.
La deuxième, c’est que Linkin Park, quelle que soit la chanson qu’on nomme, ce n’est que des bons souvenirs.
J’aurais du mal à donner une chanson préférée dans la discographie tant elles sont toutes emblématiques. Si je devais vraiment choisir, ce serait, bon gré mal gré, peut-être Faint. Je me revois découper les paroles dans un magazine en 2004. Je ne me rappelle plus le titre du mag, mais c’était LE mag à avoir à propos du Seigneur des anneaux, de Harry Potter, de Kyo, d’Evanescence ou de Linkin Park.
So 2004.
« I can’t feel the way I did before
Don’t turn your back away, I won’t be ignored »
Quand on a peur de l’abandon, c’est réconfortant d’entendre et de pouvoir hurler ces mots en chœur…
Chester, savais-tu que je me rappelle encore la première fois que j’ai entendu Numb à la radio ?
Chester, savais-tu que c’est ta voix qui m’a fait aimer Rage Against the Machine ?
Chester, savais-tu que c’est ta voix qui m’a fait opérer la transition vers le metal ?
Chester, savais-tu que c’est ta voix qui nous a réconciliés musicalement, mon cousin et moi, au point de nous pousser à poser les bases d’un groupe que nous monterions des années plus tard ?
Chester, savais-tu que c’est ta voix qui m’a aidée à tenir quand je hurlais les paroles de Don’t Stay dans la maison vide, en frappant dans les murs pour évacuer l’injustice du collège et de la maladie de mon frère et de ma place, ou plutôt ma non-place dans tout ça ?
Chester, as-tu la moindre idée d’à quel point tu vas me manquer ?
Non, tu ne le sais pas évidemment, tu ne le sauras jamais, mais ça n’a aucune importance : je sais que tu as déjà entendu tout ça. Je ne suis pas un cas isolé, nous sommes des milliers à avoir partagé de tels vécus autour de Linkin Park. Vos chansons sont entrées dans l’imaginaire collectif d’une génération.
C’est drôle, j’ai acheté Meteora sur un vide-grenier il n’y a pas un mois, et le CD est encore dans mon lecteur. C’est drôle, après avoir raté de mauvaise grâce le Hellfest et le Download, je m’étais juré qu’un de mes prochains concerts serait Linkin Park. C’est drôle, j’en parlais encore il y a deux jours, à Las Vegas, en voyant une affiche qui indiquait que vous y joueriez le 1er septembre prochain.
C’est drôle comme tout ça n’est pas drôle et comme j’ai besoin de pleurer et comme je pleure en écrivant ces mots alors que je ne te connaissais même pas et ne t’ai même jamais vu, finalement.
La nouvelle est arrivée comme une énorme baffe dans ma gueule, quand, perdue au milieu du Far West, le réseau a refait son apparition et ces mots ont été les premières nouvelles du monde à me sauter au visage. Tu t’étais tué. Tu n’avais que la quarantaine. Tu étais mort, Chester. Une des voix de mon adolescence avait disparu. Ça y est, j’ai atteint ce point de la vie où on enterre ses idoles… Mais toi, c’était un peu tôt. Tu en avais parlé, Chester, de ton combat contre tout ça. Finalement, comme tant d’autres, ça t’a embarqué. Trop tôt.
Alors so long, Chester. On se recroisera peut-être, plus tard, pas tout de suite, dans une autre vie. C’est bizarre de me dire que je ne suis qu’à quelques centaines de kilomètres de toi. Peut-être que si j’avais été de l’autre côté de l’Atlantique ça m’aurait moins frappée. Sans doute pas.
So long, Chester. J’aurais aimé pouvoir te voir au moins une fois dans ma vie. Sur scène, ou pour te serrer la pince, discuter avec toi. Tu avais l’air d’un type intéressant et drôle, tu avais l’air d’avoir des choses à dire. Ça aurait été chouette que tu puisses les dire.
So long, Chester. Merci pour tes prises de position. Merci pour la puissance de tes mots, ta voix, ton personnage. Merci pour ta chaleur et ton humour. Merci pour ta musique.
So long, Chester. Je ne sais pas si Linkin Park se relèvera de ton absence. Je le souhaite, quelque part, je souhaite que la vie continue, je souhaite qu’ils nous montrent à leur tour qu’on peut se relever de tout. Mais tu demeureras irremplaçable. Tu es l’emblême d’une génération, et tu resteras dans les mémoires et dans les cœurs.
Ça fait au bas mot six mois que j’ai envie de vous faire cet article, sans jamais prendre le temps. Mieux vaut tard que jamais, paraît-il.
Je vous parle de musique de temps en temps, dans le coin. Rappelez-vous : je vous ai déjà parlé de Sabaton, de Midnight Street, de Mark Zero, de X Japan. (Oui je sais, c’est éclectique, je ne peux pas m’en empêcher, mais on dirait que ça ne vous fait pas fuir. Merci d’être encore là).
Aujourd’hui on retourne encore une fois en Suède, et on va parler d’Andromega.
Andromega, c’est qui ? Un.e artiste de Falun qui a, en 2015, décidé de faire son propre album sous un autre nom.
(Bon, maintenant, iel a bougé à Gothenburg. Décidément, ils ne peuvent pas s’en empêcher.)
Sur Internet, on lae trouve sous le nom de Simmelsnuff, ou plus simplement, Simmel.
(J’en vois qui me connaissent bien qui haussent un sourcil, là-bas, dans le fond. Oui, aujourd’hui on chronique le projet perso du fameux S., que j’appelle mon jumeau suédois. Je n’ai aucune honte, et vous allez vite voir -et entendre- pourquoi ce n’est pas seulement de la promo assumée, mais un avis globalement objectif.)
Vous êtes prêts ? C’est parti.
Avec Still Life of a Stillborn, un album qu’iel a mis 9 mois (un temps de gestation difficile à ignorer quand on sait que le symbolisme est au centre de l’oeuvre) à mettre au point, Andromega nous embarque dans un voyage qui mélange de nombreux styles de metal, mais pas que. En sept pistes, on passe de la colère aux larmes, avec des passages étonamment apaisants au milieu. Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire des points piste-à-piste, vu qu’il n’y en a pas tant que ça.
A Minute of Silence (as Experienced by 911129) est exactement ce que le titre indique : ouverte par un long cri, la piste dure tout juste une minute. Une minute de bruit blanc, couvert de ces pensées volatiles qu’on peut avoir parfois. Pas vraiment de musique ici hormis quelques anecdotiques notes jouées en fond et la saccade des syllabes qui nous sont jetées à la figure, mais la composition sonore est prenante : les phrases fusent, les intonations diffèrent, les voix sont graves, aigues, superposées, rien ne fait sens séparément et pourtant l’ensemble se tient. On se perd dans ce court stream of consciousness auditif qu’il faudra écouter plusieurs fois pour en saisir les différentes couches. Une phrase finit par s’imposer, « Gâche ta vie pour la garder un peu plus longtemps », répétée, hurlée, de plus en plus nettement, pour enchaîner directement avec la chanson suivante dont elle fait l’introduction.
On passe ainsi à Shitizen, un titre à nouveau bien explicite. J’aime l’utilisation du mégaphone à l’entrée pour une phrase qui résonne particulièrement chez moi « Le premier pas vers la liberté est de réaliser qu’on est dans une cage ». Le thème entier de la chanson semble être « Panem et Circenses » : la dénonciation de cette tendance à se protéger de toute expérience, de se satisfaire d’une zone de confort pauvre au détriment de tout ce qui pourrait faire vivre… bref, un « mode survie » dans lequel sont plongés de nombreux concitoyens. La phrase « Tu gâches ta vie pour la garder un peu plus longtemps » revient au milieu de la chanson et fait écho à une citation qu’Internet me dit être de Maupassant « On n’a jamais vraiment vécu tant qu’on n’a pas frôlé la mort. » Si cette phrase a longtemps été celle gravée sur le zippo que mon cousin m’a rapporté du Vietnam, elle a aussi cette résonance interne, ce côté « je crois que je vois de quoi tu parles, et ma vie n’en a un goût que plus étrange ». La même impression que me fait cette chanson.
Musicalement, on est sur du death metal hyper efficace. Le flow de paroles défile, accompagné par une musique qui secoue et sur laquelle on se verrait bien pogoter et headbanguer. Pas à dire, dès le départ, je suis embarquée dans l’album, c’est le genre de musique dont j’ai besoin en période de frustration, d’agacement, de la violence cathartique qui fait du bien aux oreilles. Chanter « Esclave du paradis des 35h » dans le métro en allant au boulot a un côté délicieusement ironique dont je ne me lasse pas. La chanson se termine sur un « Libère ton esprit » ponctué d’un larsen bien placé. Une bonne mise en bouche pour la suite de l’album.
Après un silence et des bruits de studio, on enchaîne avec 373. Cette chanson a une place un peu particulière dans mon cœur : vrai coup de foudre de l’album, elle est aussi celle pour laquelle j’éprouve les sentiments les plus ambivalents. Les paroles sont malines, avec un refrain qui fonctionne particulièrement bien (« Tout le monde veut rentrer dans les rangs, je veux juste en sortir en courant », en gros). La lecture de ces paroles m’a donné envie de casser des choses, car qui donc est cette personne qui s’octroie le droit d’écrire ce que j’ai vécu et ce que j’aurais pu écrire, de dire ce que j’aurais voulu entendre plus tôt, de mettre en musique ces morceaux de ma vie ? Il y a beaucoup trop de choses connues dans ces paroles, au point que si j’avais eu Andromega sous la main en les lisant, je lui aurais sans doute arraché les yeux tant j’étais furieuse. La colère, ce vecteur sentimental qui apparaît en cas de surplus d’émotions…
Musicalement, ce n’est pas forcément simple à catégoriser. On est sur du metal, un mélange de death et de numetal je dirais, qui n’est pas sans me rappeler Trivium sur certains points, mais en beaucoup plus poussé. Le flow de paroles est à nouveau extrêmement agréable et maîtrisé, alternant voix grasse, growl et scream, la guitare vient agréablement répondre à la voix avec un contrechant (oui, je trouve une guitare agréable, c’est vous dire si j’ai aimé cette chanson). Bref, rien à redire : le genre de chanson dont on voudrait qu’elle dure plus longtemps, mais elle ne dure que quatre petites minutes…
…avant de se terminer et d’être suivie par Please Be My Cause of Death. Cette chanson est peut-être celle qui me laisse la plus perplexe de l’album. La chanson, assez malaisante, se présente au niveau des paroles comme un dialogue entre deux entités (A. et M.), qui décrivent une relation tout sauf saine. L’interprétation est très libre : on pourrait la voir comme un combat contre soi-même, comme une relation interpersonnelle qui tourne mal, pour ma part je privilégie une interprétation encore plus poussée et qui me met encore plus mal à l’aise (et les dieux savent qu’une relation malsaine me met déjà bien mal à l’aise).
Musicalement, c’est une ballade plutôt plan-plan qui souffre beaucoup d’être à la suite de 373. Pour moi, c’est un peu le point faible de l’album, s’il faut en nommer un. La voix clean n’est pas toujours maîtrisée, parfois saturée à un point peu agréable et cela se ressent dans l’atmosphère, mais cela n’ajoute que du malaise. En vérité, la construction de la chanson embarque bien l’auditeur jusqu’à un climax auditif qui donne tout son sens à la chanson (« Oh mon Dieu, la coupure est trop profonde ! » / « J’ai tout perdu », en réponse à « j’ai tout trouvé » plus tôt dans la chanson). Je suppose qu’on tombe dans la catégorie « Ça aurait pu être une ballade qui parle d’amour, mais ça se finit en bain de sang et de la torture de guitares. »
La chanson se termine sur un bruit blanc (de pluie ?) reposant et bienvenu après une chanson aussi lourde émotionnellement, et enchaîne sans transition avec la suivante.
I’m Not Religious (But I Think Mike Patton May Be A God) est un monument de neo-metal expérimental. Si le refrain a pour moi des indubitables échos de Linkin Park à la grande période d’Hybrid Theory, les couplets, eux, partent dans tous les sens. Si cette chanson était un tableau, je ne saurais pas où poser mes yeux. Scream, growl, voix parlée au flot soutenu, mégaphone, guitares qui hurlent, on fait face à un paysage musical peu commun. Et il en va de même pour les paroles : références culturelles, dénonciation, jeux de mots, rien n’y coupe. La chanson rebondit et fait rebondir. Le titre met le doigt sur un point qui me fait défaut pour comprendre l’intégralité de l’album : la culture musicale. Je n’ai plus ou moins, je l’avoue, jamais écouté Mike Patton, et je sais que ce n’est pas la seule référence musicale qui me manque pour pouvoir profiter à 100% de l’album. Une porte ouverte vers de nouvelles écoutes, donc, et je pense que c’est plutôt fort pour une chanson.
Guided Meditation for the Hyper-Active and Faint of Heart est, là encore, tout ce que le titre laisse à penser. On met le metal de côté un moment et on se concentre sur soi-même. Un repli interne guidé par une voix très douce qui conduit facilement à la transe. Les effets sonores viennent compléter le texte de manière très touchante, et le beat qui aurait pu être rapidement agaçant s’avère en vérité très bien guider les battements du cœur. Je me laisse agréablement porter par cette douceur et cette sérénité, suivant des paroles qui me parlent à nouveau tout particulièrement et qui guident, à mon sens, très bien la méditation. Les mots sont choisis, pesés et recherchés (qui utilise « tepid » ?!), délivrés de manière claire, et la voix déformée ne pose pas de problème, ajoutant de la profondeur au message. Si je n’avais pas craqué pour 373, cette piste serait sans doute ma préférée, et c’en est définitivement que j’écoute pour m’endormir ou pour me recentrer après une crise due au stress post-trauma, tant la phrase finale (« Laisse toi devenir quelqu’un d’entier ») m’apaise. Je ne sais pas si c’est de l’ASMR, mais c’est certainement quelque chose qui a à voir avec la cohérence cardiaque. « Inspire, expire… »
Mais cette sérénité ne dure pas. The Hole That Isn’t est sans doute la chanson qui, de tout l’album, prend le plus aux tripes. Le titre définit bien ce creux dans la poitrine, berceau de toutes les angoisses et toutes les dépressions, et ce qui suit ne fait que conforter cette impression. Le scream déstabilise dans un premier temps et n’est peut être pas le choix le plus évident, la voix claire souffre à nouveau d’un léger manque de maturité (et un mix peut être un peu faible), mais le battement des riffs crée une impression de lourdeur tout le long de la rhapsodie qui se déroule sur plus de huit minutes, mélangeant black, death, et beaucoup d’émotions. La batterie, pesante elle aussi, fixe le rythme au cœur et on se retrouve à retenir son souffle lorsque la voix reprend, plus calme que jamais. « Je n’ai jamais fait grand cas de ma personne, seulement de ma douleur, je me coupe pour communiquer, mes cris sont la seule chose qui me permettent de rester sain d’esprit ; je suis un rouage brisé dans un mécanisme électronique, ma vie n’est qu’une obligation, si je ne peux choisir ma propre vie, au moins, je choisirai ma mort. »
La mélodie est à la fois sereine et destructrice. Tout s’enchevêtre pour diffuser un message ambivalent, qui se termine sur un ultime cri… qui ne semble être autre que celui qui ouvre « A Minute of Silence ».
Comme sur tout le reste de l’album, aucune place n’est laissée au hasard, ici : Still Life of a Stillborn est un album qui s’écoute en boucle. Après la chute de cette chanson particulièrement violente au niveau de son message, on se réveille violemment, avant de retomber (« crash back down »), comme une Alice, dans ce pays de rêves et de cauchemars, l’intérieur de la tête d’une personne qui se laisse envahir.
En bref, Still Life of a Stillborn est un album entier, au mix globalement malgré quelques faiblesses au niveau vocal, hyper versatile musicalement (ce qui le rend globalement inclassable et c’est très bien comme ça), et malin tant dans sa musique que dans ses paroles. Personnellement, sur moi, ça marche tellement bien que ça m’a plus d’une fois donné envie de casser des choses parce que je ne savais plus quoi ressentir. Tout résonne. Les accords, les mots, les nombres, les rythmes, tout est savamment pesé, choisi. Fortement empreint de symbolisme, cet album ne pouvait que me faire vibrer.
Finalement, avec cette oeuvre d’Andromega, on a un peu affaire à une autobiographie musicale profondément intimiste, qui a des messages à faire passer. Lesquels ? Moi je les ai trouvés, mais je vous laisse faire votre propre avis, car s’il y a une chose sûre, c’est qu’il y a de nombreuses interprétations possibles, et c’est ce qui rend l’album si intéressant.
Simmel ne souhaitant pas faire payer sa musique, vous trouverez l’intégralité de l’album en écoute libre sur Spotify et Soundcloud. Je déplore évidemment l’absence de Bandcamp ou de lien vers des mp3 en DRM-free, mais je ne désespère pas de le convertir un jour.
Si vous êtes curieux, vous trouverez aussi les paroles par ici (et vous pourrez au passage remarquer que même visuellement, pas grand chose n’est laissé au hasard…)
En espérant que l’album vous parlera autant qu’à moi, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne écoute !
Et si vous n’avez jamais entendu parler d’X Japan par moi, vous pouvez vouloir lire mon Storify sur le sujet histoire de mieux comprendre ce qui se passe ici…
Un Art de Vivre. Souvenir d’un week-end mouvementé à Londres. La chanson est si longue qu’il m’a fallu ruser, mais l’article qui suit l’est encore plus. Préparez-vous un thé, installez-vous confortablement, je vous prédis une petite heure de lecture. En espérant que ça vous plaise ; moi ça m’a fait du bien.
Parfois, j’ai des phrases qui me restent en tête. Un peu comme ces chansons dont on ne connaît qu’une seule ligne de paroles, mais c’est celle qui tourne en boucle, revient, s’incruste.
« Je ne vis que pour ce moment. »
Cette phrase-là me tourne dans le crâne depuis le premier mars et je n’arrive pas à la remettre. Est-ce moi qui l’ai écrite il y a très longtemps ? Ou alors ce sont les mots de quelqu’un d’autre, un illustre inconnu sur Internet qui m’a marquée pour une raison ou une autre, un de mes livres préférés dont j’aurais oublié l’existence ?
J’oublie un peu trop vite, mais cette phrase est remontée, et elle persiste, incertaine.
N’est-ce pas plutôt « Je n’existe que pour cet instant » ?
Je vis les choses à fond, à deux cents pourcents. C’est donc tout à fait logique qu’une telle phrase s’impose à moi quand mon cœur se met à battre plus fort et que mes émotions s’emmêlent suffisamment pour que je ne puisse plus les nommer.
C’est tout à fait logique que cette phrase s’impose à moi maintenant.
Fin 2003 – les archives précises sont perdues.
Dernière année de collège. Lia, 13 ans, découvre beaucoup de choses à la fois. D’abord le metal, avec une transition globalement assez classique « bon vieux rock bien rétro de Nostalgie » – « Nu metal qui passe à la radio » – « Ah tiens Rammstein ça a l’air bien ». Ensuite la culture otaku, avec un prêt inattendu de DVDs d’anime, qui lui fait faire la transition (tout à fait cohérente à l’époque) « Harry Potter » – « Le Seigneur des anneaux » – « Mangas en tous genres ». Enfin le Vide : le creux dans la poitrine, ce que son mentor de l’époque, avec qui elle passe ses soirées sur MSN, appelle « The Unnamed Feeling » quand elle essaie de lui décrire. L’angoisse, la dépression, l’hypersensibilité : toutes ces choses qu’elle avait déjà en elle depuis très longtemps, mais dont elle prend conscience seulement maintenant.
Lia passe beaucoup de temps sur Internet. C’est chouette, on vient d’avoir l’ADSL, elle vient d’avoir le PC dans sa chambre, enfin. Ce jour-là, au détour d’un forum, d’une fanfiction, d’une conversation, elle découvre le nom d’X Japan.
Lia est curieuse. Lia a toujours été curieuse. Internet est un endroit formidable pour les gens curieux. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle a trouvé des sites qui utilisent X Japan en musique de fond (on n’utilise pas eMule dans la famille : que du direct download. A l’époque, c’était plutôt simple, finalement, même si ça prenait du temps). Elle télécharge les quatre chansons qu’elle arrive à trouver. Miscast, Silent Jealousy, X. Et en double-cliquant sur la première de la liste, Drain, elle découvre X Japan.
4 mars 2017, Londres. #XDay
Cela fait une semaine que je dis à tout le monde que JE VAIS VOIR X-JAPAN EN CONCERT, avec un ton hystérique, pour la blague. CA VA ETRE TROP NUL, C’EST TROP BIEN.
Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec Europe, un de mes groupes fondateurs, que j’ai vu en novembre dernier. Le concert était si mauvais que j’ai failli quitter la salle. Je ne m’attends pas à mieux de la part d’X-Japan, quelque part. Je me protège peut-être de la déception, mais quoi de plus normal ? Je fais partie des dubitatifs de la reformation, des victimes des annulations à répétition et des promesses trahies. Je ne me tiens même plus vraiment au courant des dernières informations. Le visage pincé de Yoshiki sur toutes les interviews et ses selfies me rendent triste. Voir les autres membres vieillir me rend triste. Ce n’est pas mon X.
Mais je dois bien au moins un concert d’X Japan à la moi de 15 ans. Quand on a la chance de pouvoir réaliser un rêve, on la saisit. Même si c’est avec plus de dix ans de retard, et tant pis pour la déception potentielle.
Je ne suis pas la seule à suivre ce raisonnement. Finalement, c’est à trois que nous assisterons à ce concert : nous partons en bus avec ma femme (et fidèle compagne de voyage) Hime, et Camille nous rejoindra sur place car elle prend l’avion.
Nous n’y croyons tellement pas qu’Hime et moi nous organisons à la dernière minute, tant nous craignons une nouvelle annulation. Et finalement, les billets de bus sont pris, l’auberge de jeunesse réservée.
Après une soirée mise-à-jour-sur-X-Japan (nous avions raté quelques chansons, a priori, ayant lâché les informations aux alentours de 2009), et découverte du nouvel album de Stupéflip sorti le jour même, pour changer un peu d’humeur histoire de ne pas être dégoutées d’X avant même de les voir (spoiler alert : cet album est cool), nous manquons rater notre bus depuis Lille.
L’aventure commence bien.
Bon gré mal gré, point de côté et bronches asthmatiques martyrisées, nous attrapons quand même le Megabus et quittons la France sur le coup de 1h, pour une longue nuit de voyage. Ca y est : le X-Day commence…
Nous arrivons à Londres avec une heure trente d’avance sur l’horaire prévu, qui l’aurait cru ? Il n’est même pas 6h du matin, nous sommes larges niveau timing : de quoi aller découvrir notre auberge (qui s’avère être un vrai taudis, mais ne faisons pas la fine bouche), prendre un petit déjeuner, et dormir sur un canapé, le check-in n’étant possible qu’à partir de 14h.
(Il était quand même vachement confortable ce canapé…)
Pendant notre sieste/fin de nuit, mon téléphone décide d’un commun accord avec lui-même que se recharger, c’est pour les faibles. Cela faisait un moment qu’il avait des sautes d’humeur et des faux contacts, mais cette fois-ci c’est la bonne : à la fin de cette batterie, il ne se rallumera plus.
Pas de panique. Tout se passera bien. Hime a le numéro de Camille et vice-versa. Je coupe le réseau au cas où, quand même, histoire de pouvoir au moins prendre une ou deux photos.
Un message de Camille au moment présumé de son décollage : Zeus fait des ravages en France. Vent et tempête, son avion est cloué au sol. Il y a beaucoup de retard dans les vols, elle ne sait pas quand elle arrive.
Finalement, nous avons le temps de redormir (il s’agit d’être en forme pour ce soir), visiter un peu Londres (« On prend ce bus au pif et on voit où il nous emmène ? Allez ! ». Finalement, il nous a posées pas bien loin de King’s Cross et son quai 9 ¾, petit succès), marcher, profiter d’une impressionnante manifestation (March 4, march for… hashtag mindblown, hashtag punday), nous perdre dans Soho et tâcher de repérer un endroit où manger. Camille nous rejoint avec seulement deux heures de retard : il est 14h30.
Le temps de nous retrouver, manger, parler, re-manger, re-parler (cela fait longtemps qu’on ne s’est pas vues !), chercher un café, nous perdre, trouver un café, nous rendre compte que nous n’avons plus le temps, rendre le serveur chèvre, partir précipitamment (mais en ayant payé !), et il est l’heure de prendre le métro pour Wembley. J’ai un choc dans le métro : il y a une affiche pour We Are X… Il y a une affiche pour X Japan. Dans le métro de Londres.
D’un côté, c’est évident après tout. De l’autre, c’est incroyable pour moi. Dix ans plus tôt, c’aurait été simplement inconcevable.
Tout finit par arriver.
Mais pas le temps de s’attarder, nous sommes en retard.
Ma poisse des transports nous frappe et il nous faut surpasser les ratées de correspondance avant de parvenir au stade sans encombre, presqu’à l’horaire prévu. Dans le métro, j’essaie de deviner qui va au concert. D’habitude, j’y arrive, mais là, j’ai un peu tout faux. Bon, ce n’est pas grave : la longue file des gens qui sortent du métro nous guide bien jusqu’à la salle.
17h.
Il y a du monde devant l’Arena quand nous arrivons. Une file immense. Nous ne comprenons qu’après coup qu’il s’agit simplement de la file pour acheter les goodies. « L’entrée c’est par là ». Oh. Nous suivons le mouvement, passons la fouille.
Les cosplays ici et là sont bluffants, et font tellement plaisir à voir. Les gens font plaisir à voir. Il y a des représentants de nombreux pays, certaines Japonaises ont fait tout le trajet (avion, visa, réservations…) juste pour 24h et ce concert. C’est incroyable, ça parle de toutes les langues, je repère des Suédois derrière nous.
Les « We are X ! » résonnent dans tout le hall. Nous passons rapidement devant le stand de merch, juste pour constater ce qu’on pressentait : tout est horriblement cher. Tant pis pour les goodies. Et si on allait s’installer ?
Jusque là, tout se déroule comme un concert comme un autre, un parmi tant d’autres. Pourtant, l’atmosphère est déjà un peu différente.
C’est étrange, un fan de X. C’est dévoué et ça se sent. Et quiconque aime X est son ami, alors les liens se créent presque facilement dans la file d’attente. Nous discutons avec les autres gens qui attendent, prenons des photos, répondons aux « We are… »
Mais quand bien même nous entendons les basses des soundchecks derrière la porte, je ne réalise pas très bien ce qui se passe. Pourtant, à une époque, j’avais un radar. Si j’avais entendu cette basse…
Début 2006 – les archives précises sont perdues.
Si vous connaissez Lia, vous savez qu’elle n’est pas quelqu’un de visuel. Il lui faut des sons, des mots, des émotions. Les images la laissent froides, elle n’aime pas les films, elle n’a pas le réflexe de chercher une vidéo, une photo.
La plupart du temps elle ne cherche pas à connaître les personnes derrière les notes, les mots. Parfois elle a des images mentales intéressantes et totalement fausses (elle a par exemple cru pendant dix ans environ que Claude François était un petit brun à moustache et lunettes. Ça lui semblait coller avec sa voix. Pas loin, Lia.). Souvent elle n’a aucune image du tout, à part les couleurs et les formes que lui évoquent les chansons et qu’elle n’a pas envie de gâcher avec des images imposées.. C’est ironique d’être fan d’un groupe classé « visual rock » quand on n’est pas visuel pour deux sous.
Cela fait bientôt trois ans qu’elle écoute X Japan, en découvrant simplement de temps en temps, au détour d’une page internet, des chansons qu’elle ne connaissait pas. Il fallait trouver des endroits où se fournir en X à l’époque, et ce n’était pas toujours simple !
Il faudra l’impulsion d’une de ses meilleures amies, sa « petite sœur », à qui elle a fait découvrir X et qui a creusé plus loin, pour qu’elle s’intéresse un peu à l’histoire du groupe.
Alors, à nouveau, Lia fait une découverte majeure, et ridicule : la musique n’est pas qu’un concentré de couleurs et émotions en elle. La musique est faite par des gens, pour de vrai : il y a des instruments. C’est une évidence, elle l’a toujours su, mais elle n’en a jamais bien compris les implications.
Avec X Japan, pour la première fois, elle s’intéresse à un groupe, et elle découvre qu’il n’y a pas seulement une entité « groupe », mais des gens à part entière dedans. Un batteur, un chanteur, deux guitaristes, un bassiste. Des instruments différents qui ont chacun une couleur, une saveur musicale, et des gens différents avec chacun une histoire et un caractère qui leur est propre.
C’est l’épiphanie la plus stupide qui soit !
Et puis, surtout, Lia découvre la basse. C’est fou, cet instrument, pourquoi elle n’en a jamais entendu parler avant ? (C’est faux : sa « petite sœur » fait de la basse. Lia n’a juste jamais rien compris). C’est fou comme c’est rond et doux et métallique et clinquant et vibrant un son de basse, et comme ça secoue, et comme c’est le meilleur son du monde et ça fait chaud dans le cœur.
Lia tombe un peu amoureuse de Heath, le deuxième bassiste d’X Japan. Ce n’est pas le meilleur bassiste du monde, mais il est bon et surtout c’est celui qui lui a fait découvrir la basse. Tout comme X lui a fait comprendre qu’il y avait des gens dans un groupe de musique, quelque part, et c’est ça qui compte. Et tout ça lui a donné envie de faire de la musique avec ses amis, un peu.
Avec cette découverte, Lia se passionne pour l’histoire du groupe. Elle veut tout voir, tout connaître, tout apprendre. Elle saura tout, les titres, les paroles, les noms, les dates, les caractères. Elle montera un groupe. Et puis elle va essayer de se mettre à la basse, tiens.
Lia n’a pas encore seize ans mais déjà besoin d’une raison de vivre. Celle-ci n’est pas plus mauvaise qu’une autre.
17h45.
Les soundchecks sont terminés et nous pouvons entrer dans la salle. Grande surprise : contrairement à ce que je craignais, nous ne sommes pas si mal placées. Nous sommes très loin de la scène, mais pile en face, et les sièges sont ainsi faits que nous pourrons nous lever sans craindre de gêner la vue des gens derrière pour autant. Nous allons en prendre plein les yeux.
« Je ne réalise pas.
– Moi non plus. Mais ils ont encore un peu de temps pour annuler. Je n’y croirai que quand je les verrai en vrai. »
Je suis cynique à nouveau. Je ne veux pas trop y croire. Ils ont cette réputation d’être toujours en retard, d’annuler au dernier moment… Je redoute, toujours, cette déception, alors j’étouffe toutes les attentes que je pourrais avoir.
Pourtant, je sens l’excitation me gagner. Même si pour une raison ou une autre nous ne pouvons pas voir le groupe, j’ai très envie de voir le documentaire We Are X, qui constitue la première partie, et qui me fait un peu envie depuis que je vois les informations passer sur les pages d’X Japan et de Yoshiki. L’histoire de ce groupe m’a toujours fascinée.
Et puis je suis au milieu d’une foule de gens qui aiment X, qui les adorent, qui comprennent, et ça c’est magique, après avoir passé tant de temps à me faire rire au nez en disant qu’X était un de mes groupes préférés. Nous sommes assises à côté de deux jeunes filles asiatiques : l’une, directement à ma gauche, est taiwanaise ; l’autre est chinoise. Ca me fait immensément plaisir de reparler un peu chinois, même si j’ai perdu tout mon vocabulaire. Et discuter avec elles contribue à faire monter mon enthousiasme : elles-mêmes sont si heureuses d’être là ! Surtout la Taiwanaise, Christie, qui s’épanche sur son amour pour le groupe. C’est un vrai bonheur de l’entendre. Je crois que ça me fait du bien de partager avec des fans d’X Japan.
Je retrouve une passion, je renoue avec des choses… des choses bien enfouies.
2007 – courant novembre
Le lycée est fini, le groupe d’amis a éclaté, en un an Lia a perdu deux « petites sœurs » et un béguin. Mais la passion est toujours là, toute isolée qu’elle soit dans ce nouvel appartement.
Etre indépendante à même pas 17 ans, ce n’est pas évident. Lia trompe l’ennui en écrivant, beaucoup, beaucoup, et en archivant. Ses souvenirs d’X, liés à d’autres souvenirs pas très agréables, sont un peu enfouis. C’est toujours comme ça, à chaque transition, elle détruit tout, et les événements de seulement quelques mois plus tôt lui apparaissent comme un rêve. Pourtant elle continue à écrire. Et dès qu’elle en a l’occasion, elle raconte l’histoire d’X Japan. Parce que c’est une histoire incroyable. Parce que c’est une musique tellement importante. Parce qu’il faut partager –avant de tout oublier. Car Lia finira par oublier.
MP envoyé à une amie en 2007 pour lui résumer la folle histoire de X – maintenant que j’ai eu accès à plus d’informations, j’y trouve pas mal d’erreurs, mais les grandes lignes sont justes. Si vous ne connaissez pas du tout le groupe, je ne peux que vous encourager à cliquer sur les images et lire…
Camille me tend un mouchoir en papier. « Tu vas en avoir besoin. » Je le garde précieusement : je sais qu’elle a raison.
Avec nos nouvelles voisines, nous prenons des photos, immortalisons le moment, discutons.
Are we X yet?
Je suis ravie par ces rencontres. Ji (la Chinoise) et moi nous lançons dans une conversation vraiment intéressante sur l’art-thérapie, alors qu’il est 18h20 et qu’ils ont déjà vingt minutes de retard. X Japan est toujours en retard, ils sont encore pire que moi.
Pourtant, nous avons pu observer les techniciens chargés des poursuites grimper jusqu’à leur poste, et les caméramen se disperser dans la salle. Au milieu de notre conversation, le noir se fait, et l’écran géant descend.
Applaudissements, acclamations.
We Are X, le documentaire sur X Japan que je n’espérais même pas vraiment voir il y a seulement quelques mois, commence, et j’oublie tout le reste. Ils ne sont pas là, pas encore, mais leur histoire se déroule devant mes yeux.
Une histoire que je connais déjà beaucoup trop bien, toute en drames, en tranches de vie et en coups au cœur.
J’y retrouve ce que je savais déjà. Je découvre quelques points que j’ignorais. Certaines images, certaines phrases me tordent les entrailles, les photos de leur jeunesse, les souvenirs qu’ils évoquent, les témoignages de Toshi sur les abus psychologiques et physiques qu’il a vécus dans la secte… Mon cœur se serre.
Une scène me frappe, comme une petite épiphanie.
« [Yoshiki] était seulement dans ses vingt ans, mais tout son corps émanait la mort. »
Cette phrase de témoignage est suivie par la vidéo du leader, encore jeune et dans son époque de grande folie capillaire, en train de courir dans les rues en riant à gorge déployée. La musique est mélancolique. Dans ma tête, une étincelle. Mais oui. C’est ça. Ca quoi ? Je ne sais pas exactement. Mais c’est ça. Cette relation passionnée, cette danse sur la corde au-dessus du précipice. La vie sur un fil de lame, tu te coupes, tu tombes.
« Une conscience exacerbée de la mort », m’a dit ma psy. Je n’étais pas sûre de comprendre. J’ai compris. C’est ça. Vivre à fond parce qu’on sait, on sait qu’on va mourir.
A l’écran, Yoshiki rit, et les images changent et s’enchaînent.
C’est tellement facile de s’identifier à ces gens sur l’écran. Ces gens qui avaient l’âge que j’ai maintenant, qui vivent vite et mourront jeunes.
Ils expriment ce besoin maladif de faire tomber les barrières qu’on nous a imposées, celui d’être compris, compris à tout prix.
Alors Yoshiki explique, et explique encore, et parfois c’est difficile, les mots ne viennent pas bien.
Les petits désagréments de certains sont les traumatismes d’autres, et vice versa. Les « certains » et les « autres » ne peuvent pas se comprendre. Ceux qui nous voient pleurer ne comprennent pas nos larmes.
Ces gens sont morts, réellement pour certains, métaphoriquement pour d’autres dont les vies ont bien changé, et je réalise maintenant que je comprends peut-être pourquoi. A mesure que les images filent sous mes yeux, que les témoignages s’enchaînent, je ne peux m’empêcher d’éprouver cette effrayante proximité psychologique. Tout paraît tellement logique. Je comprends et réalise que certaines choses ne se soignent pas et que même en apprenant à vivre avec…
Ces gens sont morts et je mourrai aussi. Peut-être pas de la même manière. Comme je ne vis pas de la même manière.
Mais avec certaines problématiques tellement similaires.
« Pour créer toute forme d’art, je pense qu’on ne peut pas être dans un état d’esprit normal. C’est une guerre. », affirme Yoshiki. Ça aussi, ça résonne, tiens. Je sors mon carnet et note la phrase, rapidement, dans le noir. Il y a toujours quelque chose d’extrêmement rassurant à entendre un créateur parler de ses propres méthodes de travail. Je retrouve cette guerre, celle qu’on mène contre soi-même pour sortir les choses de sa tête et en faire quelque chose de beau.
Et puis, grandeur et décadence d’un groupe, vient le moment de la séparation. Cela fait quarante minutes que je sens que mon moral fait le yoyo, que je serre le mouchoir dans ma main.
C’est lorsqu’ils nous montrent des images des fans avant leur dernier concert que les digues sont rompues.
« Leur musique m’a sauvée. »
Avant que j’aie le temps de comprendre, les larmes coulent. Ce n’est qu’une phrase. Juste une phrase qu’on entend souvent des fans dire. Moi, je l’ai souvent dite, à plusieurs artistes, parce qu’elle est vraie. Et pourtant elle n’a jamais eu une telle intensité. Me voilà à pleurer silencieusement tant l’écho est fort en moi. Tout remonte. La moi d’il y a dix ans frappe à la porte de mon cœur et me rappelle ses cris, ses hurlements, les douleurs qu’elle s’infligeait, tout ce qu’elle a pu écrire en écoutant leur musique, tout ce à quoi elle a pu se raccrocher.
Février 2007
La boîte du CD vole à travers la pièce et s’écrase contre le bureau. Ca y est, cette fois-ci, elle est cassée. Le CD continue, lui, à tourner dans la chaîne. Pourquoi faut-il que tous les gens et toutes les choses qu’elle aime lui fassent autant de mal ?
Pourquoi faut-il que tout prenne une telle ampleur pour elle, dans sa tête ? Elle ne va pas si mal, pourquoi faut-il qu’elle en fasse des tonnes ?
Lia pleure. C’est une douleur physique, juste au milieu du torse, un pic, une espèce de trou noir qui l’empêche de respirer. Depuis quelques années, elle l’appelle le Vide, elle ne comprend pas ce que c’est, et ça la rend dingue. Parfois elle arrive à le combler. La musique aide. Ensuite, elle se rappelle que ceux qui font cette musique ont disparu, et elle hurle.
Elle se force à oublier les personnes pour mieux se noyer dans la musique. « All existence you see before you must be wiped out: Dreams, Reality, Memories, and Yourself.»
Elle ne les verra peut-être jamais mais ils sont toujours dans sa tête, et pour elle, dans cette chanson, sa violence, sa rage, ses paroles maladroites… tout est catharsis.
Ça me revient, toutes les recherches, le bouleversement, toutes ces choses déduites qui paraissent si logiques. Les longues interprétations écrites de Art of Life et The Last Song, qui ont tant à dire. Les nuits où je me suis endormie en pleurant parce que ça comptait tellement et que je ne les verrais jamais. Parce qu’ils étaient morts depuis dix ans.
J’en ai voulu à X pendant si longtemps, parce qu’ils sont aussi bien associés à mes meilleurs qu’à mes pires souvenirs. Cette période de ma vie était rude. Et pourtant… « Leur musique m’a sauvée ». Il faut que je l’entende de la bouche de quelqu’un d’autre pour réaliser que oui, c’est vrai, ça n’a jamais été aussi vrai pour n’importe quel autre artiste. Aucun autre groupe ne m’a fait à ce point plonger en moi, ne m’a à ce point fait tenir. Pendant plus d’un an, je n’ai vécu que pour et par eux, en tissant des liens avec ceux qui allaient devenir ma famille de cœur, qui m’a à son tour plus d’une fois sauvé la vie.
Dans un moment de flottement, je vois les branches de l’arbre des décisions de ma vie et quand je vois comme tant de choses reviennent à ce groupe, je pleure de tout mon cœur. Je n’avais pas réalisé que c’était à ce point.
Et je continue à pleurer pendant que le documentaire continue.
hide est mort. Plus de cinquante mille personnes sont à l’enterrement.
Les images s’enchaînent et je pleure toujours.
Les larmes se tarissent peu avant la fin, sur les mots de conclusion :
« Ceux qui portent des cicatrices s’appuient sur notre musique, pour traverser tout ça avec nous. C’est ça, notre son. Malgré toutes ces blessures, il y a ceux qui n’abandonnent pas leur futur et qui restent en vie. Notre musique parle à ces âmes. »
Je fais partie de ces âmes. Et parmi mes deuils, il y avait celui de ne jamais pouvoir rencontrer ce groupe qui a peut-être été celui qui m’a peut-être le plus bousculée, qui a écrit une part importante de la bande originale de ma vie.
J’avais, je crois, réussi à mener ce deuil. On ne peut empêcher les gens de partir, de disparaître. Mais on les incorpore. On en garde toujours un peu, au fond de soi. Un petit tic, une expression, un air qui revient parfois, des souvenirs. C’est vrai pour tout : pour nos proches, pour les moments que l’on a vécus, pour les choses que l’on a faites et qui sont terminées… Et pour tous ceux qui nous ont inspirés. X fait partie de moi, maintenant. C’est un petit bout de mon identité, au même titre que plein de choses. Une partie à la fois perdue dans la masse de tout ce qui me constitue, et à la fois un morceau de moi immense. C’est fou de constater à quel point certains éléments peuvent être fondateurs… C’est fou qu’un simple film puisse à ce point me rebalancer tout ça à la gueule.
Mais le documentaire touche déjà à sa fin.
Par flash, chacun des membres apparaît tour à tour. Ceux qui sont partis, ceux qui restent. Et la voix off de l’introduction que j’ai entendue tant de fois résonne.
« Introducing… X – Japan, Japan, Japan… »
Je compte. Il n’y a pas Amethyst, il n’y a pas « We will show you the place where dreams and life become one », mais ce n’est pas grave, je sais très bien comment ça se passe. Trente fois, la voix répétera le mot « Japan », qui résonnera à travers la salle au rythme de mon cœur…
Mais non, la voix ne répète pas trente fois le mot « Japan ». C’est plus court. Nous ne sommes pas au Last Live. Ce n’est plus ce X là. Il en faut peu pour me déstabiliser.
Sur un vingt-et-unième « Japan », l’image se fige et l’écran devient noir.
Mon cœur s’arrête. Je m’attendais presque à ce que Rusty Nail démarre directement… non ?
Avec une telle fin, je me dis qu’ils ne peuvent qu’enchainer directement. Il est 19h30, le concert avait été annoncé à 20h30. Mais ils ne peuvent pas nous laisser comme ça, pas maintenant. Pas après ça.
Mais il n’y en a pas eu le bon nombre. Pourtant ce serait une belle transition. Non ?
Moment de flottement.
Si.
Les notes de clavier de Rusty Nail résonnent, en boucle. Les lumières s’affolent, l’écran remonte lentement. Je suis tellement sidérée que j’oublie d’applaudir, de crier. Je me lève précipitamment et tout le monde autour de moi semble faire de même. Dans la lumière bleue qui baigne la scène, sous les faisceaux blancs qui marquent le rythme, on distingue quatre silhouettes, toutes petites depuis où l’on est. Peut-être que cette fois-ci j’y suis. Peut-être qu’ils ne vont pas annuler. Peut-être que… Peut-être qu’ils sont là aussi.
Peut-être qu’ils sont là.
« Alright London ! ». C’est l’annonceur de Prologue~World Anthem. Ou ça y ressemble. Je connais le speech par cœur… La seule différence, c’est qu’il s’adresse à nous, cette fois. Pas à un public que j’observe à travers un écran. « Je veux vous entendre crier ! »
Je voudrais crier mais je n’y arrive pas. Ma voix reste étranglée dans ma gorge.
Un par un, il énumère les noms. La liste est plus longue que celle que je connais.
« On vocals, Toshi… TOSHI ! »
Les gens s’agitent autour de moi, crient, j’ai les lumières dans les yeux et les jambes qui tremblent.
« On bass, Heath… HEATH ! »
Oh dieux. C’est vrai, ils sont là, il est là. Et c’est mon heure. Je reprends mes esprits et je crie à mon tour. « HEAAAAAAAAAATTTTHHHHHH ! » J’entends que je ne suis pas la seule. Ça faisait douze ans que j’en rêvais.
« On guitar, Pata… PATA ! »
Chaque clameur est répétée par le public, tiré de la torpeur dans laquelle le documentaire l’avait laissé. Un écho pour chaque nom, des applaudissements. Ils sont là.
« On guitar, Sugizo… SUGIZO ! »
J’ai un sursaut d’incompréhension. L’introduction que je connais par cœur est celle d’il y a vingt ans… J’attendais un autre nom, un nom qui ne viendra pas.
« On bass, Taiji… TAIJI ! »
Le public hurle toujours et moi je bloque, toujours perdue. Ils ont appelé Taiji. Je m’attendrais presqu’à le voir lever le bras avec son air désabusé. Mais non. Nous avons vu sa tombe dans le documentaire. Et fatalement…
« On guitar, hide… HIDE ! »
Le public est plus bruyant que pour tous les autres noms rassemblés. Sugizo pointe vers le ciel. hide a toujours été le chouchou. hide est toujours présent dans les cœurs. hide est toujours un membre à part entière du groupe.
« And on drums and piano… YOSHIKI ! YOSHIKI ! »
Les cris sont encore plus forts. Yoshiki, dès le depart, se pose en maître incontesté. Le documentaire ne laissait pas de place au doute : X Japan, c’est Yoshiki. On le sent directement : un faisceau de lumière blanche éclaire le maître qui fait face au public, les bras en X. Les autres restent dans l’ombre. Le public est totalement réveillé.
« WE…ARE… XXXXX ! »
Une forêt de bras croisés se lèvent, Yoshiki s’assoit. Quatre coups de cymbales, et enfin la véritable introduction de Rusty Nail retentit. C’est un peu le chaos dans ma tête. Beaucoup d’informations à la fois. Christie, à côté de moi, filme la scène, nous filme nous.
C’est l’heure de faire la fête.
Le public chante.
X Japan joue devant nous. En vrai. Pas sur un écran.
Pas comme dans le salon, avec le vidéo-projecteur. Nos enceintes étaient bonnes, mais elles ne remplacent pas ces riffs de guitares qui cognent, résonnent à l’intérieur, ni les cris des 12 000 personnes autour de moi.
Nous avons attendu ça pendant si longtemps, nous n’osions même plus attendre. J’avais arrêté d’espérer, d’y croire, mais le sort a fait que je suis là. Plus de dix ans après…
« Dore dake namida o nagaseba… »
Chers Japonais, pari gagné : tout le public chante en chœur des paroles en japonais. Oui, il aura fallu du temps.
Mais ça marche. N’arrêtez pas de chanter en japonais. C’est aussi ce que nous voulons.
Je me perds dans les paroles, dans les lumières et lasers, dans les effets visuels à l’écran derrière le groupe. La chanson se termine et je suis branchée sur le 230.
« WHAT’S UP, LONDOOOONNN ? »
Le public est en délire. Toshi nous parle. Il est en face de nous. Et sans transition, ils enchaînent sur Hero.
Je ne connais pas Hero –enfin, si, je connais la version classique. Ne nous mentons pas, avec tous les projets différents de Yoshiki, je suis un peu perdue dans les dernières chansons. J’ai fini par me dire que de toute façon, la limite entre X Japan et Yoshiki était quasi inexistante. Les identités sont totalement confondues maintenant, encore plus que dans les années 90.
Je chope les paroles au vol : Toshi nous encourage à participer en nous les donnant. Tout le public chante. On n’est peut-être pas cinquante mille, mais on n’y met pas moins de cœur.
Je remarque que la voix de Toshi tire toujours autant dans les aigus, sans doute plus qu’avant, même si j’ai l’impression que sa voix est plus travaillée qu’avant. En même temps, pas si surprenant…
Et il se plie toujours en deux en levant les bras. Certaines choses ne changeront jamais.
A la fin de la chanson, Toshi s’adresse à nouveau à nous :
« Finally, we are here: WEMBLEYYYY! We’ve been waiting for this moment for a long long time! »
A côté de moi, Christie, avec qui j’avais parlé des progrès colossaux de Toshi en anglais se penche pour me dire « See? He’s like a native! »
Je n’irais pas jusque là, mais c’est vraiment impressionnant. On est loin de l’intro de Kurenai sur Blue Blood, pour sûr…
Toshi laisse le micro à Yoshiki qui nous rappelle : « Ce soir, nous jouons avec TAIJI et HIDE ! »
Le public acclame. X Japan compte bien 7 membres maintenant.
23 juillet 2011
« Taiji est mort. »
Après 10 mois en Chine et une semaine qui lui a fait voir l’Est puis le Nord de l’Inde, Lia et son copain de l’époque arrivent à Delhi. Ce voyage a déjà trop duré, elle n’en peut plus, l’Inde est un traumatisme, elle déteste être ici, elle veut juste rentrer, elle veut des nouvelles de ses gens, ceux qui la comprennent et qu’elle comprend, elle veut oublier l’oppression qu’elle ressent dans ce pays. Elle emprunte l’ordinateur de l’hôtel pour regarder ses mails, pour la première fois en dix jours. Et là, posté deux jours plus tôt, on lui apprend. Taiji est mort.
Elle ne sait pas quoi faire de cette information. A ce moment-là, elle est loin de tout, loin d’elle-même, des passions qu’elle a pu avoir des années plus tôt. Taiji est mort peu après ses 45 ans, si elle a bien compté. Elle se surprend à se rappeler de sa date d’anniversaire. Elle les connaissait toutes à l’époque. Elle savait tout. Mais elle a tout étouffé, tout effacé. X, c’est loin.
Pourtant… Pourtant Taiji est mort. Et elle a une boule dans la gorge. Pas si loin que ça. X, c’est toujours un peu là. Lia ressort son baladeur. Perdue au milieu de Delhi, épuisée, elle a besoin d’écouter Endless Rain.
Yoshiki lance alors la première salve de « We are », suivi par Toshi. Le public s’est bien échauffé pendant l’attente du début du show, mais pouvoir le faire en réponse aux membres du groupe prend tout de suite une autre dimension…
Ils enchaînent avec Jade, chanson élue à l’unanimité de moi-même « frustration musicale du groupe ». L’intro est dingue, pyro dans tous les sens, des flammes rouges font des X sur scène, je m’autorise mon premier headbang. Le couplet fait la part belle à la basse, et ce n’est pas pour me déplaire. Mais le refrain retombe comme un soufflé. J’avais déjà entendu cette chanson en version studio, mais en live, le contraste est encore plus flagrant. Le pont et le solo de guitare (quoique très différent de solos mélodiques du bon vieux X que j’aime) reprennent les sonorités metal ultra efficaces de l’intro, et… pouf, refrain qui retombe. Heureusement, Toshi fait allègrement participer le public en nous tendant le micro. Je n’ai aucune idée des paroles, mais je les attrape au vol. Une chose bien, c’est que les paroles anglaises de X sont souvent plutôt faciles à mémoriser. Comme le power metal. En même temps, X, c’est un peu du power metal parfois.
Jade se termine à grands renforts de flammes et de ces riffs accrocheurs (et tellement trompeurs, la frustration musicale persiste jusqu’au bout). Exclamations et applaudissements, avant que Toshi nous propose d’entendre la voix de Yoshiki, qui fait appeler Pata et meuble en attendant. Je ne sais pas s’ils ont des problèmes de son, mais j’ai l’impression qu’ils ont du mal à communiquer entre eux.
Pata arrive sur scène sous les vivas de la foule. « Il s’est enfin rétabli », nous dit Yoshiki, et la nouvelle est chaleureusement applaudie. Il s’excuse à nouveau pour le report du concert de 2016 et fourre le micro dans les mains d’un Pata à l’air un peu embêté et gêné. « I’m back in London », nous dit-il avant de refourguer le micro, saluer sous les applaudissements, et vite prendre la fuite. Certaines choses ne changent pas ; Pata n’aime visiblement toujours pas trop la lumière des projecteurs…
Yoshiki prend ensuite un temps pour s’excuser également du retard de l’album (rires francs dans le public). « Mais on n’aurait pas pu ajouter les chansons qu’on a maintenant ! Croyez-moi on en est à 99%… Je sais, personne ne me croit plus de toute façon. »
Sachant que l’album était à 90% en 2015, je suppose qu’il y a de l’avancée, mais non, plus personne n’y croit. Yoshiki, comme tous les grands créatifs que je connais (et même les moins grands, ça semble être un mal très répandu), s’éparpille entre ses projets. On aura l’album quand on aura l’album et c’est tout ce qui compte : mais le voir s’empêtrer dans ses explications a un aspect extrêmement comique.
« Mais bon, vu qu’on peut encore, on va ajouter une petite touche à cet album, et pour ce faire on va enregistrer vos voix ».
Acclamations.
« Toshi va vous apprendre. »
« I’m your teacher », s’exclame Toshi. Nous rigolons. Il a l’air de prendre son rôle très au sérieux. « Kiss the Sky », nous annonce-t-il, mais Yoshiki ne l’entend pas. Il commence à jouer du piano, puis s’interrompt pour prendre le micro.
« Cette chanson s’appelle Kiss the Sky.
-Mais je leur ai dit ! », s’indigne Toshi.
C’est un sketch, de ne pas réussir à communiquer à ce point. Et ce n’est que la première fois. Je les vois sans arrêt triturer leurs oreillettes, alors je me demande à nouveau s’ils n’ont pas un problème de son.
Yoshiki joue alors l’air de Kiss the Sky, et le public chante par-dessus. Ce n’est pas la première fois qu’ils le font et certains connaissent déjà l’air -pas très complexe au demeurant. Yoshiki, ne voyant pas Toshi partir, reprend le micro : deuxième faux départ. « Mais ils la connaissent ! », explique Toshi. « Ah bon ? Bon, alors on y va directement : Toshi chante, et vous faites comme lui en faisant wowowo. »
Toshi, ne voulant pas perdre son statut de prof, nous fait donc répéter « Wowowo », en décomposant les syllabes. On est sur du cours très élaboré : à nouveau, je rigole fort. Il est marrant, ce Toshi !
Enfin, ils commencent la chanson pour de bon, et nous répétons les wowowo. C’est un peu le chaos, tout le monde ne sait pas exactement quoi chanter, il y a des chances qu’on se trompe, mais on agite quand même les bras en rythme. C’est un beau moment d’échange et toutes nos voix se mélangent. J’adore les chœurs du public, ça fait partie de mes points sensibles sur une chanson… surtout sur la levée de voix que nous fait faire Toshi à la fin. Emotion.
« Merci, grâce à vous on va enfin pouvoir finir cet album ! Wowowo ! »
Rires, à nouveau. Mince, Toshi et Yoshiki sont drôles !
Yoshiki part sur une introduction de piano que je ne reconnais pas. En fait, c’est toute la chanson suivante que je ne connais pas, mais elle souffre à nouveau de cet aspect « ultra badass mais en fait non ». Pas grave, je headbangue quand même. (J’apprendrai par la suite qu’il s’agit de Beneath the Skin, une chanson du super-groupe S.K.I.N. dont Yoshiki faisait partie avec Gackt, Miyavi et Sugizo. A nouveau : je ne comprends rien aux chansons récentes d’X Japan qui semblent toutes provenir de projets persos différents. S’ils les incluent au nouvel album ça va être un sacré patchwork, c’est encore pire que moi avec ma méthode d’écriture…)
Le style est différent mais pas déplaisant et…
« Hé ! Heath joue AUX DOIGTS. IL SLAPPE. »
OK. Cette chanson est ma nouvelle chanson préférée.
…Bon, d’accord peut-être pas. Mais la partie basse est vraiment dingue. Je suis aux anges et je saute un peu dans tous les sens. Hime me canalise et j’arrête de la fouetter avec mes cheveux, mais je continue à faire la fête. Ma seule déception est le clair manque de twin guitars sur le solo. J’espère que ce ne sera pas le cas pour toutes leurs nouvelles chansons…
A la fin de la chanson, j’ai la tête qui tourne un peu. Je décide de me calmer et ça tombe bien : le rythme s’apaise un peu, Pata enchaîne directement sur son solo, et c’est sympa de le voir occuper l’avant de la scène. Il tease le public en jouant le début de Standing Sex, mais ne va pas plus loin et Heath arrive sur scène pour jouer son solo à son tour.
Je suis partagée. C’est Heath. Il est là, devant moi (même si un peu loin, plus près qu’il l’a jamais été malgré tout), en chair, en os et tout en jambes, avec sa démarche habituelle et caractéristique de celui qui a l’air toujours surpris de se retrouver aussi grand. C’est bien Heath, pas de doute, et je suis ravie… Mais le son de la basse est dégueulasse, la distorsion est trop présente (je n’aime vraiment pas la disto sur la basse), le jeu de basse (au médiator) me laisse perplexe (surtout après le morceau précédent) et…
« Mais pourquoi il joue des accords sur une basse ? »
Pata et Heath jouent un moment ensemble, les instruments grésillent et c’est presqu’un soulagement quand ils arrêtent. Un certain goût de déception quand je sais à quel point tous les deux ont un niveau dingue…
…heureusement, déception de très courte durée, car la boîte à rythme de l’introduction de Drain prend le relais et dès le premier beat je deviens positivement hystérique.
1er janvier 2007 (disons 1h du matin)
« Et toi, c’est laquelle ta chanson préférée ?
– Drain. – Oh. Je ne la trouve pas terrible. Je préfère Kurenai. – Ben… je pense que Kurenai est la meilleure chanson d’X Japan. Mais ma préférée reste Drain. – Mais du coup ta chanson préférée n’est pas la meilleure ? »
Ça paraît évident à Lia, mais ça ne l’est pas pour tout le monde, et elle ne sait pas comment expliquer.
C’est le premier nouvel an qu’ils passent tous ensemble, le premier d’une longue série. Ils sont rassemblés par le sort et par des passions communes, surtout une, celle d’X-Japan. Deux cousins, trois amies, une basse, une guitare, un clavier, une batterie, un micro. Ils font de la musique ensemble, et ce n’est pas glorieux, mais c’est quand même chouette. Et ils sont heureux de se retrouver, sans savoir que ce nouvel an sera décisif.
« Drain, c’est celle avec laquelle je t’avais réveillée ? – Non, ça c’est Miscast. »
L’histoire remonte à 2004, quand, alors qu’elle traînait à se lever un matin pendant les vacances, son cousin lui avait discrètement allumé le baladeur (elle s’était endormie avec ses écouteurs) et avait lancé la première chanson qu’il avait trouvée. Lia ne peut plus entendre Miscast maintenant. Elle lui voue une certaine haine viscérale.
Drain, ce n’est pas pareil. Elle a déjà passé des après-midis à l’écouter. Elle a déjà vidé plus d’une fois tout ce qu’elle avait sur le cœur grâce à Drain. La musique d’hide, les paroles de Toshi, c’est son garde-fou, sa rage, un morceau de son autobiographie (avec Art of Life mais Art of Life ça ne compte pas).
A posteriori, c’est logique : elle a toujours préféré le metal indus, et peut-être bien même que Drain a été ses premiers pas dans le genre.
Ils échangent encore un peu et finissent par s’endormir. 2007 sera une année surprenante et riche en émotions. Et que dire des dix autres qui suivront…
Toshi (en tee-shirt, ce qui pour une raison que je ne m’explique pas lui donne facilement 20 ans de moins. Vous êtes sûrs que ces gens ont cinquante ans ?) rejoint Heath et Pata sur scène et une voix annonce « Drain ! ». Je crois avoir mal entendu, je ne sais pas trop, je ne suis déjà plus là, à sauter partout et devenir folle en headbanguant et en beuglant les paroles.
Cette fois-ci je n’ai pas mal entendu, je me tourne vers Hime : « C’est hide qui fait la deuxième voix ! » Elle ne m’entend pas, je repars dans la chanson.
La basse est ouf. La guitare est ouf. Yoshiki n’est pas là et ce n’est pas grave, ce n’est pas sa chanson, il est déjà bien assez présent partout ailleurs et moi je suis en train de voir ma chanson préférée en concert alors que je ne m’y attendais pas du tout, je suis aux anges. Christie rit de me voir à ce point décoller.
Je ne m’arrête pas un instant de bouger et hurler. Toshi annonce « HIDE CHAAAAN » pendant qu’en voix off, hide continue de faire la deuxième voix du refrain, plus clairement qu’au début.
« Let me drain – my feelings out – lough like a drain – my emotions scream… LET ME DRAIIIIN ! »
Le dernier cri de Toshi résonne jusqu’au fond de moi. Je sens que la Lia de quinze ans entrouvre de plus en plus la porte. Il s’en passe des choses dans ma tête, dans mon cœur qui bat la chamade, tout vibre, c’est incroyable de vivre ça. Mon corps est secoué et je dois m’agripper au siège pour ne pas tomber.
Toshi, Heath et Pata sortent de scène sous les acclamations, et l’atmosphère devient planante. Du bleu, des planètes sur le grand écran, et une silhouette entre côté cour. Nous sommes loin, nous ne voyons pas bien, à part un long… manteau ? Robe ? Et des cheveux clairs ?
« C’est Yoshiki ? »
Mais non. Dès que la silhouette sort un violon, je comprends.
« C’est le solo de Sugizo ! »
C’est vrai, Sugizo fait du violon… C’est vrai, je l’ai même un peu connu grâce à ça. Après tout, ma « petite sœur » de l’époque s’était mise au violon grâce à lui.
Nous nous rasseyons pour profiter du spectacle. Avec ces lumières, ces couleurs, nous voyageons littéralement sur une autre planète. L’espace d’un instant je me demande pourquoi Sugizo joue du Hervé Vilard, avant qu’il n’arrive au refrain et que tout devienne évident : Bowie. Life on Mars. Ce n’est pas une robe, c’est un long manteau avec le drapeau du Royaume Uni.
Logique.
Je me sens flotter, transportée. J’apprécie ce moment de plénitude un peu surréaliste.
Je prends un moment pour observer Sugizo, le nouveau membre d’X Japan que je ne connais, finalement, pas tant que ça. Je n’ai jamais beaucoup écouté Luna Sea (je n’ai pas des masses écouté de J-Rock ou de Visual Kei en dehors d’X Japan en fait), je le connais bien de réputation, mais c’est tout.
Sugizo a une grâce assez fascinante, un visage de farfadet qui multiplie les mimiques et grimaces, mais aussi un air très doux. Tout ça lui donne un charisme hypnotisant que je ne lui avais jamais remarqué. De tous les guitaristes qu’ils auraient pu trouver pour compléter le groupe, c’était sans doute le meilleur choix qu’ils auraient pu faire. Surtout avec son violon. Un violoniste dans X Japan, c’était une idée merveilleuse.
Jusque là, pour moi, Sugizo était un « membre de session ». Mais je suis conquise : il est bel et bien un membre à part entière, et peut-être même un de mes préférés maintenant…
Sugizo laisse traîner la dernière note de Life on Mars et Yoshiki le rejoint au piano pour un autre morceau. C’est beau, doux, je plane un peu. C’est formidable, cette alternance entre les morceaux qui me secouent et ceux qui m’apaisent. Ce rythme est parfait.
Yoshiki et Sugizo terminent sous les acclamations et Yoshiki enchaîne avec l’introduction d’une chanson que nous avons entendue plusieurs fois hier en nous mettant à jour avec Hime : La Venus, leur dernier morceau. Pour le coup, celui-là, je connais les paroles. Facile, ça parle de pluie, de roses, de mort, et d’amour (bref, c’est une chanson écrite par Yoshiki).
Si la chanson m’avait parue neuneu et ridicule quand on l’avait écoutée hier, je dois lui reconnaître une force sur scène. Pas assez pour faire se relever les gens autour de moi, mais largement assez pour que je sente mes entrailles se tordre lorsque les guitares, la batterie et la basse entrent en scène. C’est très simple, peut-être même trop simple pour une chanson d’X, mais les sonorités sont indéniablement du X Japan. Il ne manque que des paroles en japonais et un solo de guitare pour obtenir une petite sœur à Endless Rain. Le solo de guitare ne vient pas, mais des gerbes d’étincelles s’élèvent sur scène et viennent parfaire cette ambiance apaisante.
« See, see the roses of love…”
J’ai un frisson quand Toshi reprend a capella, suivi par des accords d’orgue, pendant que Yoshiki va s’installer au piano pour compléter le morceau sur un air quasi religieux.
J’étais dubitative mais la magie a opéré. Techniquement, ça n’est pas et ne sera jamais leur meilleure chanson, mais ce n’est pas grave, ça y est, j’aime La Venus.
Yoshiki semble touché par nos acclamations. Yoshiki et son émotivité… Il prend un moment pour discuter avec nous et une chose me marque. « Hime. Yoshiki. Il sourit de son vrai sourire ! »
Hime rayonne autant que moi. Pas de tête pincée comme sur les interviews. Juste le Yoshiki qui est là pour s’amuser. Et ça fait tellement plaisir de le rencontrer.
Il nous remercie et nous dit : « As you know, X Japan had so much sad story, but because of you, we are still here. »
Mon moi ex-prof d’anglais hurle. Le cours sur much/many/such/any… Et surtout, cette faute que Yoshiki semble faire en permanence : « because of » vs. « thanks to ». A cause de nous, vraiment ? Mais si on te fait chier on arrête, hein… (non, en fait on n’arrêtera pas, jamais. Les fans de X sont au moins aussi bornés que le leader du groupe, c’est toute la beauté de la chose.)
Un jour il faudra que je lui écrive pour lui dire que c’est « grâce à ». Un jour. Probablement jamais.
Il continue en faisant de la promo pour la BO de We Are X et l’édition spéciale Wembley, en rouge, violet et bleu, en faisant mine de les présenter à Toshi.
Soit ils ne s’entendent pas du tout quand ils se parlent, soit ils sont très mauvais acteurs, soit les deux, mais la performance est quand même drôle. Toshi fait l’andouille pour le plus grand plaisir de son public.
Yoshiki explique qu’ils ont dû mettre en pause l’enregistrement du nouvel album pour pouvoir enregistrer des nouvelles versions de leurs chansons pour ce CD. « We try to come up with any excuse now. » Le public ricane.
Yoshiki nous parle de l’avancement de ce prochain CD, et même Toshi semble ne pas y croire. L’échange est vraiment drôle.
« La partie de Toshi est terminée, nous dit Yoshiki.
– VRAIMENT ?
– Oui… Je pense.
– J’espère. » Toshi ne laisse aucun doute : au cas où on ne l’aurait pas compris, Yoshiki est un dictateur en studio.
Yoshiki continue à nous parler de l’avancement, « mais oui, ça va être du gâteau ». Nouveaux rires. Il doit se rendre compte qu’il s’enfonce, parce que même lui se met à rire. « Bon OK, on enchaîne. »
Il nous parle du précédent show à Londres, en 2011. Ils étaient passés à Paris, aussi, mais j’étais en Chine à ce moment-là… et je ne sais pas si, après toutes les déceptions, je serais vraiment allée les voir. A posteriori, j’aurais sans doute bien aimé, mais ça n’a plus d’importance : je les vois maintenant.
Alors que Yoshiki va s’installer à son piano, un homme dans le public lui crie qu’il l’aime. Très spontanément Yoshiki lui répond « Love you too » qui rend le public hystérique (Il est par ailleurs intéressant de noter que Yoshiki compte au moins autant de fanboys que de fangirls).
Une fois installé, il nous explique qu’aucun des membres n’a vu la version « Wembley » de We Are X, que nous sommes donc les seuls à avoir vue. Puis il nous dit que X Japan cherche à faire passer un message.
« Notre message, c’est : rien n’est impossible. »
Puis il pianote, en se tournant vers Toshi pour lui demander s’il veut dire quelque chose.
« Toshi, do you want to say something? »
Il attend. Toshi se tourne vers lui, l’air perdu.
« Toshi? Do you want to say something? »
Ma théorie du « ils ont un souci technique qui fait qu’ils ne s’entendent pas quand ils s’adressent l’un à l’autre » se précise quand je les vois galérer. Ou alors ils ont vraiment mal répété leurs échanges. Mais le « say something » me fait tiquer
Et je ne suis pas la seule.
Toshi se réveille : « Say something ? Say anything? »
Yoshiki rit: « Non, non ! », mais il commence à jouer Say Anything.
Toshi lance la chanson et toute la salle part en chœur, le moment est magique, et ce n’est pas Yoshiki qui dit le contraire : après le premier refrain, il s’arrête, se tourne vers nous et nous explique que ce n’était pas du tout prévu. « On fait vraiment n’importe quoi pour notre public de Londres… Elle n’est même pas sur la setlist. »
Acclamations. Ce n’était qu’un bout de la chanson, mais je suis aux anges d’avoir pu avoir ce moment d’imprévu. Ce sont les plus belles parties des concerts. Surtout quand tout le public suit – ils ont dû être un peu surpris…
Yoshiki annonce ensuite que nous allons reprendre la setlist prévue et relance : « Toshi, do you want to say something? »
Je suis beaucoup trop bon public pour le comique de répétition. Je ne suis pas la seule. La salle ricane à nouveau. Yoshiki enchaîne avec des grappes de piano, et Toshi annonce : « One more message. Life… Life is BEAUTIFUUUUL !!! »
Le piano s’emballe et cette phrase me touche au plus profond. Je repense au X Japan d’il y a… vingt ans ? Déjà ? Je repense aux paroles douloureuses et aux larmes sur le Last Live. En connaissant toute l’histoire et les péripéties, en sachant ce que chacun a traversé, ce « La vie est belle » est encore bien plus fort que « Rien n’est impossible ».
La vie est belle. Ils s’en sont sortis, ils sont revenus. Ils s’amusent entre eux.
Et pour enfoncer cet élan de positivité, Yoshiki joue l’introduction de Born To Be Free.
Cette chanson-là, je la connais. C’est peut-être celle que je préfère de leurs dernières, même si je n’y reconnais pas des masses X Japan. Et en live, elle prend tout son sens. Fini le repos, je suis debout, je saute, je headbangue pendant que la scène est noyée sous les lasers verts quasi épileptiques, les flammes rouges et la lumière rouge de l’écran.
La batterie est formidable sur ce morceau. L’énergie est dingue, le public répond de la manière la plus dynamique possible,
Au monologue, Yoshiki quitte la batterie et court vers le piano.
« But I won’t run, I will rule. »
Après un refrain plus doux au piano où tout le public est invité à chanter en chœur, Yoshiki s’agace sur le piano avant de courir à la batterie pour un dernier refrain où toutes les lumières deviennent folles, tout explose, les instruments remplissent la salle. Je braille les paroles à ma sauce : ça me fait du bien.
« Born to be free, nobody can steal my life away! »
La chanson finie, la tête me tourne, mais X Japan ne me laissera pas de répit. Mon cœur s’arrête : les lumières deviennent rouges et un ensemble de cordes que je connais beaucoup trop bien commence.
« Oh my God ». J’entends Christie à côté de moi qui sort son téléphone. « This is so important », dit-elle en se préparant à nous filmer toutes les deux.
Si important. Nous avons attendu ça pendant si longtemps. Non : nous n’avons même pas espéré l’attendre, pendant si longtemps.
Nous nous tenons prêtes.
La scène est rouge, les écrans affichent des images d’hide. C’est lui qui fait l’introduction, acclamé comme tous les autres, peut-être plus fort encore.
Courant 2007, conférence téléphonique.
« Putain mais Sam, pose cette gratte et donne ton avis ! »
Ces conférences téléphoniques sont salvatrices. Pour contrer la solitude quotidienne, Lia se réfugie dans son groupe d’amis à distance, avec qui elle passe de longues soirées au téléphone. On y parle du groupe de musique, des aléas de la vie, des dernières découvertes… Et ça fait du bien. Mais voilà, à chaque appel c’est pareil, à chaque répète c’est pareil. Et TOUS LES GUITARISTES C’EST PAREIL. Lia déteste les guitaristes. Ils n’écoutent pas. Dès qu’ils ont une gratte dans les mains, ils ne peuvent pas s’en empêcher. Ils ne savent pas compter quand on leur demande un solo. Il faut toujours qu’ils dégoulinent et occupent l’espace sonore alors qu’il y a une discussion en cours.
Et puis il faut toujours-toujours-toujours que ce soit l’intro de Kurenai.
C’est comme si l’intégralité de son groupe d’amis (même ceux qui ne sont pas censés jouer de la guitare !) avait décidé d’apprendre Kurenai.
Lia déteste la guitare et les guitaristes. Mais elle aime toujours Kurenai. Faut pas déconner non plus.
« I couldn’t look back, you’d gone away from me… »
Nous chantons avec Toshi. Christie filme toujours. C’est poignant, de retrouver hide sur scène, comme ça. C’est comme s’il était là, avec nous, vingt ans plus tard, pour cette chanson… Le moment de partage est presque religieux et profondément bouleversant.
Mais quand vient la fin de l’introduction, quand la guitare égrène ses arpèges lentement, c’est comme ces montagnes russes où l’on monte, on monte, et lorsqu’on arrive en haut, on profite de la vue pendant le quart de seconde qui précède la chute.
Les arpèges sont finis. Je suis en haut. Je regarde le paysage. Mon cœur bat la chamade, il va exploser.
Et puis Toshi crie.
Tout explose.
« KURENAI DAAAAAA ! »
Je hurle avec les autres quand les riffs de guitares éclatent, en même temps que la pyro et que des gerbes de rubans rouges se déversent sur le public. Alors que je saute, mes genoux me lâchent. Je me sens tomber par terre, m’accroche au siège derrière moi. Rien de grave, rien de dangereux, un instant de flottement où je ne comprends juste pas trop pourquoi mes jambes ne me portent plus.
Il y a la fatigue, l’épuisement du voyage, l’épuisement de toutes les chansons précédentes.
Il y a la soif, peut-être un peu.
Et puis il y a tout le reste.
Ce n’est pas n’importe quelle chanson. C’est Kurenai.
Les guitares chantent, les gens autour de moi hurlent et moi je ne saisis plus rien – rien d’autre que ce « C’est Kurenai ».?
C’est quand même une expérience bizarre de me voir littéralement au sol, je me demande pourquoi mes genoux refusent de me porter. Christie et Hime s’inquiètent un peu, mais je sais que je vais me relever. Ce n’est pas la première fois que je flanche en concert et je me relève toujours. C’est la voix de Toshi qui finit par me remettre debout. Il ne faut pas rater une ligne des paroles, pas un mot, pas une syllabe. C’est Kurenai. C’est Kurenai, et c’est tellement important. Leur son est là, brutalement mélodique, brutalement honnête, violemment présent. Les paroles de la chanson reviennent toutes seules, leur sens aussi, 12 ans après tout est aussi frais que la veille. Sur la rangée, nous sommes toutes debout, toutes à chanter, toutes à nous égosiller.
« KURENAI NI SOMATTA KONO ORE WO NAGUSAMERU YATSU WO MOU INAI… »
Dans le documentaire, Gene Simmons (dont le groupe KISS a quand même été une inspiration majeure pour X, bonjour la symbolique) dit : « Si ces gars étaient nés en Angleterre ou aux Etats-Unis, s’ils avaient chanté en anglais, ils auraient bien pu être le groupe le plus important du monde. »
Mais voilà, Kurenai est en japonais et quand Toshi nous laisse le micro, nous sommes 12 000 et nous scandons les paroles de Kurenai comme si nos vies en dépendaient.
Et ces paroles-là, je ne les voudrais pas en anglais pour tout l’or du monde.
Cher Yoshiki, chers membres de X susceptibles d’écrire des paroles, j’insiste vraiment : n’arrêtez jamais d’écrire en japonais. Le son de votre langue maternelle est tellement plus adapté à vos chansons.
« OH CRY IN DEEP RED! »
La chanson se termine mais j’aurais voulu qu’elle ne se termine jamais. Je suis épuisée mais je flotte encore, tandis que les membres saluent avant de disparaître de scène.
Je me laisse retomber sur mon siège, sonnée. C’est impossible que ce soit fini. Les lumières sont toujours allumées et ils n’ont pas joué X. Alors nous les appelons, les « We are X » se multiplient dans le public.
Après environ cinq minutes à croiser les bras en chœur avec les autres, je percute : « Mais en fait… C’est l’entracte ! »
Un entracte. Comme un vrai gros concert d’X-Japan. Ca veut dire qu’il reste au moins autant de temps de concert, en fait ! Je suis heureuse, soulagée, je ne veux pas que ça s’arrête, il y a encore tant de chansons que j’ai envie de voir, je ne veux pas qu’ils partent.
Alors que les « We are X » continuent à tourner dans la salle, nous profitons de cette pause pour échanger nos premières impressions, des étoiles dans les yeux.
Nous semblons toutes d’accord sur le fait que « ça fait bizarre ». Ca fait bizarre, parce que même s’ils sont là, on ne réalise pas vraiment. Même en m’étant pris Drain et Kurenai dans les dents, je ne réalise pas qui est en face de moi, surtout qu’ils sont loin. Ca me rassure de ne pas être la seule.
Nous commentons l’absence d’hide, qui pèse lourd. Ca fait bizarre, de voir ce groupe sans hide, de prendre conscience qu’il n’est pas là.
Quand nous sommes tombées amoureuses d’X Japan, le groupe était déjà mort depuis des années… et hide aussi. Alors, forcément, ça ne paraissait pas si réel. Comme tous les artistes qu’on peut écouter en sachant qu’on ne les verra jamais. C’est normal, que ce soit bizarre et qu’on ne réalise pas. C’est un deuil qu’on avait fait. On les a pleurés tant de fois. Alors les revoir, maintenant, après tout ça… Ce serait trop un miracle. On ne peut pas encore réaliser.
Nous plongeons dans les souvenirs, les retours au « bon vieux temps », celui du forum rose, des mauvais jeux de mots, des histoires, et celui de mon groupe…
« Tu te rappelles que vous lui aviez donné une demo de PurpYnk ? », me demande Camille d’un coup.
La question me prend de court. Je sens la couleur quitter mon visage et mon esprit devient lourd. Brume interne. Oui. Non. Pas du tout. Je…
Oui.
Bien sûr que oui. L’été 2007. Je me rappelle cette semaine où nous nous étions battus en duel contre la montre pour faire de très mauvais enregistrements des (pas meilleures) chansons que nous avions écrites pendant l’année. Soudain tout fait sens, pourquoi nous avions fait ça si vite, pourquoi j’avais tout plaqué à ce moment-là pour ne me concentrer que sur ce projet unique, le pourquoi de nombreuses engueulades avec d’autres gens pour des « choses que j’avais délaissées ».
La semaine suivante, il y avait Japan Expo, celle où Yoshiki serait présent, celle où je ne serais pas mais où le reste du groupe lui donnerait le fameux CD. Et son livret de paroles, j’imagine. Et une lettre, probablement. Sans doute.
Je ne m’en rappelle plus. Je ne me rappelle pas de ce que nous avons donné. Je ne me rappelais même pas…
Le seul truc vraiment réussi à l’époque, c’était le logo. Alors je ne résiste pas à l’envie de vous le ressortir. Il a plein de symbolique, je vous jure !
C’était y a dix ans, l’album s’appelait UtopiA, et on était classes. Si.
Je me souvenais bien de la semaine grâce aux photos et aux enregistrements. Je me souvenais de cet événement grâce à mon CD d’Art of Life, premier objet signé par Yoshiki dans la longue file de dédicaces de Japan Expo que mes amis avaient réussi à intégrer vaille que vaille.
Je ne me souvenais plus de pourquoi.
Pourquoi est-ce que c’est Camille qui me rappelle ça ? Pourquoi, alors qu’elle n’était même pas là à l’enregistrement ? Comment ?
Mars 2017, deuxième semaine
« Dis, tu te rappelles, toi, qu’on avait donné un CD de pYnk à Yoshiki ? » A : Bien sûr. Je me rappelle même qu’à l’époque on se disait « J’espère qu’il va l’écouter ». Et maintenant quand j’y repense, je me dis « Oh pitié, faites qu’il ne l’ait jamais écouté ! » S : Ah oui ! Je m’en souviens super bien. On avait rushé comme des fous pour que ce soit prêt pour Japan Expo. C’est bizarre que tu ne t’en souviennes pas. P : Maintenant que tu en parles, effectivement…
Lia ne se rappelle pas. Lia creuse mais il n’y a aucune émotion liée à tout ça. La seule chose dont elle se rappelle, c’est une maxi engueulade avec sa mère qui considère que ses priorités ne sont pas bonnes, parce qu’elle veut se plonger dans la musique et ne rien faire d’autre, parce que c’est urgent, parce que c’est un once in a lifetime. Il n’y a que cette engueulade dans sa mémoire, et les photos qui traînent sur son disque dur. C’est tout.
Comment a-t-elle pu oublier quelque chose qui avait autant d’importance ? Pourquoi est-ce Camille qui lui a rappelé, comme ça, alors qu’elle n’était même pas là pendant le rush ? La décision soudaine de le faire, l’urgence de le réaliser, les tensions, la force des rêves de jeunes gens de 15-16 ans qui se disent que l’amour et la motivation peuvent compenser leur manque de technique.
Tout ça est pire que loin : tout ça est effacé.
Combien de choses disparues encore, avec lesquelles il faut renouer ?
Lia repense à la psychologue qui lui a dit plusieurs fois qu’il fallait « réactiver les souvenirs pour retrouver les émotions ». Cela fait tellement longtemps que Lia se bat contre la dissociation, au point qu’elle fait presque partie d’elle maintenant, et de telles choses lui font réaliser à quel point chemin est encore long.
Lia pleure. Il lui manque un bout de sa vie, et elle ne comprend pas, et elle a peur, et elle en a marre de devoir se battre en permanence.
Mais la musique, elle, elle est là. Le CD d’Art of Life tourne en boucle dans la chaîne. Et pour réactiver, elle réactive.
Il y en a des tas là-dedans, des choses que Lia a oubliées. Il n’y a plus qu’à creuser…
Les souvenirs de la Lia de terminale me reviennent encore plus dans la figure que pendant Drain. Je repars dans mes pensées, secouée. Les différentes Japan Expo, le câlin à Pata, comment ma femme et moi nous sommes rencontrées…
Je dois beaucoup de rencontres et de souvenirs à X Japan. C’est étrange. J’ai l’impression d’ouvrir une boîte de Pandore, mais au lieu de me sauter à la gueule, les démons s’évaporent et je dois leur courir après pour les identifier.
Quelques « We are X ! » plus tard, les lumières se recentrent sur la scène et une bande son orchestrale se met en marche. Le public acclame, son attention est regagnée.
La scène devient bleue, l’écran du fond affiche à nouveau des étoiles, les envolées de cordes résonnent en moi. Ils se font attendre.
Enfin, Yoshiki arrive, tout de blanc vêtu, et s’installe au piano sans mot dire pour nous jouer une Sonate au clair de lune pleine d’émotions (bien renforcée par les galaxies colorées qui passent sur l’écran derrière lui). Je ne sais pas pourquoi, mais le fait que Yoshiki joue des pièces classiques me ravit.
Bon, en vrai, de là où on est, on ne voit pas grand-chose, guère qu’une tache blanche éclairée au milieu de la scène. Mais ce n’est ni important ni grave : je sais d’où vient la mélodie, et l’ambiance est parfaite. J’aime le piano, j’aime vraiment le piano, je me fais toujours transporter par un morceau de piano bien joué, mais si en plus on me joue du piano avec les couleurs qui correspondent, je suis comblée… Je plane pendant ces quelques minutes, avant que le maestro ne joue ses derniers arpèges. Il commence juste à marteler les notes graves avant de se lever et se diriger vers sa batterie.
« Il a mûri », me dit Hime. « Maintenant, quand il commence à s’énerver sur le piano, il change pour la batterie plutôt que massacrer les touches. »
Sur l’écran derrière la scène, c’est la tempête, l’orage, l’apocalypse. L’ambiance me prend aux tripes. Ça vibre.
Un morceau classique commence. Le même que celui du solo de batterie du Last Live…
Yoshiki se tient devant nous, droit, alors que l’écran le pare des ailes que nous avions pu voir dans le documentaire (et qui constituent d’ailleurs son affiche). C’est pompeux à mort, pas de doute : c’est du grand Yoshiki, dans toute sa glorieuse modestie.
Puisque je vous dis que cet homme est la modestie incarnée.
Après un instant de pose pour les photographes et caméramen, il s’assoit à sa batterie.
Et le show commence.
Alors soyons honnêtes :
– après les guitaristes (qui détiennent quand même la palme de l’instrumentiste le plus chiant dans un groupe), il n’y a pas grand-chose de plus pénible qu’un batteur qui fait du remplissage (ON AVAIT DIT UN BREAK TOUTES LES HUIT MESURES PAS UN BREAK DE HUIT MESURES PUTAIN SAM).
– En plus, la batterie n’est sans doute pas l’instrument le plus mélodieux qui existe, alors un morceau complet…
– De facto, on a tous au moins une fois passé le solo de batterie du Last Live parce qu’il était quand même un peu chiant à regarder (oui bon voilà c’est un mec qui tape sur des fûts avant de défoncer sa batterie et de s’effondrer : wouh.)
Bref, j’étais plutôt dubitative.
Mais entre un solo de batterie sur DVD et un solo de batterie dans une salle où l’on est, il y a plus qu’un fossé : à ce stade, c’est le Grand Canyon.
Yoshiki tape et frappe, et chaque coup me fait vibrer, résonne en moi. Les coups de caisse claire sont autant de coups de feu qui me transpercent, et lorsqu’enfin la double grosse caisse entre en scène, c’est comme si Yoshiki nous mettait tous au rythme des battements de son propre cœur. Tachycardie collective.
J’éclate en sanglots. En gros sanglots incontrôlables et incompréhensibles, parce que tout ça va fouiller très loin au fond de moi, parce que ça y est, enfin, il aura fallu ces coups nets de double grosse caisse pour que je réalise qui j’ai en face de moi je crois. Ça ne fait plus bizarre, c’est la vérité. Je me range, je vais me cacher, je laisse la place, enfin, à celle qui se faisait discrète jusque là mais à qui ce concert revient de droit : la moi de 2005, qui vibre et pleure en chœur.
A portée de main, Yoshiki a un clavier, et il profite de sa présence pour « reposer ses bras ». En maintenant la double grosse caisse (il faut bien que les jambes fassent de l’exercice après tout, il reste assis tout le concert !), il commence à jouer Forever Love.
Parfait, ça tombe bien, je n’étais pas déjà dans un état lamentable, à me morver dessus, c’était tout ce qu’il me manquait. Le mouchoir que Camille m’a donné en début de concert est mort, maintenant.
Mon téléphone affiche 0% de batterie, mais tout ça est tellement fort que j’ai envie de tenter le coup de l’immortaliser : je prends une photo de la scène. Le téléphone meurt aussi sec, je ne sais pas si la photo est enregistrée ou non mais ce n’est pas grave. Yoshiki frappe toujours.
Finalement la sauvegarde a fonctionné. La dernière photo de mon téléphone en jette.
Yoshiki frappe, je pleure. Il s’arrête, je pleure. Il recommence, je pleure toujours. Mes larmes sont intarissables. J’ai l’impression de pleurer tout ce que je n’ai pas pleuré à l’époque. (Et pourtant les dieux savent que j’en ai versé, des larmes !)
OK, Yoshiki, tu remportes cette manche. Les batteurs c’est chiant mais toi tu as encore une fois réussi à ne pas faire comme les autres. Voilà que la batterie s’est transformée en l’instrument qui émoustille le plus les sens que je connaisse.
Un solo viscéral qui a su faire remonter plus de choses en moi que mes dernières séances de psy.
Yoshiki s’effondre. Toshi entre sur scène. Comme pour m’achever, il entame Without You a capella.
Christie se tourne vers moi. « Aaaaaw », fait-elle en me voyant en larmes, et me tapote l’épaule en réconfort. J’essaie tant bien que mal de ne pas me noyer.
Après quelques mesures, Yoshiki, visiblement remis de son solo de batterie, s’installe au piano pour accompagner Toshi.
« Oh, how should I love you, how could I feel you? »
La chanson est déchirante, ce genre de morceaux qui donne juste envie de s’arracher le cœur et le jeter au loin tellement c’est fort. La voix de Toshi, qui tire et perce dans les aigus, accentue encore plus cet effet. C’est lancinant.
Et pourtant, quelle victoire que cette chanson ! A l’époque, nous n’espérions jamais l’entendre chantée… Il y avait une version piano qu’on entendait un peu, sur une vidéo, et puis la découverte de l’existence de paroles « que seul Toshi pourrait chanter ». Mais ils ne s’étaient pas réconciliés à l’époque… Il y avait une version orchestrale, faute de mieux, sur laquelle j’avais déjà bien pleuré.
Et voilà. Plus de dix ans plus tard, ils sont là. Et c’est bien la voix de Toshi, sur cette chanson par Yoshiki.
Et au-delà du deuil qu’exprime cette chanson, elle est par son existence même symbole d’espoir. Tout arrive, finalement. « Rien n’est impossible », comme dit le leader.
Au-délà de leurs douleurs et de leurs cicatrices, ils sont debout devant nous, loin de leurs contrées, et ils jouent à nouveau ensemble. Et c’est beau.
1998 – 2007 – 2017. Presque 20 ans après hide manque toujours autant, et il inspire toujours autant. Dessins par Watou, qui était avec nous par la pensée le jour du concert.
Le public écoute religieusement, les yeux qui brillent. Moi je n’ai toujours pas arrêté de pleurer.
« Without you… »
Toshi laisse mourir sa voix et le morceau se termine sur un ultime arpège à la mélodie de piano qui m’a hantée pendant de longues années.
Pas un mot n’est prononcé, à nouveau on enchaîne directement : Yoshiki commence à plaquer les accords de I.V.
Depuis 2007, je ne sais pas quoi penser d’I.V. Déjà, le titre comme les paroles évoquent un des trucs dont j’ai une phobie monstrueuse, les injections intraveineuses. (Je vous ai déjà parlé de ma relation aux perfusions ?..) Ensuite c’était leur première chanson de retour, de « nouveau X », et… je ne m’attendais pas à ça. Résultat des courses : je l’ai très peu écoutée, je ne la connais pas si bien, et je ne suis pas sure qu’elle me plaise.
Heureusement, pendant quelques minutes, la chanson ne commence pas : Toshi se contente de nous apprendre le refrain, phrase à phrase. « In the rain… Find the way… », accompagné par Sugizo (dont je me moque un peu de l’accent anglais, mais gentiment : « in ze waaain »…)
Le public répète en chœur, et l’ensemble est magnifique. Quand Toshi nous considère prêts, il se tourne vers Yoshiki, chante la dernière phrase du refrain… Et I.V. commence réellement.
Elle a du tonus, en fait, cette chanson. Pour la peine, j’en ai arrêté de pleurer et je recommence même à headbanguer. Une fois de plus, j’aime les lignes de basse. Et nous chantons tous le refrain, et Toshi nous répond, et ça transforme la douloureuse I.V. en une chanson live absolument formidable.
Bien. Peut-être – peut-être – que je vais réviser mon jugement sur cette chanson. Peut-être qu’en fait elle est géniale et j’ai déjà hâte de la revoir sur scène.
…la revoir ? Mais je suis encore au milieu du concert…
La chanson prend fin sur une cacophonie monstrueuse, mais les instruments ne s’arrêtent pas. Ils restent en fond alors que Toshi s’adresse enfin à nouveau à nous :
« Est-ce que ça va ?!
– OUIIIII !
– Ca va être la dernière chanson !
– NOOOOOONNNN !
– We’re gonna ROCK YOU. We’re gonna X YOU. »
Pas besoin d’en dire plus. Nous savons tous ce qui va se passer et mon cœur bat à nouveau la chamade. Trois « We are ! » plus tard (auxquels le public répond avec toujours plus d’enthousiasme même après presqu’1h30 de concert), Toshi ne fait pas durer le suspense plus longtemps et annonce :
« XXXXXXX ! »
Une forêt de bras croisés se lève. Et puis c’est le chaos.
Lumière partout, lasers partout, fumée sur scène, les instruments explosent, je ne tiens plus en place. Je parlais d’hystérie sur Drain ? Oubliez. Ce qui se passe maintenant est mille fois plus puissant.
C’est incroyable. Je me réjouis d’être en arrière car je ne vois peut-être pas très bien la scène, mais je vois parfaitement bien la vague de spectateurs qui sautent, les bras croisés au-dessus de leurs têtes.
L’énergie de cette chanson est remarquable. Tout le monde s’amuse. Toshi annonce les musiciens. Je hurle le nom de Heath, comme au bon vieux temps, comme au temps où c’était un écran et ce n’était pas la réalité. J’acclame les membres un par un, je braille le refrain, je suis intenable. Le nom de hide est à nouveau celui qui est clamé le plus fort…
Tout le monde saute, tout le monde chante, tout le monde danse, sur scène ils s’éclatent… Bon sang, tout le monde est tellement HEUREUX et POSITIF. On parlait d’intraveineuse plus tôt, et je voudrais que cette chanson me rentre dans les veines comme une source d’énergie intarissable.
Mais la chanson se termine et s’ensuit un long, très long chapelet de « We are !
– X !
– You are !
– X ! »
Nous ne baissons pas les bras, nous ne cessons pas de hurler, Toshi et Yoshiki se passent le micro, il se passe n’importe quoi sur scène, les confettis pleuvent, Yoshiki se promène, Toshi prend sa place à la batterie, nous hurlons toujours, et je pleure à nouveau tout mon saoul.
Yoshiki nous demande de faire entendre nos voix à hide et Taiji, et leurs noms apparaissent sur les écrans. Nous n’en hurlons que plus fort.
Je suis là, je suis X, je ressens, je crie, je laisse sortir toutes ces choses que j’ai pu retenir, j’épanche mon cœur en cris. Je suis X et les 12 000 personnes autour de moi aussi. Et ceux sur scène, qui ont l’air si heureux ensemble, sont plus X que jamais, malgré leurs deuils et leurs difficultés.
A cet instant présent j’ai l’impression d’être exactement ce que je dois être, exactement à l’endroit où je dois être. Et je crois que ça, c’est la magie de X.
Je n’en peux plus de sauter et headbanguer, je suis épuisée, mais je tiens jusqu’au bout, et je lèverai les bras le nombre de fois qu’ils nous inviteront à le faire. A côté de moi, Hime a mal aux bras.
Yoshiki se casse la voix dans le micro à force de nous faire répéter que nous sommes X, il détruit un gong puis retourne à sa batterie et rend la parole à Toshi.
« Psychedelic Violence and Crime of Visual Shock. »
Tout un programme, qu’ils ont non seulement su tenir, mais qu’ils ont en plus popularisé, au point qu’il a pu arriver jusqu’à nous.
Toshi conclut enfin :
« WE ARE XXXXXXXXX ! »
Je m’attends à ce que la chanson reprenne, mais ultime surprise : hide apparait à l’écran et nous fait sa fameuse tirade que je ne saurais vous traduire. Emotion, avant de reprendre.
« X ! KANJITE MIRO
X ! SAKENDE MIRO
X ! SUBETE NUGISUTERO
X ! KANJITE MIRO
X ! SAKENDE MIRO
X ! KOKORO MOYASEEEEE »
Et comme je saute, les bras croisés au-dessus de ma tête, je repense à mon tee-shirt hide acheté sur eBay en 2005 et aux réflexions de ma mère sur le fait que « ça passe avec l’âge ».
Fig.44 : Lia fraîchement bacheliée avec un tee-shirt magnifique. Photo d’archives de 2007.
« Tiens, je t’ai lavé ton tee-shirt avec la sorcière. Tu crois pas que t’es trop vieille pour ça ? », me disait-elle en en me tendant le tee-shirt, cinq ans plus tard, parce que je le portais toujours.
Maintenant j’ai 27 ans et aujourd’hui mon tee-shirt hide me manque cruellement.
Mais ça ne m’empêche pas de sauter avec la foule à chaque « X ! », comme si ma vie en dépendait.
Peut-être que ma vie n’en dépend pas. Mais la vie de la Lia de 15 ans, elle, oui.
Ca ne passe pas avec l’âge.
Chère Lia de 2005,
Si cette lettre ne te dit rien, c’est malheureusement la preuve que le voyage dans le temps ne sera pas maîtrisé dans le courant de ta vie. Mais ce n’est pas grave. Tes émotions te feront traverser le temps très bien. Tu verras.
Lia de 15 ans, je sais que c’est difficile à croire, mais dans 12 ans, tu verras X-Japan en concert. Tu verras Yoshiki et Toshi sourire et rire ensemble à nouveau. Tu verras une foule acclamer hide comme s’il était là – il l’était un peu, parmi nous. 12 ans c’est long. Il va falloir te battre. Il va falloir survivre à ta dépression, comprendre ce qui t’arrive, mettre des mots. Il y aura des destructions physiques, psychologiques, des coups, des mensonges, des viols, de la manipulation, des brûlures, des trahisons, des reports affectifs, de l’aveuglement, de l’autosabordage. Et même avec tout ça, tu ne seras pas sortie du sable. Mais il y aura des bonnes choses aussi, beaucoup, même si ça, tu auras plus de mal à le voir au début.
Lia de 15 ans, aujourd’hui tu pleures parce que personne ne voit à quel point tu vas mal, et cela prendra encore beaucoup de temps. Tu pleures aussi parce que tu n’arrives pas à gérer ta vie sociale alors tu as besoin d’amis imaginaires, et tu prends comme modèles des artistes que tu ne pourras plus jamais voir en vrai. Tu pleures parce qu’ils sont morts et que tu es persuadée que tu vas mourir avant tes 18, 20, 25 ans. Tu pleures parce que tu ne comprends pas pourquoi tu as mal, et tu pleures parce que pendant les 10 années à venir, chaque traumatisme ne pourra être surpassé que grâce à un traumatisme encore plus grand. Mais douze ans plus tard, ils seront là – en vie. Et toi aussi.
Chère Lia de 2005, tiens le coup. C’est long, 12 ans, mais ça le vaut. En 2017, c’est au milieu d’une vraie foule que ton cœur s’arrêtera de battre sur Kurenai, que tu chanteras Endless Rain en chœur avec tout le public de l’Arena en te vidant de tes larmes. C’est pour de vrai que tu acclameras le nom d’Heath, toujours aussi charismatique malgré son coup de vieux. C’est pour de vrai que la batterie de Yoshiki résonnera dans ton cœur, que tu te réconcilieras avec Toshi, que tu reverras Pata, que tu rencontreras Sugizo.
Et tu ne te rappelleras pas, mais on te rappellera, et les sensations, les émotions reviendront. Tu as vécu ces instants, même si ta mémoire a voulu les faire disparaitre, même s’ils te sembleront être les souvenirs de quelqu’un d’autre. Les e-mails que tu avais essayé d’envoyer à Heath. L’horrible demo de PurpYnk, source de tant de tensions et de rires. Les dessins, les déguisements, les histoires, les jeux de mots nuls, les cris, les larmes. Les désespérantes quêtes sur eBay pour trouver des authentiques et pas des bootlegs hong-kongais. Les cheveux teints, les nuits blanches à discuter, à écrire sur le forum rose. Tout ce que tu n’as pas cherché à oublier mais qui est si loin. Tout ça reviendra. Et tu retrouveras un fil rouge que tu as perdu il y a des années. Tu vas voir, Lia de 2005, tout ça n’était pas dans le vide. Tu vivais, et tu vis toujours. Ce soir c’est pour toi que, les bras en X, je saute et crie plus fort que je l’ai jamais fait.
La Lia de 2017
Les dessins… Celui-là avait pris une semaine de cours de français à la Lia de 15 ans (qui a toujours été très attentive en cours). Elle en était vachement fière.
La chanson se termine enfin pour de vrai, dans une immense cacophonie. Toshi nous hurle que nous pouvons être fiers de nous.
« CROYEZ EN VOUS ! VOUS ETES FANTASTIQUES ! MERCI LONDRES ! »
Puis sur un dernier cri, alors que tous les autres saluent, jettent des bouteilles d’eau dans le public, font des grimaces, il nous dit « BYE BYE ! »
Et ils disparaissent.
Christie et Ji se mettent en route : elles ont un bus à prendre. Plusieurs spectateurs font de même. Moi je refuse d’y croire. Ils ne partiraient pas comme ça, les lumières de la scène sont restées allumées. Je ne bougerai pas de mon siège tant qu’ils ne seront pas revenus. J’ai tout mon temps. Ils reviendront, je le sais. Je reste debout, les bras croisés devant moi.
« Tu peux baisser les bras, Lia, tu sais ?
– Non… J’aime bien voir la scène à travers mes bras croisés. Ça me touche. C’est balèze.
– Je sais pas comment tu fais. J’ai plus de bras.»
Ça me fait du bien, en fait. Cette simple vue, mes bras croisés et la scène, ça me retourne de l’intérieur parce que c’est magique, ce qui se passe. Je suis épuisée mais je les appelle.
S’ensuit un quart d’heure de « We are X ! » lancés par le public. Nous battons des mains et des pieds, nous faisons trembler les tribunes. Nous ne les lâcherons pas.
« A un moment ils en auront marre et ils pousseront Yoshiki sur scène en lui disant, vas-y, fais n’importe quoi, occupe-les. »
Nous appelons. Nous clamons. Devant, d’autres spectateurs entament Endless Rain, mais je n’ai pas envie de lancer Endless Rain, c’est l’ancien X, ce n’est pas le X que nous avons en face de nous, j’ai juste envie de les appeler jusqu’à ce qu’ils reviennent.
C’est drôle de voir les vagues de « X » se lancer de partout dans la salle. Il suffirait que je crie un peu fort et ça partirait dans notre carré aussi, mais je n’ose pas. Je regrette un peu de bloquer là-dessus. Qu’à cela ne tienne, je suis les vagues des autres, et il est amusant de constater à quel point nous sommes désynchronisés. Jusqu’au moment où Hime me fait remarquer : « Le mec avec les bâtons rouges devant. Il donne le rythme à toute la salle, je sais pas s’il s’en rend compte. »
En effet. Dans les premiers rangs devant la scène, quelqu’un a deux glowsticks rouges, et grâce à lui, nous savons quand répondre « X » sans que ça devienne l’hécatombe. L’exercice est amusant, mais l’attente est longue. Nous fatiguons tous.
Enfin, au bout d’un quart d’heure, notre patience est récompensée.
« Ca y est ! Je l’avais dit ! Ils en ont eu marre, ils nous servent Yoshiki ! »
En effet, le maestro revient sur scène pour s’installer au piano. Il ajuste ses retours, et…
…il ne me faut pas plus de deux accords pour reconnaître Bohemian Rhapsody, et je ne suis pas la seule. Bientôt c’est tout le public qui chante en chœur.
« Pourquoi ? Mais pourquoi Bohemian Rhapsody ? »
Je ne sais pas ce qu’il y a avec cette chanson. Elle me poursuit. Elle est là à chaque étape importante de ma vie –alors que je ne l’aime même pas ! C’est sentimental, maintenant, j’y suis attachée. Mais c’était sans doute la dernière chose que je m’attendais à entendre ce soir.
C’est remarquable de constater à quel point tout le monde connaît les paroles de Bohemian Rhapsody. C’est comme un savoir universel. C’est remarquable aussi de constater à quel point personne ne la chante juste, mais ça fait partie du charme. Après tout ce n’est pas une des meilleures chansons en karaoké pour rien.
Yoshiki va au bout de la première partie de la chanson, puis plaque un accord final et se saisit du micro. Il n’y a que lui et le faisceau de lumière qui lui tombe dessus, et soudain cette salle de douze mille personnes se transforme en salle de concert intimiste.
Un fan hurle « We love youuuu », Yoshiki répond de sa voix la plus douce « We love you too », et même moi j’ai des papillons dans le ventre.
Il nous raconte alors que Toshi et lui devaient avoir une dizaine d’années quand ils écoutaient Queen. Et puis Kiss, et puis Led Zeppelin, et puis David Bowie… la foule rugit.
« Oh, vous aimez David Bowie ? Alors voyons… »
Yoshiki repose le micro et se repositionne au piano pour jouer une partie de Space Oddity.
Nous chantons (en yahourt pour ma part : je ne suis pas au point sur mes classiques anglo-saxons). Nous applaudissons le choix, puis Yoshiki continue son histoire. Apparemment, il y a six ans, lors de leur venue à Londres, ils auraient expliqué que c’était leur rêve de jouer dans cette ville. Et ils avaient promis de revenir, et les voilà.
Yoshiki dialogue avec le public. Les gens répondent, il les écoute. Il se rapproche même du bord de la scène, répond en riant aux déclarations d’amour qui fusent de toute part, et nous reparle des débuts de X Japan, lorsque l’année du décès de son père (…il s’interrompt. Nous l’encourageons), Toshi et lui ont commencé à jouer ensemble.
« En fait, Toshi jouait de la guitare. Et croyez-moi ou pas… J’étais le chanteur. »
Nous rions. Fort.
« Oui, je sais. Il ya quelque chose qui ne va pas avec ma voix. Mais j’aimerais chanter. Mais comme il est dit dans le documentaire : les cygnes ne chantent qu’une fois avant de mourir… alors quand je chanterai, il faudra qu’on fasse attention. »
Des rires, à nouveaux. Non content d’être charismatique, Yoshiki a de l’humour.
« On avait un autre nom avant… mais à quatorze ou quinze ans on a renommé le groupe X. A cette époque c’était, boarf, on sait pas quoi mettre comme nom, mettons X ça ira. Et après, on a appris que X, ça pouvait avoir comme sens « des possibilités infinies », alors on s’est dit que c’était super cool. »
Rires, encore.
Il nous raconte leurs débuts, quand Toshi et lui se rendent à Tokyo, quand ils rencontrent Pata, Taiji et hide (le public acclame chaque nom, avec un rugissement marqué pour le dernier).
« Attends, il est en train de nous refaire le film là non ? »
C’est le film, mais pas que. Il y a aussi quelques anecdotes croustillantes.
« A cette époque, on avait rien. On entassait tout dans une voiture et c’était moi qui conduisais. Ou hide. Mais hide ne voulait pas conduire de nuit, il disait que ses yeux ne voyaient rien la nuit. Sauf qu’on ne conduisait QUE de nuit. Donc en gros, je conduisais tout le temps. hide restait juste à côté et chantait ou faisait n’importe quoi, je lui disais débrouille-toi, il ne faut pas que je m’endorme, trouve quelque chose pour me motiver. »
J’imagine la scène et dans ma tête, je me dis que tiens. Moi j’avais évalué que c’était Toshi le conducteur.
« On avait parfois pas assez d’argent pour dormir quelque part, alors on dormait dans les parcs. Mais c’était plein de moustiques. On est d’accord, les moustiques sont nos ennemis, hein ? »
Nous approuvons farouchement.
« On était censés être un foutu groupe de rock, et quand on se pointait, on était couverts de boutons de moustiques ! »
Je ne peux m’empêcher de visualiser la scène et ricaner en chœur avec le reste du public. Les moustiques, c’est tellement metal.
Il nous explique qu’au début, ils jouaient dans des clubs. Puis dans des grandes salles. Puis des stades. Sa voix se brise lorsqu’il nous dit, sur un ton de confession :
« Mais ces jours où nous jouions dans les clubs… ce sont nos meilleurs souvenirs. »
Il se met à pleurer. Nous l’encourageons. Le moment est hyper intime et touchant. Il continue son histoire.
« Quand nous avons commencé à jouer dans les stades, nous avons tout pris pour acquis… Je ne prenais pas la mesure de la valeur d’avoir tous les membres du groupe autour de moi. Et puis Toshi a quitté le groupe… Et hide est mort quelques mois plus tard. »
Il pleure toujours. Je me tourne vers Hime.
« C’est pas d’un public qu’il a besoin, c’est d’un psy… »
Il y a un silence pesant. Puis des cris d’encouragement.
« A ce moment, au moment de la rupture, je n’aurais jamais imaginé que nous rejouerions ensemble… surtout pas sans hide… Mais nos fans, vous… vous avez continué à nous soutenir, toutes ces années. »
Applaudissements. Dans la tribune de gauche, quelqu’un brise le silence pour lancer « We are… », toute la salle répond. Yoshiki est interrompu, observe, rit, un peu surpris. Puis il lance à son tour deux-trois « We are » auxquels nous répondons par un tonnerre de « X ! ». Il rit à nouveau. « Je vous aime. »
Il y a quelque chose avec Yoshiki Hayashi.
Lia est la première à dire qu’il l’exaspère, que c’est une drama queen. Yoshiki l’énerve et pendant longtemps, elle lui en a voulu.
Parce qu’il cassait ses instruments, et c’est quelque chose qu’elle n’a jamais cautionné (gaspillage. Donne-le au lieu de le casser !)
Parce qu’il en faisait des caisses, beaucoup trop, tout le temps.
Parce que Yoshikitty et tous les autres mots-valises douteux avec Yoshiki.
Parce que les paroles et la musique qu’il avait écrites lui faisaient mal, résonnaient trop.
Parce qu’il n’a jamais su mener ses deuils et que ça aussi, ça résonnait trop.
Parce que la reformation ratée, les messages effarants sur Facebook et Myspace, les traits tirés, les projets avortés.
Oui, elle en a voulu longtemps à Yoshiki, de cette rancœur qu’on garde envers ceux qu’on admire le plus, mais qui finissent toujours par nous décevoir.
Alors forcément, elle s’était préparée au pire pour ce concert. Et maintenant qu’il est là, devant elle, en train de s’adresser directement au public face à lui, dont elle fait partie… elle lui donne le bon Dieu sans confession.
Il y a quelque chose avec Yoshiki Hayashi.
On ne peut juste pas lui en vouloir, parce qu’il vit juste de la seule manière qu’il connaisse : en filant droit, en accord avec ses idées, et tant pis si ça ne plait pas aux autres. Mégalo, peut-être, dans son monde assurément… Mais aussi et surtout brutalement honnête, et sensible comme il est dangereux de l’être. Comment en vouloir à quelqu’un qui suit à ce point le flot de ce en quoi il croit ?
Lia ne peut pas. Ce serait hypocrite de sa part.
Certains disent de Yoshiki que c’est un dieu. Elle le trouve au contraire remarquablement humain. Et s’il ne l’était pas, la seule créature qui lui viendrait à l’esprit pour le représenter, c’est un élémentaire d’émotions. Parce que ses émotions semblent être la première chose qui le constitue, son moteur pour avancer. Et Lia, ça lui parle. Forcément.
Très bien, Yoshiki, deux-zéro, fin de partie. Je ne t’en veux plus : j’ai envie de croire en tes rêves, moi aussi. Après tout, je l’ai compris dans le documentaire : X m’a sauvée. Peut-être qu’en suivant le fil rouge que X a tracé à travers les années de ma vie, j’arriverai même à retrouver mes propres rêves. Et ce ne sera pas à cause de, mais bien grâce à ta musique. Allez. Merci.
« Voilà pourquoi on est là. A cause de vous (je grince des dents), on s’est remis ensemble. On est revenus sur scène. Et maintenant… je veux vraiment, vraiment vous remercier. Parce que sans vous, je ne sais pas si… Vous m’avez donné, vous NOUS avez donné, une deuxième chance. Alors maintenant on est là… and we’re gonna keep on FUCKING ROCKING ! »
Rugissements dans la salle. On leur a peut-être même laissé une troisième ou une quatrième chance, vu le planning chaotique de la reformation, mais on est contents qu’ils soient là, et on est contents d’être là aussi.
« J’aimerais dédier la prochaine chanson à vous, nos fans, et à nos amis Taiji et hide. »
Il s’installe au piano, et les autres membres reviennent sur scène pour s’assoir sur les marches. Les premiers accords sonnent et je ne comprends pas, je ne reconnais pas. Ce n’est pas Crucify My Love du tout, ce n’est pas Longing… C’est quand Toshi dit « Chantons tous ensemble » que je réalise à quel point j’ai été déboussolée pour ne pas reconnaitre cette introduction.
Il pleut sur l’écran derrière la scène.
Une pluie sans fin.
« I’m walking in the rain, yuku ate mou naku… »
L’ambiance est tamisée. Lumières bleues, boule à facettes qui fait des reflets comme la pluie jusque sur le public… et nous sommes encore sous le coup du discours de Yoshiki.
L’écran diffuse des vieilles vidéos d’X, avec Taiji, hide…
Nous chantons tous en chœur et ça y est, je pleure tout ce que je sais.
Il n’y a rien de plus beau qu’une foule qui chante, mue par la même passion. Nous tenons le refrain et le répétons, encore et encore, même quand les guitares s’arrêtent, même quand Toshi cesse de chanter, même quand Yoshiki cesse de jouer, a capella nous continuons. L’émotion est palpable.
Encore et encore et encore, ad lib, jusqu’à ce que Yoshiki puis Toshi nous rejoignent, pour conclure sur un long « Endless raaaaaiiinn ».
Je suis en train de me noyer dans mes larmes, mais heureusement, X a tout prévu pour que ce soit encore pire après.
Sugizo revient sur le devant de la scène avec son violon pour un nouveau moment hors du temps, pour un morceau que je ne reconnais pas. Il tire sa dernière note, et une bande son de piano commence… Mon cœur rate à nouveau un battement.
Il ne me faut qu’un accord. Rien qu’un, pour comprendre.
C’est le solo d’Art of Life. Le solo de piano. Celui que beaucoup passent, mais que j’ai écouté pendant des heures, en épluchant, en décryptant, en reconstituant le sens complet de cette chanson.
Le solo sur lequel j’ai révisé mon bac, rédigé mon mémoire, écrit des lettres de rupture, corrigé des copies, celui sur lequel j’ai pleuré, pleuré, pleuré, me suis endormie tant de fois.
Mais ce n’est pas la même version. Ce n’est pas celle qui laisse les mains en sang après l’avoir joué. C’est une version mélodieuse, arpégée. Parce que le temps du chaos et du tonnerre est passé. Maintenant les notes filent comme le vent, rapides et pleines de sens sous les doigts du compositeur. Et comme l’orchestre joue ses dernières notes dans la bande qui passe en fond, les doigts deviennent fous, les arpèges deviennent torturés, encore plus rapides qu’avant, jusqu’à ce que toutes les notes soient frappés par à-coup. Accords dissonants, coups de coude. Parce que le chaos n’est jamais bien loin.
Puis Yoshiki court s’installer à la batterie.
Quatre coups de cymbale et à nouveau tout explose. Lumières et couleurs fusent dans tous les sens. C’est la dernière partie d’Art of Life. Je suis mesmérisée. Je n’ai pas eu le temps de sécher mes larmes. J’ai dû perdre au moins cinq litres d’eau salée ce soir. Sans compter que j’ai beaucoup bougé et n’ai rien pu boire. Je suis épuisée, mais je continue, je continue à vivre à fond la chanson qui se joue devant moi.
Mercredi 15 mars 2017
C’était inévitable : depuis qu’elle est rentrée de Londres, Lia fait une rechute. Alors, fatalement, le CD d’Art of Life est revenu dans sa chaîne audio. Mais la chaîne est un peu vieille et farceuse : parfois, elle a des erreurs de lecture. Après un clic, le CD revient entre 2 et 10 secondes en arrière, de manière régulière. C’est un caprice de la lentille de lecture, ça n’abime pas le CD. Il faut juste attendre que ça passe. Lia est patiente : elle sait que ça passe toujours.
Hier soir, alors qu’elle avait mis le CD pour s’endormir, la chaîne a bloqué sur une phrase d’Art of Life. « If it’s all dreams, now wake me up. If it’s all real… [clic] If it’s all dreams, now wake me up, if it’s all real… [clic] If it’s all dreams…” Pendant un quart d’heure, Lia a écouté le CD bloquer sur cette phrase, amusée. Elle ne croit plus tellement aux signes, mais la situation est cocasse. Finalement, la chaîne a réussi à lire le CD, et Toshi a pu chanter « If it’s all real, just kill me », et Lia s’est endormie.
Aujourd’hui, Lia a commencé son traitement, encouragée par sa psy et son médecin. C’est la première fois qu’elle accepte d’en prendre un, après trois ans à refuser. Et depuis une heure, elle ne fait que pleurer, paralysée par une crise d’angoisse dans un premier temps, puis, après avoir réussi à appeler à l’aide, simplement débordée par ses larmes. Elles coulent sans cesse, sans raison apparente, et elle ne peut que les laisser couler. C’est bizarre. Elle fait d’autres choses, mais ses yeux pleurent toujours.
Elle règle ses soucis immédiats, passe des coups de fil étranglés, donne le change comme elle peut, rappelle le médecin qui la rassure en lui parlant de lâcher prise. Il faut juste attendre. Alors elle rallume sa chaîne audio.
Une fois de plus, Art of Life lui tient compagnie pendant qu’elle se vide de ses larmes.
Une fois de plus, sa chaîne lui fait une blague.
« Like a doll carried by the flow of time, I sacrificed the present moment for the future… [clic] sacrificed the present moment for the future… [clic] sacrificed the present moment for…”
Lia pensait que toute cette chanson avait déjà pris bien trop de sens pour elle, mais en voilà un qui s’ajoute. Lia a passé sa vie à courir en avant pour ne pas penser aux problèmes du passé qui pourrissaient son présent. Au lieu de résoudre les soucis ou de profiter de ce qu’elle avait, elle courait et s’angoissait.
Aujourd’hui, il est déjà un peu tard, certaines choses se sont bien accumulées. C’est comme une infection mal soignée, pas prise à temps. Elle ne retrouvera pas tout. Mais il n’est pas trop tard pour essayer de réapprendre à vivre au présent. De réapprendre à vivre, simplement, comme lui a dit son médecin hier.
Après une dizaine de minutes, le CD se débloque et la chanson peut se terminer.
Deux heures plus tard, les yeux de Lia pleurent toujours. Plus de trois heures de larmes en continu en tout, elle est épuisée, elle ne connaissait pas cette capacité de son corps, elle ne comprend toujours pas pourquoi. Mais elle a fait un pas de géant en avant. Elle travaille à faire tomber les murs dans son cœur.
Yoshiki, juillet 2007. Pata, juillet 2008. Je n’ai jamais réparé la boîte. hide ne signera jamais non plus. Mais je ne perds pas espoir de pouvoir croiser Toshi et Heath (!) avec un marqueur, un jour.
« I’m breaking the walls inside my heart, I just wanna let my emotions get out… »
Toshi fatigue et peine à tenir la chanson, mais ce n’est pas grave, je connais les paroles pour quatre, pour quinze, pour trente. Pata, Heath, Sugizo et Yoshiki peuvent se planter sans souci, je pourrais peux même doubler chaque piste instrumentale à la voix tellement je connais cette chanson par cœur.
J’admire les lumières et soudain, je réalise en voyant la scène baignée dans du violet et du jaune que c’est parfait. Que d’un bout à l’autre, le son était parfait, les balances étaient excellentes… mais surtout les couleurs étaient parfaites. Avec ma fâcheuse manie de « voir » les chansons en émotions et en couleurs, je me suis fait gâcher plus d’une fois des chansons en concert dont les visuels ne correspondaient pas à ce que j’avais en moi. Mais pour ce concert, pas une fois c’est arrivé. Tout collait, tout correspondait. Les couleurs coïncidaient avec les émotions qui chargeaient (lourdement) chaque chanson.
Visuellement, ce concert était parfait.
De couplets en refrains en solos, Art of Life touche à sa fin. Déjà. Dans un dernier coup de cymbale, Yoshiki termine sa partie et se laisse tomber au sol en arrière. Les autres s’arrêtent aussi et Toshi termine, seul, dans un cri, un souffle, des dernières forces qui me secouent.
« In my LIIIIIIIIIIIIFE ! »
Toshi se laisse tomber en avant.
Un temps de pause, puis l’ovation. En fond sonore, les cordes qui annoncent le début de Tears en version anglaise (je suis complètement perdue dans les paroles, je ne connais que la version japonaise). Ce n’est qu’une bande : ils ne joueront plus. Le dernier mot que Toshi aura prononcé ce soir sera « life », et je trouve ça remarquablement touchant.
Alors, pendant un long moment, les membres prennent le temps de nous saluer, de jeter des choses dans le public, de faire coucou à tout le monde, de faire des selfies, des photos de nous. Ils ont tous l’air tellement heureux et nous scandons « X ! X ! X ! »
Toshi et Yoshiki se relèvent. Le leader part en coulisses pour revenir avec deux grandes bottes de roses rouges qu’il jette dans le public. C’est amusant ; d’habitude c’est le public qui offre des roses aux artistes… mais Yoshiki est Yoshiki et ses roses sont importantes pour lui. Il en garde deux qu’il pose sur scène, une de chaque côté, pour Taiji et pour hide.
Après Tears vient une version acoustique de Forever Love, et X-Japan revient se placer devant nous, pour saluer une dernière fois. A nouveau, c’est l’ovation. Nous sommes tous là, heureux d’avoir enfin pu réaliser ce rêve (inespéré !) de les voir en chair et en os, et très, très fiers d’être X, nous aussi. Nous sommes tous X.
Alors que les autres sortent de scène, Yoshiki prend une dernière fois le micro pour se répandre en remerciements, avant de saluer bien bas et de disparaître à son tour.
Les lumières de la salle se rallument. Cette fois-ci, c’est bel et bien fini, mais ça n’empêche pas les gens de scander « We are X ! » en sortant.
Nous sortons avec deux missions en tête : la première, trouver de l’eau. La deuxième, acheter la fameuse BO du film We Are X. Nous nous mettons en quête en discutant abondamment de ce à quoi nous venons d’assister. Je suis sous le choc, mais au moins, j’ai enfin arrêté de pleurer.
« C’est marrant » me dit Hime. « Je n’ai pas appris grand chose en voyant le film. J’avais l’impression de tout savoir. Tu nous avais déjà raconté, tout écrit, tout dit. »
Et moi ça me bouleverse. Je me rappelle de chacune de mes recherches poussées. J’avais des dossiers complets d’informations, de « on dit », de théories, une chronologie au quasi jour par jour, je pouvais déterminer la date d’une photo à leurs coiffures, vêtements, bijoux. J’avais rassemblé tout, tout ce que je pouvais, des gigaoctets de données (c’était énorme à l’époque !), même du japonais que je ne pouvais pas lire…
Bon sang, je pourrais écrire un thèse entière sur X Japan ! Psycho, socio, musico, même une analyse littéraire des textes, tout y serait. Le profil psychologique des membres, celui des fans, et le pourquoi de tel accord sur tel texte. Rien n’est laissé au hasard dans ce groupe. On dirait que même le destin ne les laisse pas tranquilles pour que tout coïncide.
La tête me tourne. Quelle part des informations avais-je lue ? Quelle part avais-je déduit ?
Moi non plus je n’ai pas beaucoup appris que je ne savais pas déjà, à part une ou deux petites anecdotes ici ou là.
« Tu avais juste. Sur tout. A part sur le conducteur de la voiture. C’était pas Toshi qui conduisait, finalement. »
Elle a remarqué aussi.
Et ce ne sont pas que les faits, que j’avais sans doute dû lire (certaines choses ne s’inventent pas). Ce sont surtout les ressentis, les caractères. Je prends conscience d’à quel point regarder le jeu de scène de ces gens m’en a dit long. A quel point j’ai accumulé des connaissances sur un groupe dont, finalement, je n’avais pas accès à grand-chose.
Groupie ? Peut-être, peut-être pas. Mais fan, oui, et à un niveau qui dépasse mon propre entendement.
J’avais pris les personnes pour les transformer en personnages, selon ce que je pensais en avoir déduit. Des personnages qui vivaient dans ma tête, dans mes textes et mes interprétations. Des amis imaginaires.
Plus de dix ans après je découvre que ces personnages que j’écrivais étaient, en vérité, plutôt fidèles aux personnes qui leur ont servi de modèles.
La tête me tourne. La file d’attente pour les CDs avancent, mais on nous annonce une rupture de stock et nous sommes invitées à essayer le stand de merch du bas. Camille a fait chou blanc pour trouver de l’eau.
Je suis toujours perdue dans mes pensées. Je fais part de mes sensations sur le concert à Hime qui les partage globalement.
Certes, ce n’était pas parfait. Certes, ils ont cinquante ans maintenant et sont marqués par les années. On pourrait même dire qu’ils ont pris un coup de vieux, mais ils ont quand même tenu trois heures de concert à fond et c’est plutôt admirable. Certes, il n’y a pas eu Amethyst. Certes, Heath n’a pas fait les deuxièmes voix et s’est même franchement fait oublier. Certes, Sugizo s’est totalement réapproprié le salut vulcain (même si je ne comprends pas pourquoi). Certes, Toshi n’a pas toujours chanté juste. Certes, Yoshiki… a été très Yoshiki. Certes, Pata… non, je ne trouve rien à redire à Pata, il a été très égal à lui-même.
Certes il n’y avait pas hide.
Mais je venais pour un adieu. Pour une dernière chance de réaliser un rêve. Et ce que j’ai vu ressemblait à tout sauf à ça. Ce n’était pas un concert d’adieu.
C’était un nouveau départ, et j’ai à nouveau confiance en eux.
When the morning begins, I’ll be in the next chapter…
« Qui sait, peut-être que l’an prochain ils annonceront X-Japan au Hellfest ? », sourit Hime.
C’est même quelque chose que je pourrais voir arriver. Et si c’est le cas, je fais la promesse d’y être. Car je ne veux plus rater de concerts de X Japan si j’ai l’occasion d’y aller.
Leurs concerts sont des expériences rares, comme on en a peu dans sa vie. Trois heures de musique qui secouent les sens et les émotions, autant de grand show que d’échange d’un cœur à un autre. C’est peut-être ce qui fait la force d’X Japan, ce qui rend leurs fans si dévoués : face à eux, nous sommes tous spéciaux. Ils fournissent une force incroyable – ils croient en nous en tant que personnes. C’est étrange, comme sensation, surtout venant d’un groupe aussi gigantesque. On pourrait se croire perdus dans la masse des douze mille personnes, mais non. Nous comptons tous.
Finalement, nous obtenons nos « éditions spéciales Wembley » de la BO de We Are X. Les couleurs sont attribuées de manière logique : Camille a la bleue qui tend vers cette teinte de bleu qui lui est si caractéristique que nous en sommes venus à l’appeler le « bleu Camille ». Moi, je prends la violette, parce que le violet est la couleur de mes rêves. Et Hime prend la rouge, parce que Kurenai, et surtout parce que ça lui va tellement bien.
Nous rentrons à l’auberge de jeunesse, et ma tête déborde de choses à écrire. J’enrage de ne plus avoir de téléphone, d’outil d’écriture, dans l’ombre de cette chambre où je ne peux allumer la lumière pour prendre des notes rapides sur tout ce que j’ai vécu ce soir. J’ai besoin, un besoin maladif, de consigner tout ça. Tout ce qui s’est passé est si important.
Alors je me répète les choses en boucle, pour essayer de me rappeler de les noter demain sans que rien ne s’envole. Mais demain est encore loin dans ma tête. C’est un autre jour, où nous mangerons un super brunch au Breakfast Club, nous rencontrerons Hagrid, nous découvrirons le Chemin de Traverse, nous discuterons, écrirons et dessinerons… C’est demain et je suis encore, un peu, ce soir, alors que les souvenirs des lumières colorées continuent à me passer devant les yeux et la voix de Toshi me reste dans les oreilles.
Je reste encore un peu en compagnie de la Lia de 15 ans, qui commence déjà à s’effacer à nouveau. Je réfléchis.
J’ai l’impression d’avoir pris un coup dans la Vie. D’avoir grandi. D’avoir renoué avec des choses. D’avoir encore un peu plus compris Art of Life.
Parce que X-Japan, c’est l’histoire d’une vie. La vie de Yoshiki, surtout, qu’il a entièrement versée dans ce groupe. C’est également celle de Toshi, celle de Pata, celle de Taiji et d’hide, celle d’Heath, celle de Sugizo.
Mais c’est aussi l’histoire de la vie en général. Celle qui, « avec ses moments passagers et vains, est-elle autre chose qu’un rêve ? »
Ce sont des rencontres, des échanges, des moments de partage, des moments de tension, des rêves de jeunesse, des coups durs, des deuils. Chaque étape est un nouveau pas sur un chemin qu’on ne maîtrise pas, mais sur lequel on aura fait tout ce qu’on a pu, sans regrets.
« Au moment de ma mort, je veux pouvoir me dire : au moins, j’aurai tout essayé. », nous dit Yoshiki dans le documentaire. Et s’il y a une chose qu’on ne peut pas lui reprocher, en effet, c’est de ne pas avoir tout essayé.
Et moi, ça m’inspire.
Ce soir, dans cette salle, nous avons tous été X. Ceux présents, ceux qui n’y étaient pas mais auraient voulu y être, ceux à qui nous en avons parlé, ceux qui écoutaient avec nous il y a cinq, dix, quinze, vingt ans, ceux à qui nous pensons, ceux qui ont soutenu le groupe, ceux qui les ont oubliés, ceux qui y ont toujours cru, ceux qui n’y croient plus, ceux qui ont regagné confiance.
Nous sommes tous X.
Chère Lia de 2020,
Les temps sont durs et les choses changent vite, mais j’espère que tu es toujours en vie. Peut-être même que tu te souviens de cette lettre, car les voyages dans le temps vers le futur fonctionnent, eux ; ils prennent juste plus de temps que ce que la science-fiction veut nous faire croire.
Si mes calculs et ceux du médecin sont exacts, tu dois avoir terminé ton traitement depuis moins d’un an, et la dépression et les angoisses ingérables ne doivent être plus qu’un mauvais souvenir. Si tout s’est bien passé, tu as réussi à te recoller, associer les morceaux du passé pour devenir une personne entière, et je ne serai pas une étrangère, un visage inconnu pour toi, quand te tu retrouveras cette lettre.
Oh, je te fais confiance pour continuer à être torturée par d’autres petits points ici et là, on l’est toujours, mais j’espère que tu as appris à vivre avec.
Peut-être que tu as pu écouter le nouvel album d’X-Japan. Peut-être qu’ils ont encore trouvé des bonnes excuses pour ne pas le sortir. Si tu l’as dans les mains, sache que je suis un peu jalouse. Mais je me dis que peut-être qu’ils auront fait une autre tournée que tu aurais suivie, et j’ai très hâte de voir ça.
Peut-être que tu seras jalouse de moi, du haut de tes trente ans. Peut-être que tu auras déménagé, ou encore changé trois fois de métier.
J’espère que tu n’as pas arrêté d’écrire. Ce n’est pas parce que tu es guérie que tu ne sais plus mettre des mots sur ce que tu ressens et, sans l’angoisse, je suis sûre que tes couleurs à l’intérieur sont encore plus belles qu’avant. N’oublie pas qui tu as été. N’oublie pas qui je suis.
N’oublie pas tout ce que tu as appris ce mois de mars 2017, Lia de 30 ans. J’espère que tu auras su le mettre à profit.
Moi, du haut de mes 27 ans, j’apprends toujours. Je renoue avec les autres Lia, celles encore plus jeunes, bien plus jeunes que moi. Et il y a des fils rouges dans ma vie qui m’aident. Il y a X, par exemple, qui m’aide à retrouver la moi de 2014 avec Silent Jealousy, la moi de 2005 avec Drain, la moi de 2007 avec Kurenai, la moi d’entre 2004 et maintenant avec Art of Life. Je renoue avec les autres Lia pour pouvoir enfin devenir une seule et même Lia, en arrêtant d’avoir l’impression que tous mes souvenirs appartiennent à quelqu’un d’autre et que je n’ai pas existé par le passé autrement qu’à travers les photos et les histoires que j’ai trouvées.
Tout ça, c’est pour pouvoir devenir une Lia complète – pour pouvoir, un jour, devenir toi, et à mon tour pouvoir croire à la folie qu’on appelle « le présent ».
La Lia de 2017
PS : la phrase que tu cherchais au début de ton texte, c’était « Rien d’autre n’existe que ce moment ». C’est une citation de Raistlin Majere dans Lancedragon. “I will do this. Nothing in my life matters except this. No moment of my life exists except this moment. I am born in this moment, and if I fail, I will die in this moment.” Relis tes classiques. Ça n’est jamais perdu.
PPS : Si tu n’as pas fait ce nouveau tatouage auquel tu as pensé à Londres, j’en serais très déçue. Mais peut-être qu’il n’est pas trop tard ?
[Trigger warning : santé mentale, dépression, rejet, douleur morale… Je suis mauvaise pour les trigger warnings mais il me semble que cet article en a besoin. Simplement : tout ce qui suit a été écrit avec les tripes, plus que d’habitude. Donc lecteurs empathes que le sujet de la santé mentale touche, prenez soin de vous.]
Il y a eu un tout premier diagnostic dont je ne me rappelle absolument pas. Des livres, de l’apprentissage, je ne sais même pas si c’était un vrai diagnostic, j’étais trop jeune. Ce « surdoué » qu’on entendait balancé comme une insulte par les autres à travers la cour de récréation. Un mot qui ne veut rien dire, remplacé par d’autres qui veulent en dire encore moins.
Est-ce que c’était vraiment un diagnostic ?
Non, vraiment, je ne sais pas. C’était là, ça l’a « presque toujours été », et le mot ne venait pas de moi, mais je le savais déjà, c’était la conviction que je n’étais pas comme les autres.
J’ai pu en parler librement quand j’ai connu d’autres comme moi.
Et maintenant ?
Maintenant ça va. Je vis avec. Ça fait partie de moi et pour le coup, ça, je n’ai jamais lutté contre (je ne vois même pas comment je pourrais le faire).
Il y a eu un deuxième diagnostic plus de dix ans plus tard. Celui-là n’a pas été une surprise. Il est tombé comme je m’y attendais, au moment où je m’y attendais. « C’est typique d’un état limite. »
Peut-être même qu’il a conforté mon impression que « je me connais bien assez moi-même pour avoir besoin d’aller voir un psy ».
La psy qui l’a posé l’a fait maladroitement, puis m’a parlé de « commencer par éliminer les facteurs à risques ». J’ai eu l’impression d’être une voiture qu’on répare. Je ne suis jamais retournée la voir.
Il y a eu un troisième diagnostic, ou plutôt un deuxième diagnostic bis, encore cinq ans après. Celui-là n’a pas été simple à obtenir. Il a fallu cinq psys différents et un passage à l’acte pour que quelqu’un daigne me dire autre chose que « Vous n’écoutez pas ce que je vous dis, je ne peux rien pour vous » avant de me jeter dehors, ou « Votre problème c’est que vous ne savez pas choisir, c’est comme votre bisexualité ça. [j’ignorais mon asexualité à l’époque] Ça passera, je vais vous prescrire du Lexomil en attendant. »
Je ne sais pas à quel point les gens ont conscience du danger que représentent certains médecins pour leurs patients mais ça me terrifie. C’est navrant de m’apercevoir qu’il a fallu me pousser à bout, jusqu’à atteindre un état délirant, pour que des professionnels de l’écoute finissent par m’écouter.
Je ne sais plus comment ce diagnostic est tombé exactement. C’était pendant ce passage de ma vie suffisamment violent pour que ma mémoire le parsème de lacunes. Je me souviens toutefois des mots du psy, celui-là même qui m’avait prescrit des médicaments : « Je n’aurai pas le temps de vous prendre en charge. Allez voir quelqu’un d’autre. Tenez, voilà des contacts. Dites leur que c’est pour un suivi de borderline. »
Borderline. Borderline. Borderline.
On y revenait.
Les mots griffonnés à la hâte sur l’arrêt de travail enfoncèrent le clou. « Suite de TS avec trouble de la personnalité. Nécessite des sorties libres. »
Je n’admettais alors que difficilement avoir fait une TS. Mais reprendre le diagnostic de borderline dans les dents, c’était un échec pour moi. L’échec le plus total. J’avais vécu les 5 dernières années avec la certitude de pouvoir surpasser (peut-être même d’AVOIR surpassé) cet état. C’était oublier que ce n’est pas quelque chose qu’on surpasse, mais quelque chose qu’on accepte et qui nécessite des adaptations, parce que ça ne se soigne pas…
…et maintenant ?
Maintenant ça va. Comme pour le premier diagnostic, je vis avec. Je décrypte petit à petit ce que ça implique, je fais des expériences et je tombe souvent, mais j’apprends mes limites et j’y trouve des richesses. Dire que je n’en souffre pas serait mentir, mais la vérité, c’est que j’arrive à le contrebalancer et je ne le vis pas si mal.
Il y a eu un vrai troisième diagnostic peu de temps après, et si lui non plus n’a pas été une surprise, il a sans doute été celui qui a le plus créé de la culpabilité. Être frappée par un stress post-traumatique sans avoir fait la guerre ne pouvait que me donner l’impression d’être là pire des imposteurs. Et pourtant cela facilitait tellement la mise en place des pièces du puzzle. Cela traçait la route à suivre. Du temps, du temps, du temps mais pas que. Revenir point à point, déconstruire les mécanismes dangereux pour moi. Avec la certitude qu’il y avait quelque chose derrière, quelque chose de plus vieux, quelque chose qui avait conduit à. Mais quoi ?
J’avais l’impression d’avoir beaucoup avancé, beaucoup marché. Je l’ai sans doute fait.
Et puis cette semaine il y a eu un nouveau diagnostic. Et celui-là m’a prise de court. Je ne m’y attendais pas. Après un an de thérapie suivie, à avoir trouvé des arrangements, des solutions, accepté que « j’étais comme ça », posé des barrières, adapté ma vie à mes limites… Ce nouveau diagnostic m’est arrivé dessus comme un coup de poing dans le ventre, violent, assommant, étouffant, étourdissant. Je me suis sentie tomber. Je tombe toujours.
Nous parlions dépendance affective et angoisses. Besoin de guide et incapacité à m’exprimer. Phobie de sortir et épuisement. Gestion des émotions et rapport à l’enfance. Je décrivais l’interdiction que je me posais à exister, jusqu’à mes vingt-cinq ans environ (ce fameux moment où « j’ai voulu devenir le personnage principal de mon histoire »).
« Oui. Vous avez traversé une longue période de dépression durant votre enfance. Elle n’a jamais été exprimée, alors elle s’accroche. »
Non.
Non.
Non.
Ça, c’était impossible. Et d’avoir tout, toute l’évidence devant les yeux, parce que ça l’est, évident, parce que tout tombe juste pile en place, n’a absolument pas aidé.
C’était impossible.
Impossible parce que je ne pouvais pas faire ça à mes parents qui avaient vraiment tout fait pour m’élever de leur mieux.
Impossible parce que personne ne s’était rendu compte de rien. JE ne m’étais rendu compte de rien. MOI, adulte face à l’enfant que j’étais, n’avais JAMAIS même émis cette hypothèse. Je ne pouvais pas avoir été aussi aveugle. A côté de combien d’enfants qui souffrent serais-je aussi passée sans les voir ?
(Etais-je à mon tour devenue adulte aveugle face à ma propre soeur ?????)
Impossible parce que soudain, un lundi soir, comme ça, de nulle part, on m’assène la phrase qui semble alors marquer le plus gros échec de ma vie. La culpabilité est sans fin. ?Je suis d’une vulnérabilité incroyable. Et même avec ça je parviens à maîtriser mes larmes devant la psy parce que…
Parce que non.
Parce que « je n’ai pas le droit ».
Envolés, les beaux discours pourtant si évidents dans ma tête, ceux que j’utilise alors que je suis en colère pour rappeler aux gens qu’ils sont ce qu’ils sont.
Envolée la logique la plus élémentaire du « j’ai le droit d’aller mal » que je suis la première à défendre.
Shutdown complet. J’ai tout coupé. Tout fermé. J’ai eu besoin d’en parler. J’ai envoyé des messages. Et puis je n’ai pas réussi à en parler. J’ai plaisanté pour éloigner les messages d’avant.
[Si vous avez reçu ces messages ne vous sentez pas mal. Vous n’auriez rien pu faire parce que je ne vous aurais rien laissé faire. Vous n’y êtes pour rien.]
Ce n’est pas seulement « je n’ai pas réussi à en parler ». C’est « encore maintenant je ne parviens pas à le vocaliser et l’écrire me fait pleurer toutes les larmes de mon corps. »
Heureusement, écrire met de la distance, rend les choses presqu’irréelles pour moi. M’écrire, c’est faire de moi un personnage. Je vous sers ce personnage en me disant que, peut-être, l’impact sera moins grand. Peut-être que si moi, je lis assez ces mots, je finirai par me dire que ça va.
Mais pour l’instant, à l’heure où j’écris ces lignes, il n’y a pas eu une minute où je n’ai pas eu des anxiolytiques dans le sang depuis que le diagnostic est tombé. J’en suis presqu’à chronométrer. J’ai commis l’erreur une fois de ne pas les prendre en temps et en heure et l’angoisse, la phobie de TOUT m’assomme. Le fait de me lever, d’aller au travail, de tenir mes obligations sous toutes leurs formes, tout a été un effort énorme.
J’ai maintenu ma vie sociale envers et contre tout, parce que j’avais donné ma parole. Je suis sortie, j’ai invité, je n’ai été seule que très peu de temps cette semaine. Je n’ai pour autant jamais réussi à parler. J’ai essayé une fois ou deux mais ai écarté le sujet aussi vite.
Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à le DIRE. Alors j’écris en pleurant, parce qu’il faut bien que j’essaie de faire passer une crise qui dure depuis une semaine.
Depuis mardi matin tourne en boucle dans ma tête la rengaine du « ce n’est pas possible ». « C’est un mauvais rêve », même. Je n’ai plus envie de me réveiller. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été aussi mal et je ne sais même pas pourquoi.
J’ai l’impression d’être de retour au même niveau de douleur et de détresse qu’en 2014 et je ne comprends PAS pourquoi. Ce n’est qu’un diagnostic, un diagnostic évident même. Ce n’est pas une surprise. C’était il y a longtemps. Ça explique tellement de choses.
« Mais vous ne vous sentez pas mieux de l’entendre dire par quelqu’un d’extérieur ? »
Tellement pas.
Il y a des gens que le diagnostic soulage, pour qui entendre les mots permet de légitimer le mal-être. Pour moi, c’est le cas lors des diagnostics physiques (moi qui minimise souvent mes douleurs physiques, savoir que je ne suis pas hypocondriaque me rassure quelque part). Mais pas pour les diagnostics de santé mentale. Ceux-là empirent tout, parce que malgré mes études, malgré les gens sains de mon entourage, malgré le fait que RATIONNELLEMENT je sais que « dans santé mentale il y a d’abord santé », EMOTIONNELLEMENT cette foutue idée reçue que « je ne fais pas assez d’efforts / j’en fais des caisses » a quand même fait son chemin.
Je ne suis pas dans un état mental qui me permet d’accepter cette maladie. Et encore, s’il s’agissait d’une dépression maintenant, je ne dirais peut-être pas, même si j’ai déjà les mains pleines avec la gestion de mon état borderline.
Mais le fait qu’en plus, on parle d’une maladie qui se serait déclarée quand j’étais jeune, enfant, toute petite, qui aurait duré jusqu’à l’adolescence et au-delà, pour moi, c’est inacceptable. Pour plein de raisons. Parce que j’ai l’impression, tout d’abord, que mon HPI, mon état limite, je peux vivre avec, je peux trouver des solutions. Mais ça ? Comment vais-je faire avec ça ? Je me sens prisonnière, dans une impasse. Je ne vois pas comment vivre avec. J’ai envie de tout arrêter. Et puis aussi, surtout, parce que non, non, non. Pas les enfants. Pas moi. Pas moi enfant. L’innocence devrait être inatteignable. J’ai cette image de perfection que je ne veux pas briser. Mon plus grand traumatisme a sans doute été de naître, alors ?je refuse de reconnaître que « je n’ai pas eu d’enfance » parce que ce n’est pas vrai et ce n’est pas juste. Je passe mon temps à pleurer l’innocence.
Et pourtant il va bien falloir accepter de revenir dessus pour reformuler ce « je n’ai pas eu d’enfance » bien maladroit, injuste, incorrect, et le digérer, pour pouvoir avancer. Et dire que la route est longue est sans doute l’euphémisme de la semaine, du mois, de l’année.
J’ai dit que 2017 serait l’année où chaque contrariété aurait son contrepoids positif. Même si ce n’est qu’à moitié vrai, disons que le mal-être de la semaine dernière a pour positif d’avoir conduit à ce diagnostic qui devrait débloquer quelques points.
Quant au mal-être lié à ce diagnostic lui-même, il m’est encore difficile de lui trouver un contrepoids positif dans l’immédiat, j’avoue. Mais je suppose que ça veut dire que je vais toujours plus avancer. Même si ça va prendre du temps. Beaucoup de temps.
Ce dernier diagnostic va être long à digérer. ?Je ne sais pas par quel bout le prendre. Je ne comprends pas pourquoi il a à ce point tout bouleversé en moi. Pour l’instant j’essaie juste de maintenir une « vie normale » et des « apparences », comme toujours, en taisant l’angoisse et en évacuant comme je peux. A l’écrit.
Je ne vous cache pas que j’espère encore une porte de sortie miraculeuse, un « retour au soleil et tout ira mieux ». Peut-être que ça pourrait aller mieux un temps mais je replongerais direct… Il n’y aura pas de miracle et je dois faire face, mais je ne trouve pas encore les bonnes armes pour me battre, alors je survis.
Je suis seule face à un moi-même que je ne comprends pas, que je découvre. Je sais que je pourrais demander de l’aide, mais dans ma tête il est très clair que personne ne pourra m’aider. Je ne sais pas encore comment je vais faire. Je vais finir par trouver.
J’ai une impression de « passage initiatique pour pouvoir être moi, enfin ». Ou de « boss final à affronter seul alors que le reste de l’équipe (qui a été d’un soutien inestimable tout le long du run) a des armes inefficaces ».
J’aime bien l’image de boss final.?
Parce que j’avoue que, quatre diagnostics, quelques suspicions non-creusées et deux-trois « mots en l’air » plus loin, je ne vous cache pas que j’espère très fort que ce diagnostic-là, c’était le dernier.
[Je ne ferme pas les commentaires mais pour des raisons évidentes, je vous demanderai d’y réfléchir à deux fois avant d’en laisser un, ou de me contacter de quelque manière que ce soit à ce sujet. Et n’essayez surtout, surtout, surtout pas de me TELEPHONER ou me faire PARLER. Écrire est suffisamment difficile. Rappelez-vous : du temps. Beaucoup de temps.]
En théorie, j’étais censée partir ce matin pour Edimbourg ; en pratique, rien ne m’attend à Edimbourg, mon hôte de couchsurfing ne me semble pas fiable et je n’ai pas de plans là-bas (hormis me perdre pour le plaisir), alors que M.et moi avons trouvé tout un programme à faire à Glasgow pour la journée. Le choix est vite fait : je vais check-out de mon auberge, et passer une journée de plus à Glasgow. Tant pis, je resterai moins de 24 heures à Edimbourg.
Je suis réveillée par la femme de ménage, encore un peu dans le cirage après le concert d’hier. Dans un gros accent écossais, elle me demande si j’ai regardé dehors. Il faut que je lui fasse répéter trois fois avant de comprendre…
…il a neigéééééé !
J’ai rendez-vous avec M. vers 13h, je m’autorise donc à traîner jusqu’à 11h, heure limite du check-out, avant de quitter l’auberge. Je lis un peu, écris un peu, relis mon DailyShort de la veille (mais il n’a vraiment aucun sens ?!), et en profite pour faire mon sac avant de dire au revoir à la chambre.
Une chambre à l’image de Glasgow toute entière : kitsch, cosy, et en bazar !
Un fois prête, je prends mes bagages et me mets en route pour ma visite de Glasgow du jour. C’est en notifiant M. de mon départ de l’auberge que je réalise mon erreur. Jamais deux sans trois : j’ai une heure d’avance. Cette fois-ci c’est assez, je change l’heure de ma montre. Je me disais que je n’en aurais pas besoin pour cinq jours au Royaume-Uni mais c’était visiblement une erreur.
J’ai donc une heure de plus à tuer avant de retrouver M. et j’en profite pour flâner allégrement dans la très belle nécropole de Glasgow, qui me rappelle un peu le cimetière du Père Lachaise à Paris.
Nécropole sous la neige…
…mais sous le ciel bleu.
J’ai une fascination pour les cimetières, mais tout particulièrement pour les cimetières écossais. Il y a cette aspect fouillis, jardin sauvage, lieu chargé d’histoire qui me transporte.
C’est peut être cliché, mais loin de trouver ça macabre, je trouve ça très romantique finalement. Tant d’histoires à raconter.
Musique dans les oreilles, je m’autorise à me balader entre les tombes en silence, à me recueillir pour des gens que je ne connais pas mais dont, à partir des dates et des citations inscrites sur les pierres, j’imagine la vie. Il y a beaucoup de tragédies, de gens morts trop jeunes, de noms aux sonorités poétiques qu’on aimerait voir revivre. Je retrouve une Euphemia, qui doit être un de mes prénoms préférés depuis que je l’ai découvert dans un cimetière d’Edimbourg, et je me rappelle que cela fait depuis février 2015 que je dois écrire la vie de Euphemia. C’est un défi que nous nous étions imposé avec Rain lors de mon premier voyage en Ecosse. Lui avait déjà fait sa version des choses avec Euphemia Winter. Moi, j’ai laissé traîné. Alors dans ma tête, maintenant, je pense à ma version de l’histoire de Euphemia. Une musique toute mélancolique dans les oreilles, perdue au milieu des histoires des centaines de gens enterrés ici, je me surprends à me mettre à pleurer. Je ne sais pas ce que j’évacue, mais je me laisse aller et ça me fait du bien. Je me sens légère en ressortant de la nécropole et je prends le temps de m’asseoir sur un muret pour écrire mon DailyShort du jour, qui racontera donc enfin l’histoire de Euphemia Brown.
Je vous laisse cliquer sur les commentaires si vous voulez le lire en entier !
Une fois mon texte complété, j’ai les doigts un peu trop gelés à mon goût et je vais me réchauffer en visitant la cathédrale de St Mungo, fondateur de la ville de Glasgow si j’ai bien compris.
Elle est aussi majestueusement gothique de l’intérieur que de l’extérieur.
J’ai une fascination toute particulière pour son incroyable charpente. Du bois, du bois, du bois, qu’est-ce que c’est beau…
Je profite d’une exposition temporaire pour en apprendre plus sur la place de la cathédrale dans la société glaswégienne du Moyen-Âge à nos jours, puis il est l’heure pour moi de me mettre en route pour retrouver M.
Nous allons visiter l’université de Glasgow, cette fois-ci de jour.
Et sous la neige !
Je suis conquise.
Décidément, j’ai vraiment l’impression d’être à Poudlard. J’apprécie la balade dans les couloirs, dans les jardins…et dans la boutique de l’université où je finis par craquer pour le pin’s du blason, et un autre pin’s qui croise les drapeaux écossais et suédois. On ne se refait pas !
Après ce voyage dans le monde magique, nous nous rendons à Kelvingrove pour voir l’expo Mucha qui m’a farouchement fait de l’oeil hier (et m’a fortement incitée à rester un jour de plus à Glasgow, j’avoue). C’est très émouvant pour moi de voir toutes ces affiches rassemblées, avec certains crayonnés de Mucha. Je découvre également le parallèle avec Charles Mackintosh, égérie de Glasgow que je ne connaissais pas mais qui est clairement dans le mouvement Art Nouveau. Je tombe amoureuse de ces traits élancés.
Un Mackintosh encadré de deux Mucha. L’inspiration ne fait aucun doute.
Comme dit plus haut, ça me rend toute chose de pouvoir observer les crayonnés de Mucha.
M. m’immortalise en mode « Paint me like one of your Mucha girls »
Une fois l’exposition terminée, nous visitons le reste de Kelvingrove. Le bâtiment est majestueux, les choix d’objets exposés sont… pour le moins incongrus.
Plein de têtes flottantes dans cet immense hall (qui avait également un somptueux orgue)
UN DODO. Il y avait aussi un ptérodactyle mais j’ai perdu la photo.
Cabinet des curiosités, art moderne, histoire naturelle, tout se mélange mais l’ensemble est plutôt amusant, même si on s’y perd un peu. Ce musée est à l’image de la réputation de la ville de Glasgow : complètement barjo !
Lorsque nous ressortons, il est environ 17h et il nous reste un peu de temps pour bourlinguer dans la ville. Je découvre encore des nouvelles choses.
Il est intéressant de noter qu’en Ecosse, de nombreuses églises ont été « recyclées » : salle de spectacle, musée, ici c’est un café. Je trouve l’idée plutôt bonne : cela permet de garder les lieux en bon état et vivants.Et c’est beaucoup moins hypocrite que toutes ces églises avec des magasins de souvenirs dedans !
« Glasgow, c’est la ville du shopping », m’avait prévenue M. J’aurais dû l’écouter. Après mon kilt violet, voilà que, devant la vitrine d’une friperie, je craque sur ces merveilleuses bottes…(heureusement pas à ma taille, mais on est quand même entrées dans le magasin…)
Mais nous entrons quand même dans la friperie et : CETTE ROBE. Elle fait d’ailleurs l’unanimité chez le hivemind Twitterien, alors je ne résiste pas très longtemps.
Un exemple de l’humour glaswégien, qui n’a rien à envier à l’humour gothenbourgeois… Ni au mien ! Pas de doute, je suis dans mon élément dans cette ville. Il y a eu plein d’autres démonstrations de jeux de mots foireux durant le séjour, j’étais ravie.
Une fois le shopping terminé (je suis faible), il est temps de nous rendre dans un autre restaurant qui semble faire la fierté glaswégienne : le Shish Mahal, restaurant de celui qui aurait inventé le poulet tikka massala (un plat, rappelons-le, garanti British et qu’on ne trouve pas en Inde).
Le restaurant est super classe : avec M., on ne sait pas trop où se mettre, et on ne comprend pas tout ce que disent les serveurs…
M. immortalise ce repas (g)astronomique. Confession : on n’a pas réussi à finir.
L’autre côté de la photo. Je fais peut être peur mais concentrez vous plutôt sur ce merveilleux GARLIC CHEESE NAN.
Bon, la vérité vraie c’est qu’on n’a pas obtenu exactement ce qu’on pensait manger. L’important, c’est qu’on ait pu goûter le fameux tikka massala (je ne regrette rien), et puis le garlic cheese nan à lui seul valait le coup de venir. On se demande un peu où on a mis les pieds quand même, tant le restaurant semble chic et huppé (« On est chez la mafia, c’est pas possible »). Finalement, les serveurs s’avèrent très aimables une fois le premier abord passé, ils nous demandent si nous sommes soeurs, d’où nous venons, ce que nous faisons à Glasgow et nous parlent un peu des plats. Nous discutons, mangeons, calons, prenons un doggy bag et finissons par décider d’un commun accord d’appeler ça un jour et de rentrer tranquillement. Direction chez M. pour ma dernière nuit à Glasgow.
Vous ai-je dit que M. était une personne de goût ? #TeamElephant
Le Poui approuve.
Nous passons le reste de la soirée à papoter autour d’un thé, puis vient l’heure pour moi d’écrire un peu avant de dormir. Je ne prends que trois notes et demie sur le voyage avant de sombrer. Cette fois-ci, pas de cartes postales : juste des DailyShort, des DailyThought, c’est déjà un rythme pas évident à suivre…
Demain : direction Edimbourg, une des villes qui ont ravi mon coeur, même si je dois reconnaître que Glasgow m’a fait beaucoup d’effet.
Vendredi 13 janvier 2017
Réveil matinal, un peu douloureux. Hier soir, j’ai pris un billet Megabus pour Edimbourg tôt ce matin pour pouvoir profiter un peu de la ville, quand même, avant de prendre mon bus de nuit à 22h et quelques. Ca paraissait une idée raisonnable sur le coup, mais beaucoup moins quand l’alarme a sonné. Je n’aurais pas été contre farnienter un peu plus après tout le crapahutage des derniers jours.
Tant pis, je me reposerai quand je serai morte, pour le moment l’aventure m’attend. M. et moi admirons le lever du soleil pendant qu’elle m’accompagne à la gare.
Bye bye, Glasgow!
Après un dernier au revoir, je grimpe dans le Megabus et en route pour Edimbourg ! Sur la route, je découvre non sans amusement l’existence d’une compagnie de livraison qui me plait beaucoup.
« Yo-de-le-heeee-voici-votre-coliiiiis-hoooooo »
Le voyage se passe sans encombres et, soyons honnêtes, je comate un peu en regardant le paysage défiler. C’est en entendant les deux filles à côté de moi s’extasier que je réalise que nous arrivons à Edimbourg. « It truly is the most beautiful city in the world! », s’exclame l’une d’elle.
Difficile de lui donner tort. Avec son château, ses montagnes, ses vieilles pierres, Edimbourg est majestueuse sous le ciel bleu.
On a vu pire accueil.
Je suis toute émoustillée de revenir dans cette ville que j’ai tant aimé il y a deux ans…
EDIMBOURG
A la descente du bus, je file à l’office du tourisme récupérer une carte de la ville, et en sortant, je suis accueillie par le cliché écossais : un cornemusiste au pied du monument à Sir Walter Scott.
Le fameux monument. On ne voit pas le cornemusiste sur la photo je crois…
Je me perds avec plaisir dans les rues d’Edimbourg, retrouve avec joie le charme de cette ville et plein de souvenirs reviennent. Je sais pourquoi je l’adore…Surtout vu le temps qu’il fait. Le Poui et moi décidons de grimper jusqu’au château et à la rue-des-touristes, et je m’aperçois avec joie qu’en fait, je n’avais pas forcément besoin de passer chercher une carte : je m’y retrouve très bien dans le centre rien qu’avec mes souvenirs. Petite fierté.
Château d’Edimbourg sous temps radieux.
Le Poui retrouve sa terre natale avec émotion.
Vu sur la route : « Salon de Tea ». Le Poui et moi saluons le mélange de nos deux cultures
Une fois en haut, le Poui et moi évaluons nos possibilités. Il est déjà presque 12h, nous repartons à 22h30. Sachant que j’aimerais visiter le Museum of Scotland, il ne reste pas assez de temps pour grimper Arthur’s Seat, et puis avec mes bagages, je ne suis pas très motivée (même si je voyage assez léger). Voilà, j’ai une excuse pour revenir. Je dois encore escalader Arthur’s Seat.
Le Poui me souffle à l’oreille que lors de ma dernière venue à Edimbourg, j’avais été très intéressée par un musée nommé « Camera Obscura and World of Illusions », dont la devanture affichait une armée de miroirs déformants et la promesse de moult illusions d’optique à l’intérieur. Etant fan de ce genre de choses, j’opte pour me laisser tenter cette fois-ci.
Le musée tient ses promesses : il s’agit d’une grande exposition d’illusions, effets électriques, miroirs, jeux sonores, peintures et modèles incongrus et installations étranges. Je m’éclate à me perdre dans ses nombreux étages, et arrive en haut pour le spectacle de la Camera Obscura.
A défaut de la vue depuis Arthur’s Seat, la vue depuis le haut de la Camera Obscura ne manque pas de panache.
La camera obscura, chambre obscure donc, c’est une salle sombre, avec un cercle de bois clair en son centre. La lumière entre en filet par le toit, reflétée par un miroir, et vient tomber sur le cercle clair en reflétant les images de l’extérieur. Je ne vous fais pas les explications physiques, Wikipedia s’en chargera mieux que moi, mais c’est un spectacle assez fascinant, surtout quand on considère que rien dans cette salle n’a été changé depuis deux cents ans au moins. Le guide nous fait une visite des vues d’Edimbourg (« Et là, vous avez la chance de pouvoir observer un phénomène rare dans le ciel écossais… le SOLEIL ! »), orientant le miroir à sa guise, nous montrant des petits détails, jouant avec les images qu’il nous montre. Une démonstration à la fois passionnante et amusante. Rien que pour ça, je ne regrette pas mon billet d’entrée. Mais les autres pièces ne manquent pas non plus de source d’amusement pour une grande gamine comme moi…
Le miroir bombé, aka « jenaipascompriscommentçamarche », featuring mes ongles stupides.
La salle des jeux électriques permet de faire plein d’éclairs et d’effets chouettes sur les photos !
Le tunnel de led infinies est du plus bel effet.
Dans la salle des tableaux : saurez-vous trouver le tigre caché dans cette image ?
J’aime beaucoup trop jouer avec des miroirs.
J’aime BEAUCOUP TROP jouer avec des miroirs. J’ai fait le labyrinthe deux fois, juste pour le plaisir de me perdre. Oui, je me suis pris deux murs au passage.
A mon sens la meilleure attraction : le vortex. On est loin du vortex de Sam and Max, mais j’ai littéralement passé la moitié de mon temps de visite dedans. Un simple couloir dont les murs, mis en valeur par la lumière noire, tournent, donnant l’impression que le pont sur lequel on traverse tangue. A force de rester dedans, j’ai réussi à me rendre malade pour les trois heures qui ont suivi. Je ne regrette rien.
L’escalier musical pour sortir du musée. Une marche une note. J’ai joué dessus dix bonnes minutes et ai failli me rétamer plusieurs fois, surtout en sortant juste du Vortex.
Cette vidéo est une bonne présentation du musée en général. On voit particulièrement bien le Vortex à la fin.
Je repasse deux plombes dans la boutique de souvenirs, comme la dernière fois où j’étais venue où, sans avoir été dans le musée, j’avais essayé tout ce qu’il y avait dans les rayons. C’est plein d’objets farfelus, drôles, de livres intéressants. Je finis par repartir avec le souvenir que je juge le plus digne de moi.
« De plus en plus pire, s’exclama Alice ! »
L’après midi est bien entamé quand je ressors du musée, mais je suis loin d’être au bout de mes émotions. Edimbourg me réserve plein d’autres surprises…
Comme par exemple ce panier de pouis dans la rue touristique. J’en suis toute émue. Le Poui fait une drôle de tête.
…En effet, si je n’ai pas eu la chance de rencontrer beaucoup d’autochtones à Edimbourg, je n’en fais pas moins une rencontre bouleversante au détour de la rue. En effet, deux femmes sont en train de faire une démonstration avec des rapaces à l’air extrêmement digne, puis proposent aux gens dans la rue de les porter un moment. Une chouette et un grand duc nous toisent ainsi, et quand je m’approche et vient mon tour, je me retrouve avec un majestueux grand duc sur le bras. Elle s’appelle Gwynelia, elle a trois ans, elle est incroyablement douce et sage, et elle a un regard bouleversant. Je l’observe, elle m’observe, nous échangeons un peu toutes les deux. Je ne veux plus la poser, mais elle pèse quand même son poids, au bout de mon bras, et vient le moment de la redonner à sa dresseuse.
Non sans avoir immortalisé le moment.
Bon, les coulisses sont moins fameuses. On ne peut pas avoir toujours l’air intelligent.
Je parraine Gwynelia à hauteur de cinq livres et m’éloigne, toute sonnée de cette rencontre. Il me faut un moment pour me recomposer, avant que je ne recommence à me perdre dans les rues d’Edimbourg pour me rendre cette fois-ci au Museum of Scotland.
Le Museum of Scotland (gratuit, celui-ci) est un musée d’histoire naturelle plutôt riche et bien fichu dans lequel, soyons honnêtes, je me perds copieusement. Tout y est bien décrit et passionnant, la muséographie est bien pensée, c’est un plaisir (même si ça manque un peu de sens de la visite, ou alors je ne l’ai pas trouvé…) Il retrace toute l’histoire de l’Ecosse, avec des points de vue parfois différents de ceux que j’ai pu étudier, et présente quelques pièces un peu incongrues…
Je vous mentirais si je vous disais que voir Dolly, la fameuse première brebis clonée, ne m’a rien fait.
Après des heures à passer d’étage en étage, je finis par me faire mettre dehors par le conservateur lui-même (en tout cas c’est ce que son badge semblait indiquer) : l’après-midi est déjà terminé, il est 19h, grand temps de sortir du musée et d’aller manger !
Je jette mon dévolu sur The Last Drop, un pub du Grassmarket, qui doit son nom au dernier pendu de la place où il se trouve, et est décoré d’une collection de noeuds coulants. Ambiance… L’atmosphère y est pourtant plutôt chaleureuse, et je ne vois pas de trace de la petite fille censée hanter les lieux. Tant pis, une autre fois…
En revanche, le Poui et moi y mangeons bien : mac&cheese et garlic bread…
…et un awesome toffee brownie en dessert !
Pendant mon repas, on me laisse tranquillement préparer la suite de ma soirée : je réserve une visite guidée payante, le Ghost Tour, qui a une répétition du tonnerre et m’a déjà fait de l’oeil la dernière fois que je suis venue. Si je m’écoutais, je ferais l’intégralité des visites guidées d’Edimbourg, mais il faut faire des choix. J’en ai une autre potentiellement prévue à 20h, gratuite celle-ci, mais alors que je sors du pub, je suis tellement heureuse et repue que j’en perds mes repères et me perds cette fois-ci pour de bon dans les rues d’Edimbourg. Je fais des tours et des détours, ne retrouve plus la rue principale de la vieille ville, et finis par atterrir avec dix minutes de retard au point de rendez vous. Je vois une visite au loin et la rattrape en espérant que ce soit la bonne –pas de chance, c’est une autre visite payante. Oh, bon. Tant pis. Voilà que j’ai une heure à tuer avant mon tour payant.
Je fais contre mauvaise figure bon coeur et vais donner une partie du liquide qui me reste à un musicien de rue qui enchaîne les tubes, jusqu’à ce que sa petite amie le rejoigne et que je me retrouve seule. J’en profite pour aller jeter un oeil à l’église qui fait la fierté des Ecossais, celle avec un ange qui joue de la cornemuse… mais l’entrée est payante. Enfer.
Je me trouve donc un petit coin calme et, malgré le froid, profite de cette dernière demie-heure pour écrire et poster mon DailyShort du jour.
Enfin, l’heure arrive et je me rends au point de départ de ma visite guidée. Notre guide, Jerry, est un cliché écossais à l’accent qui transperce mon coeur. Pendant une heure trente de pur bonheur, il nous montre les coins et recoins de la ville, nous fait découvrir les sombres souterrains de Glasgow, nous démontre par A+B pourquoi l’être humain a peur du noir, nous fait rire, frissonner, trash-talke Glasgow (ça a l’air d’être un sport entre ces deux villes). Avec mes mauvaises oreilles, je m’efforce toujours de rester près de lui pour pouvoir au moins lire sur ses lèvres ce que je ne comprendrais pas quand il parle. Bougies, fantômes, morts mystérieuses, tout y est. Je vais rêver de fantômes cette nuit.
Enfin, nous arrivons au Greyfriars Kirkyard, le cimetière où se trouveraient notamment la tombe de Tom Riddle ainsi que celle du mari de Minerva McGonnagall, mais aussi et surtout le lieu de résidence d’un des pires esprits frappeurs connus à ce jour. Notre guide nous avertit : il n’est pour rien dans quoi que ce soit qui pourrait nous arriver.
L’ambiance est parfaite.
Jerry nous parle de l’histoire de « Bloody » Mackenzie, l’esprit frappeur du cimetière, et nous fait visiter la zone fermée au public, celle où ont lieu la plupart des manifestations paranormales, et surtout l’endroit où près de 400 personnes sont restées enfermées au XVIIe siècle, car les prisons avaient trop peu de places. La visite est à la fois fascinante… et glaçante. Notre guide est excellent pour recréer l’ambiance, démystifier le mythe… et en recréer par dessus, de sorte qu’on ne distingue plus la vérité du fantasme. L’atmosphère est pesante. Soudain, alors que notre guide nous parle d’une tentative d’invocation qui aurait mal tourné, une silhouette sombre arrive au centre du cercle, hurle, et disparait brutalement. Nous hurlons.
Ce n’était qu’un acteur.
« On est obligés », nous explique Jerry. « Si on ne le fait pas, les gens se plaignent. Mais on a réellement de nombreuses personnes qui nous écrivent après la visite pour témoigner d’agressions paranormales. »
Jusqu’au bout, Jerry saura être fascinant, nous expliquant le fonctionnement de la commission qui prend ces témoignages très au sérieux, les répertorie, les documente… Les fantômes du cimetière du Greyfriar ont encore de belles nuits devant eux.
Je repars ravie de ma visite, plus fascinée par les fantômes que jamais, et avec plus de connaissances sur cette extraordinaire ville qu’est Edimbourg. Mais le séjour s’achève. Il est temps pour moi de rejoindre mon bus de nuis…
Sur le pont avant la gare. Bye-bye, Edimbourg…
Hélas, nous sommes vendredi 13, et j’ai un peu trop titillé les esprits en cette journée fatidique. Ou alors c’est peut-être juste ma poisse qui se réveille : toujours est-il que le bus ne démarre pas.
Nous patientons, une heure, une heure trente… Enfin, un nouveau bus arrive. Mais pas de couchettes cette fois-ci : il faudra voyager assis. Qu’à cela ne tienne, j’ai déjà fait pire. Je m’installe confortablement (le bus reste un Megabus Gold, service de luxe, on a même à manger pour le voyage !), et la tête toujours pleine d’histoire de fantômes, je chantonne Fear of the Dark.
Je finis par récupérer la chanson sur mon téléphone, et en écrivant un peu, je l’écoute toute la nuit. En route pour Londres.
J’ai toujours été une collectionneuse. Ça m’a posé beaucoup de problèmes par le passé. Il faut dire qu’on est vite limité en place dans un appartement, et que ma collection de 100+ peluches et 200+ objets en rapport de près ou de loin avec les souris s’est rapidement avérée intransportable.
J’en ai déjà parlé dans un article précédent : je me soigne. J’apprends à me détacher du besoin d’accumuler des choses matérielles. Heureusement j’ai aussi d’autres formes de collections qui sont, elles, immatérielles. J’ai une collection de souvenirs à Patronus. Une collection de questions. Et puis surtout, j’ai une collection de rêves.
Ça a toujours été. Ça m’aide à dormir les nuits. Ça m’aide à survivre à mes journées. J’en pioche un, et hop, je suis partie. Ces rêves-là ne sont pas faits pour être réalisés. Je vous parlerai de ma théorie de la groupie bientôt, c’est promis. C’est juste du petit daydreaming pour tenir le coup. Comme quand je traîne sur les sites de billets d’avion et que je m’imagine partir.
Parmi tous ces rêves, il y avait celui de faire une tournée. Depuis mes 13 ans, je rêve de passer de ville en ville en suivant un de mes groupes fétiches… En tant que groupe de première partie, ça aurait été le pied. En tant que roadie, ça aurait indiqué que mes choix de vie avaient drastiquement changé (peut-être pour le meilleur). En tant que fan, ça semblait le plus réalisable (et le plus rigolo). Après tout, il y en avait plein, des fans dévoués qui le faisaient, que les artistes reconnaissaient dans la foule, c’était surtout une question d’argent au fond.
Bon.
Mon groupe n’a jamais fait de tournée. Il n’a pas fait des masses de concerts, en même temps, remarquez. Protip : faire un groupe où chacun des membres est séparé par 300km minimum et certains viennent juste de se mettre à la musique, c’est difficile à mettre en place. Pas impossible, mais perso, on n’y est pas arrivés.
Je suis suffisamment sortie de ma zone de confort pour être volontaire de festival, et j’ai été roadie sur UN concert auquel je n’ai même pas assisté (mais c’était marrant quand même). On est loin des tournées, même si les deux expériences n’étaient pas en France.
Et puis en fait, il s’est avéré que même sans trop d’argent, je pouvais me lancer dans l’aventure de la tournée de fan. C’était stupide, c’était marrant, ça ne me coûtait presque rien à part le voyage, et c’est une fois de plus la faute de S., mon jumeau suédois que je ne vous présente plus, qui a travaillé pour Sabaton que je ne vous présente plus non plus.
C’est ainsi qu’au début de l’année, je me suis prévu mon petit tour des concerts de Sabaton au Royaume Uni. Je n’ai bien évidemment pas fait la tournée complète (je n’ai pas un emploi du temps extensible), mais le peu que j’ai fait a été riche en émotions, et j’ai réalisé mon rêve.
Et pour ne pas oublier, je le consigne ici, parce que quand même : on a bien rigolé.
Un peu de backstory pour comprendre comment j’en suis arrivée là : nous sommes en juillet 2016, Sabaton vient de sortir Blood of Bannockburn, leur nouveau single de The Last Stand, et ce morceau entre directement dans mon top 5 des chansons de Sabaton : il y a de la cornemuse, il y a du vieil orgue électronique old school, tout est old school dans cette chanson d’ailleurs, et ça parle de l’indépendance écossaise. Je suis hilare et conquise, je saute partout, une conviction s’imprime dans mon esprit : je veux voir cette chanson jouée en live en Ecosse.
Et ça tombe bien ! Sabaton viennent d’annoncer une nouvelle tournée. Parmi les dates, une à Glasgow, ville que je n’ai encore jamais visitée. Alors ni une, ni deux : je prends ma place pour le 11 janvier 2017 (je ne sais pas où je serai en janvier 2017, mais le 11, je serai à Glasgow. Point.)
Après tout, les concerts sont ma première bonne excuse pour voyager. Je reste fidèle à moi-même.
Et puis soudain, voilà que tout s’enchaîne. Je retourne en Suède en août, je revois S. qui me dit qu’il va peut-être faire la tournée, qu’il me tient au courant. En novembre, quand je vais assister au concert de Pain à Göteborg, S. me confirme qu’il bossera sur la tournée, et qu’il compte bien me mettre sur la liste des concerts. Alors ni une, ni deux, on se prévoit une partie de la tournée où je le suivrai.
Oui, je suis comme ça, moi. Y en a qui suivent les groupes. Le sort a fait que moi, j’ai suivi le roadie. Et je ne regrette rien.
Nous voilà donc en janvier 2017, et j’ai mon itinéraire beau et tout prêt. D’abord, Glasgow, puis pendant que Sabaton sera à Manchester, moi je vais me refaire un petit tour à Edinburgh parce que je ne peux pas me lasser de cette ville. Ensuite, je les rejoins à Londres (14/01), puis on fait la course de la traversée de la Manche pour arriver à Lille (15/01), puis Paris (16/01). Et Lyon la semaine suivante (24/01).
Cinq concerts en tout, ça me semble pas mal. Peut-être même que je vais juste attendre S. à la sortie et que je ne vais pas tous les faire parce que j’en aurai marre à la fin. Bon, on verra.
Mes billets d’avion et de bus et de trains sont réservés pour tout le périple et ça promet d’être épuisant. Je suis aux anges. J’ai un petit sac à dos et une poche-à-jambe et c’est tout ce dont j’ai besoin pour ce voyage qui ne sera finalement pas si long.
Mardi 10 janvier 2017
PARIS
L’aventure commence au moment de prendre mon avion pour Glasgow. Ma légendaire poisse des transports s’étant cumulée avec la malédiction du RER B, je me retrouve bien évidemment en retard pour l’embarquement. Ce serait trop simple si je n’avais qu’à courir : au check-in, on me demande d’enlever chaussures, ceinture, manteau, veste, bracelets. C’est une première, d’habitude je m’en sors avec seulement un de ces points. C’est ainsi que je me retrouve un glorieux après-midi de janvier à courir à travers le terminal 2D de Roissy Charles de Gaulle en chaussettes, avec tout mon barda dans les mains, pour arriver juste à temps devant l’hôtesse (sur le point de fermer la file d’embarquement) qui me regarde avec des yeux ronds.
Je remets mes chaussures et monte dans l’avion. En voilà un début épique. Le Poui ne tient plus en place : il retourne dans ses contrées d’origine.
Alors que je suis déconnectée et profite du vol pour écrire, sur Twitter, ça se déchaîne. Paraîtrait-il que je maltraite le Poui. A la descente de l’avion, en découvrant le flood dont nous avons été victimes, nous sommes tous les deux indignés. Heureusement, le délicieux petit crachin écossais nous ramène à la réalité.
GLASGOW
« Poui, on y est ! »
Fin d’après-midi. Après avoir retiré de l’argent, nous sautons dans le bus qui fait la navette vers la ville : en route pour prendre possession de nos appartements pour les deux nuits à venir, et retrouver M, collègue linguiste amoureuse des éléphants avec qui il fait bon discuter sur Twitter (spoiler alert: IRL aussi), qui nous invite à visiter Glasgow avec engouement. Chouette !
Mon mythique sens de l’orientation et moi-même nous perdons avant d’atteindre l’auberge de jeunesse. Je descends du bus trop tôt et me retrouve à marcher pendant une petite heure dans les rues de Glasgow. Point positif, je commence à découvrir la ville, et puis je ne suis pas trop chargée et mon GPS fonctionne bien : c’est finalement plutôt agréable. Je suis en contact avec M. qui me guide un peu et nous fixons une heure et un lieu de rendez-vous pour quand je serai posée.
Si l’accent écossais m’avait mis dans le bain tout de suite, l’arrivée à l’hostel ne fait que confirmer la chose. Le Tartan Lodge porte bien son nom : il est fièrement écossais d’un bout à l’autre, de son architecture (super classe) à sa moquette (de tartan).
L’ABC du kitsch écossais.
Je prends possession de mes appartements et le Poui se trouve tout de suite bien confortable. Le lit est chouette, il n’y a qu’une autre personne dans la chambre pour 6 (une Anglaise pas très bavarde), et pour 10€ la nuit, clairement, je ne me plains pas. Dès l’installation j’envisage même de rester une nuit de plus, car mon hôte de couchsurfing censé me récupérer jeudi soir à Edimbourg ne me semble pas très fiable. Je traînaille un peu puis me mets en route pour rencontrer M.
La nuit est quasiment tombée quand je la retrouve enfin (après m’être copieusement perdue, on ne se refait pas), et elle m’embarque dans une fabuleuse aventure glaswégienne avec la visite de Poudlard l’université de Glasgow de nuit.
Inutile de vous dire que j’ai sérieusement les yeux qui brillent.
Nous crapahutons un moment et je découvre l’amour des Glaswégiens pour les jeux de mots (on n’est pas au niveau de Gothenburg mais je salue), je me fais la réflexion qu’ils trébuchent quand même beaucoup (parce qu’ils ont toujours le nez en l’air ? Ou alors parce que leurs trottoirs sont très très inégaux, ce qui est fort plausible), et j’apprends à aimer cette ville qu’on m’avait décrite comme « trop industrielle et pas très intéressante ». (En fait : si, c’est cool Glasgow !)
Après une pause repos + achat d’une boisson dégueulasse (je voulais juste me désaltérer, je me suis retrouvé avec un truc imbuvable), nous arrivons au restaurant que M. a réservé pour nous ce soir, le « meilleur de Glasgow ».
Hé ben il n’a pas volé sa réputation. Si les quantités nous paraissent limite au début, je me rends vite compte qu’en fait non, pas du tout. On mange bien, beaucoup et pas cher. Vous ai-je dit que j’adorais l’Ecosse ?
Nous discutons moult et moult et lorsque nous commençons à piquer du nez dans nos assiettes (et la serveuse nous fait comprendre qu’il faudrait qu’on libère la place quand même, ces Français qui parlent trop en mangeant !), il est temps de se donner rendez-vous au lendemain et d’aller retrouver nos lits respectifs.
Sur le chemin du retour, je délire un peu sur la cathédrale qui explose les clichés du gothique tels qu’on les connaît…
Vous reprendrez bien un peu de gothique avec votre gothique ?
…et je finis par tomber de sommeil sur le coup des 23h, minuit heure française. On ne dirait pas comme ça, mais en fait, j’ai beaucoup marché aujourd’hui… Un #DailyShort peu inspiré plus tard, je sombre dans les bras de Morphée.
Je traînaille un peu au lit avant de me rendre compte que bigre et rebigre, je suis en retard. Je me prépare rapidement. Je ne réalise pas trop. Je suis à Glasgow. Aujourd’hui je vais visiter encore un bout d’Ecosse, et puis revoir S. et Sabaton. Je suis en Ecosse.
Je suis en…
…il y a une heure de décalage horaire.
Je suis en avance.
Je décide donc de me promener un peu et redécouvre avec joie le temps écossais.
[Ce Qu’il Faut Savoir] Une Lia en vacances a souvent de la chance avec le temps.
Auberge de jeunesse sur fond de ciel écossais, hashtag no photoshop hashtag no filter.
[Ce Qu’il Faut Savoir²] Le temps écossais est délicieusement imprévisible.
Tellement imprévisible que j’ai pas pu vous faire de photo avant/après.
C’est ainsi que sur le chemin, je me retrouve à faire face à une formidable averse de grêle. Le vent dans la face, la musique dans les oreilles, le soleil dans le dos et les grêlons dans la tronche, ne nous mentons pas : je suis cabossée mais hilare. J’aime vraiment beaucoup trop l’Ecosse.
Je finis par retrouver M. au centre commercial de Buchanan où nous mangeons…
Le coin est sympa, les magasins sont kitsch, c’est parti pour une virée shopping ! Nous déambulons dans les rues du centre, entre bookshops et Tartan House où je craque pour un magnifique kilt violet.
Je n’ai pas de photo de mon merveilleux kilt alors à défaut je vous mets les jeux pour enfants du centre commercial. Y a un PLODOCUS.
Découverte d’un centre commercial de luxe avec son paon et ses barrières en fer forgé, et ses escaliers (et escalators) en bois parce que POURQUOI PAS ?
Je croise aussi le fameux Duc Tête-En-Quille, une curiosité de Glasgow, et son cheval coiffé de la même manière.
Apparemment, c’est là la démonstration de l’humour glaswégien. Depuis les années 80, le duc de Wellington est coiffé d’un cône : enlevez le, il reviendra toujours, et personne ne sait qui le met. Les légendes urbaines comme on les aime !
La journée passe à coup d’achats et de conversations linguistiques, la nuit commence à tomber (et la pluie aussi), il est temps pour moi de dire au revoir à M. et de me diriger vers la salle de concert pour tenter de retrouver S. qui ne m’a pas donné de nouvelles de la journée. J’en suis à me demander si je réussirai à le voir mais qu’importe, ne perdons pas de vue mon but premier : je suis en Ecosse, et je viens voir Sabaton chanter Blood of Bannockburn à l’endroit où elle a le plus de chance de déchaîner les passions.
Quand j’arrive devant la salle, il y a du monde et je réalise que je n’apprends pas de mes erreurs. Je me retrouve en effet à attendre une heure de plus, car… j’ai une heure d’avance. Il faut que je mette ma montre à l’heure écossaise.
Qu’à cela ne tienne. J’envoie un message à S. pour lui dire que je suis devant la salle, papote allègrement sur Twitter, et tue le temps en regardant les roadies décharger le camion. Il pleuvigne, je suis avec amusement les conversations ponctuées de ce merveilleux accent écossais autour de moi, je croise au passage deux Suisses françaises qui font, elles, toute la partie britannique de la tournée (en tant que fan je n’ai aucune originalité), donc je papote un peu en français, et avant que j’aie eu le temps de vraiment commencer à avoir froid ou m’ennuyer, on nous fait entrer dans la salle. Cette fois-ci, rien d’extraordinaire : j’ai mon billet, je fais partie des premiers à rentrer, et je m’interroge sur si je dois me battre pour le premier rang ou pas. J’ai mon manteau et ma veste, je sens que ça va être pénible, et je finis par opter pour une place à la deuxième barrière, devant le bar, avec une super vue sur la scène.
Je crois que c’est la première fois que je suis aussi loin de la scène pour un concert de Sabaton.
Je patiente tranquillement en discutant avec l’adorable couple à côté de moi et en guettant des nouvelles de mon jumeau suédois. Finalement, un message arrive : « Où es tuuuuu ? ». Je lui décris ma situation et nous finissons, victoire, par nous retrouver. « Je ne t’ai pas reconnue, tu n’as pas ton sac à dos ! »
Oh, c’est vrai, c’est la première fois qu’il me voit en mode « ville » et pas en mode « baroude ». D’habitude j’ai toujours mon gros sac de randonnée, c’est plus facile à repérer. Nous discutons un peu, il me montre fièrement son équipement (il est habillé Sabaton de la tête au pied et ça transpire la classe, pour un peu j’en serais jalouse et il le sait), me raconte brièvement son travail. Je lui propose un verre mais il ne boit plus pendant toute la tournée. »Une vie saine », qu’il me dit, mais il ne trompe personne. La vie ne peut pas être saine en tournée…
« On a du temps, ce soir, si tu veux rester un peu après. Et on aura sans doute une journée de repos à Lyon ! Ce serait génial ! »
Un peu, mon neveu. Je croise les doigts que ce soit le cas, mais on verra en temps et en heure. Il y a d’autres concerts avant, à commencer par celui de ce soir !
Après une petite vingtaine de minutes, il retourne travailler, et je retourne m’installer confortablement à ma barrière. Le concert va commencer.
C’est Twilight Force qui ouvre le bal. Je les ai déjà vus au Sabaton Open Air l’an passé, de loin, et leur musique m’avait semblé très happy-go-lucky alors, sans que j’y prête vraiment attention plus que ça (fin de festival, j’étais vannée et les avais observés de ma tente, sous un ciel magnifique dans une atmosphère magique).
Verdict : leur chara-design déchire.
Qu’est-ce qu’ils sont choupis, qu’est-ce que leur musique est positive, qu’est-ce qu’ils doivent mourir de chaud sous leurs costumes ! Je tombe sous le charme immédiatement – sans doute parce que nous partageons les mêmes oreilles pointues. J’ai un coup de cœur pour, je l’avoue, le moment où le chanteur met une beigne involontaire au guitariste (c’est tout ce qu’il mérite : c’est un guitariste !) et passe le reste de la chanson à chercher à s’excuser.
Après une setlist d’une trentaine de minutes composée essentiellement de tubes que je ne connais pas encore assez à mon goût (mais ça va venir), durant laquelle ils jouent avec le public, sautent, dansent, se font des blagues, ils concluent sur un magnifique Power of the Ancient Force (version parisienne : la version glaswégienne n’a visiblement pas été filmée), puis laissent la scène à Accept.
Soundchecks, le temps de poster des bêtises sur Facebook et Twitter, de discuter un peu, et la soirée s’enchaîne. Accept, c’est une autre paire de manches, c’est plus ou moins tout ce que je déteste dans le heavy (j’aime bien certaines formes de heavy hein. Mais celle-là, non).
Des guitares qui dégoulinent, dégoulinent, envahissent l’espace sonore, au point d’en avoir la nausée. Un guitariste qui tire toute la couverture à lui et me donne envie de le gifler. Heureusement, le batteur est génial, et je me surprends à ne pas me lasser une seule fois de ses jongles.
Je vous laisse avec cet aperçu qui me semble encore plus long en vidéo qu’en live :
Mention spéciale à Metal Heart et sa foutue Lettre à Elise, mais ne vous en faites pas, j’y reviendrai plus tard.
Je me suis bien dépensée, j’ai bien rigolé : le concert est bon malgré le genre musical qui ne me convient pas. C’est assez étrange, cette alliance Sabaton-Accept, et les Allemands jouissent d’une telle réputation que je suis surprise qu’ils ne soient « que » deuxième partie. Sabaton a bien grandi… Ca fait raler une partie du public d’Accept, qui part à la fin du set sans même voir le dernier groupe. Personnellement, je suis contente d’y avoir assisté, mais je suis contente quand ça se termine. Les premières parties sont terminées : place aux choses sérieuses.
Les roadies démontent la scène et les soundchecks se font sur… du Two Steps From Hell parce qu’on est épique ou on ne l’est pas. Sabaton va envoyer du lourd, et j’ai hâte.Je trépigne. Je ne suis pas la seule.
Enfin, les lumières s’éteignent à nouveau. Place à In The Army Now, que je chante en chœur allègrement, même si je regrette la période où ils entraient sur The Final Countdown parce que THE FINAL COUNTDOWN QUOI.
La setlist n’est d’aucune surprise, je connais beaucoup trop de chansons par cœur, mais ça ne m’empêche pas de sauter partout, de chanter, de faire rire les gens autour de moi et de les entraîner dans ma folie. L’écran géant transforme le concert en une espèce de chouette karaoké géant, les guerriers spartes (que je reconnaitrai plus tard) envahissent la scène sur Sparta, comme tout bon concert de Sabaton qui se respecte l’énergie est bien présente, les gars sont incroyablement bons sur scène, bref, je m’éclate.
Pour autant, ce n’est pas la joie maximale : le son est moyen, le chanteur est visiblement malade (il force sur ses notes, sort régulièrement de scène…), et je suis un peu déçue par le choix de certaines chansons, en particulier The Final Solution que je trouve totalement vide d’émotions alors que sa version studio me met le cœur dans la gorge chaque fois. Les blagues qui l’encadrent sont, je trouve, terriblement malaisantes. Je ne sais plus où me mettre. Heureusement elle est suivie par Resist and Bite. Au moment où je réalise que je vais voir cette chanson en live 5 fois en un mois, j’ai envie de pleurer, je sens mon cœur qui grossit. Je me contente d’envoyer une déclaration d’amour à S., qui sait à quel point c’est important pour moi, à la fin de la chanson.
Le concert touche à sa fin, Primo Victoria a enflammé la salle, mais ils n’ont toujours pas joué Blood of Bannockburn. Qu’à cela ne tienne : il faudra attendre les rappels pour voir la foule exploser. Le public jusque là plutôt sage pour un public de metal (de mon point de vue hein, c’était quand même agité) disjoncte. Ca slamme et pogote dans tous les coins. C’est parti. JOIN THE SCOTTISH REVOLUTION.
Après ce fol hommage au pays où ils jouent, Sabaton enchaîne avec To Hell and Back, avant de saluer et de sortir de scène pour de bon. Voilà, c’est fini. J’observe les roadies qui discutent avec le public et démontent la scène. De loin, S. me repère et me fait coucou pendant 5 minutes. Concours de grimaces. C’est rigolo, mais je ne suis pas sûre de l’attendre. Il se fait tard, j’ai une petite heure de route jusqu’à mon hostel, je ne suis pas seule dans ma chambre, et je ne suis qu’au début de mon voyage.
Je traîne un peu les pieds en sortant, attends un petit moment devant la salle, puis finis par mettre ma musique dans les oreilles et envoyer un message à S. en lui disant que je le verrais à Londres. Tant pis pour ce soir. Il faut savoir être *gasp* raisonnable…
Je traverse donc Glasgow à pied pour rejoindre mon auberge, en continuant l’échange avec S. à coup de vannes, et en appréciant les bâtiments éclairés de nuit. J’ai le cœur brûlant d’émotions, heureuse simplement d’être où je suis, de marcher sous ce faible crachin, E-Nomine dans les écouteurs. Une musique particulièrement appropriée pour se promener dans une ville écrasée par le gothique, de nuit.
Ces éclairages me ravissent.
Je marche sans crainte, j’ai trouvé le Docteur !
Environ cinq minutes avant d’arriver à l’hostel, il ne me reste plus que deux routes à traverser, et mon baladeur juge bon de me passer Dearly Beloved, du Kingdom Hearts Piano Collection, au moment précis où de la neige commence à tomber du ciel.
Je m’arrête et profite de l’instant. Ce trajet de retour, même si je n’ai pu revoir S. à la fin du concert, était parfait. Là, maintenant, je suis exactement à l’endroit où je suis censée être, et c’est un sentiment de plénitude qui me met les larmes aux yeux. Je suis heureuse d’avoir fait ce voyage fou. Et ce n’est que le début…
Je retrouve mon lit, écris rapidement un DailyShort sans queue ni tête…
J’ai toujours vu ma vie comme une histoire qui se déroule. Pendant longtemps je me suis contentée d’en être narratrice sans vraiment prendre part à l’histoire, mais il y a de ça un an et quelques (peut-être deux ans, maintenant ?), j’ai pris conscience que j’étais le personnage principal. Je vous en ai déjà un peu parlé, mais ça me semblait être un bon point de départ pour cet article.
Comme beaucoup de gens, je me suis construite sur des modèles (je vous parlerai de ma théorie de la groupie plus tard). Quand on devient le personnage principal un peu tardivement, on a passé beaucoup de temps à admirer sans se rendre compte qu’on imitait. Bien sûr, j’ai en tête plein de ces personnages auxquels je me suis beaucoup identifiée à une période de ma vie, mais toutes les passions étaient passagères, et je serais bien en peine de les nommer.
Et puis soudain, un jeu est apparu sur Twitter, qui m’a forcé à réfléchir un peu à qui j’avais pu imiter, à qui j’avais cherché à ressembler. Vous l’avez sans doute vu passer vous aussi, rappelez-vous :
La question n’est pas si simple. Trois, c’est peu, même sur ma vie pas si longue que ça. Rien qu’à l’adolescence, les modèles se sont succédés rapidement.
Pourtant, trois me sont venus à l’esprit quasi immédiatement, et ce n’étaient pas forcément ceux auxquels je me serais attendue.
Alors j’ai eu envie de vous en parler.
ANTIGONE (Sophocle autant qu’Anouilh)
Antigone, c’est toute mon adolescence, mais pas que. « Je suis de ceux qui aiment, non de ceux qui haïssent ». Profondément idéaliste, Antigone va au bout de ses idées. On m’a déjà opposé que « Oui mais à la fin Antigone meurt ». Et alors ? Certes, c’est une tragédie, certes tout lui pendait au nez, mais Antigone est restée fidèle à ses principes et ne s’est pas laissé marcher sur les pieds. Quel est le but de mener une vie où l’on se ment, si on peut mourir en étant honnête avec soi-même et en allant au bout des choses ? Antigone ne voulait pas mourir, ce n’est pas un suicide, elle savait juste qu’elle refusait de se mentir. Sacrée héroïne, pour moi, même si ça ne veut pas forcément dire que mon avenir sera radieux.
Et puis je lui dois aussi la phrase « Moi je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier, ou alors je refuse ! », et je ne peux m’empêcher de me retrouver énormément dans cette impatience caractéristique.
Alors voilà, premier personnage, Antigone. On aurait pu se dire que c’était juste pour mon adolescence, mais non. Ou alors je ne suis jamais sortie de mon adolescence…
EDWARD ELRIC (FullMetal Alchemist – Hiromu Arakawa)
J’ai toujours eu un truc pour les mecs à tresses. Alors forcément, j’étais persuadée que j’étais amoureuse d’Edward Elric quand j’étais plus jeune. En même temps, on parle d’un ado ultra classe, au tempérament bien trempé, qui va lui aussi au bout de ses idées. Pourtant, malgré cette amourette, quand je me suis retrouvée face à la question des « trois personnages », Ed est le premier auquel j’ai pensé.
Pourquoi ? J’aurais du mal à le dire, mais en en parlant avec Rain, il m’a fait la même réflexion à mon propos. Je ressemble à Ed. Son esprit sur-rationnel, qui veut tout intellectualiser, ses cauchemars, son envie d’en découdre, le fait qu’il ne lâchera pas l’affaire tant qu’il n’aura pas obtenu gain de cause. Peut-être l’aspect « jeune prodige qui apprend extrêmement rapidement », aussi, l’enfance atypique… Il pourrait y avoir plein d’explications. En tout cas, si je devais n’en garder qu’un seul, je garderais Ed.
TASSLEHOFF RACLEPIEDS (Lancedragon – Margaret Weiss et Tracy Hickman)
Je ne suis pas un kender pour rien. C’est Tass qui m’a tout appris. Frappée par la vagabondite il y a quelques années, j’ai aussi cet aspect totalement naïf et inconscient : « Oh, un danger ! Allons voir ce qui se trame, c’est une nouvelle expérience ! »
Alors certes, je ne chaparde pas involontairement, mais pour le reste, c’est tout à fait représentatif. Etat d’esprit enfantin et besace pleine d’objets incongrus compris.
Voilà donc comment je me décrirais, actuellement, en trois personnages. Mais je n’ai pas toujours été celle que je suis, et il est possible que j’évolue. Alors, comme je suis une vile tricheuse, je ne vais pas m’en tenir à trois personnages seulement. Je vais aller plus loin, et vais tâcher de vous donner trois personnages qui décrivent mes ambitions et ma frise chronologique. Mes modèles à différentes périodes de ma vie, en somme.
SAWAKO (Vitamine – Keiko Suenobu)
Chronologie oblige, on commence par l’enfance et l’adolescence. Quelle bonne excuse pour vous parler de mon manga préféré, Vitamine de Keiko Suenobu ! Il s’agit d’un one-shot traitant de l’ijime, qui est aussi puissant que violent psychologiquement, et a eu un impact indélébile sur la Lia de 15 ans. Bien sûr, la situation de Sawako n’était pas la mienne, mais je reconnaissais les états d’esprit, et la voir se battre autant m’a donné envie de me battre pour mes rêves. Sawako, tu as été le modèle de mon adolescence, celle que j’ai voulu être dès mes 5 ou 6 ans. Ça a pris du temps.
CLARISSE MCCLELLAN (Fahrenheit 451 – Ray Bradbury)
« J’ai 17 ans et je suis folle », nous dit Clarisse. Si Fahrenheit 451 est mon livre préféré, ce n’est pas un hasard : la première fois que je l’ai lu, après l’avoir fini, je suis restée les yeux dans le vague pendant une heure, à porter mon deuil. Je n’ai plus 17 ans, mais Clarisse est tout ce que je veux être désormais : quelqu’un qui se moque éperdument des conventions sociales et qui vit à son rythme, en prenant le temps d’apprécier ce que les autres n’apprécient plus, en croquant la vie à pleines dents. Quelqu’un qui vit à en mourir, qui fait partager sa passion aux autres envers et contre tout, et qui jamais ne se défait de son sourire sincère.
SUSAN CALVIN (Le Grand livre des robots – Isaac Asimov)
Une psychoroboticienne. Ce n’est pas un hasard si j’ai envie de faire un master en linguistique computationnelle. Le sujet me fascine, il mêle de la logique pure à la sinuosité de l’esprit. Et Susan Calvin fait ça à merveille, tout en faisant fi des qu’en-dira-t-on, elle vit pour elle même, entourée de ce qu’elle aime et peu importe ceux qui ne comprennent pas. On la dit aigrie mais elle vit, elle aussi, toujours de sa passion, et peut-être que c’est bien ça le fil rouge de ma vie. Et c’est sans doute ce que je veux garder pour plus tard. Quand je serai grande, je serai Susan Calvin.
J’aurais pu nommer plein d’autres personnages. Meriadoc Brandebouc, Matilda (Roald Dahl), Rumi (Otaku Girls – Natsumi Konjoh), plein d’autres qui m’échappent pour le moment et sont moins évidents. Mais j’aimerais conclure sur un petit clin d’œil à une adolescente que j’ai forcément été. Et même si, après avoir revu tous les épisodes, je ne la suis plus tant que ça…elle me fait toujours autant sourire et me permet de garder un regard bienveillant sur la période ingrate de l’adolescence.
Et vous, alors ? Qui sont les personnages qui ont fait de vous un personnage principal ? Et ceux qui vous aideront à écrire la suite de votre histoire ?
La première fois que j’ai entendu l’expression « pratiquer le lâcher prise », c’était au lycée, et ça ne m’a pas plu du tout.
On m’expliquait, de manière très injuste du point de vue de la Lia de l’époque, que plutôt que se battre pour mettre un sens aux écueils, aux ruptures et aux disparitions de la vie, il valait mieux lâcher rapidement et passer à autre chose.
Clairement, ça ne m’allait pas du tout ! Moi je voulais me battre, garder les liens, continuer à construire envers et contre tout. Et comprendre.
On ne peut pas toujours tout comprendre.
La Lia de 2005 a grandi, a pris du plomb tant dans l’aile que dans la cervelle, et cette fâcheuse manie de ne surtout, surtout jamais vouloir lâcher, toujours s’efforcer de construire, même par dessus des ruines, a bien failli la mettre en danger…
Il y a eu toutes ces fois où « ça va marcher si… », dans mes relations en particulier. Cette relation est belle, si je m’investis plus, ça va marcher. J’ai fait une erreur, si je la répare, ça va marcher.
Il y a eu tous ces projets que « je finirai un jour ». Des dessins, des jeux, des histoires… Autant d’obligations qui s’accumulaient dans mon crâne, là où tous les autres les avaient oubliés. Pour moi, c’étaient comme des promesses brisées, avec le goût amer du mensonge involontaire et de la défaite. Encore maintenant, j’ai une liste de « je finirai un jour » longue comme le bras.
« Lâcher prise », c’était l’échec et l’abandon. Et personne n’aime l’échec, l’abandon de quelque chose qu’on a entrevu, construit, dans lequel on a mis tous ses efforts et même plus.
Mais à force, la vie m’a appris qu’il y avait un gouffre entre « efforts » et « acharnement ». A l’acharnement nul n’est tenu, et quand on ne tient plus, il faut apprendre à lâcher. Parfois, certaines situations conduisent à des impasses : un peu comme ces débats stériles où l’on n’a pas d’autres choix que de conclure « Nous ne sommes pas d’accord, mais je te respecte et sans que ça m’emballe j’accepte ton point de vue sans vraiment le comprendre ». (Notez qu’on peut aussi partir, claquer la porte et ne plus jamais adresser la parole à cette personne même si ça peut faire mal. Selon le sujet du désaccord, c’est parfois plus sain.)
Tout comme vivre avec les cadavres de projets avortés dans le crâne n’est pas vivre libre.
Il y a quelques temps, j’ai eu une espèce de petite épiphanie en retombant sur un vieux classique qui avait bercé mon enfance de Lia-élevée-à-coup-de-radio-Nostalgie. Vous savez, ces bons vieux classiques dont on connaît tous les paroles par cœur… en yaourt, sans jamais vraiment avoir cherché à comprendre ce que ça pouvait bien vouloir dire ?
C’est une sensation étrange de comprendre les paroles d’une chanson qu’on entend depuis qu’on est tout jeune. D’un coup le voile se lève sur ce qui n’a pendant longtemps été qu’un gloubiboulga de syllabes sans aucun sens.
Je me rappelle très bien comment, allongée sur un des nombreux lits temporaires qui se sont succédés dans ma vie ces dernières années, je me suis trouvée avec cette chanson dans la tête, à vouloir la rechanter, à chercher les paroles.
Voilà. C’était Let It Be, des Beatles, monument parmi les monuments.
« Il y aura une réponse… laisse aller. »
Les paroles de cette chanson ne sont pourtant pas si fouillées, mais tombées pile à un moment où j’en avais besoin, elles ont pris un sens énorme. C’est vrai, tiens, que ce sont des « paroles de sagesse ». Il faut savoir laisser aller.
Et ça fonctionne pour tout. Je suis une angoissée chronique (rien de neuf sous le soleil), et chaque pas vers l’inconnu me pousse à faire un schéma mental involontaire de tout ce qui pourrait bien mal se passer. A cela aussi, maintenant, j’essaie d’appliquer le « laisse aller ».
Que ce soit les projets avortés, les relations échouées, les choses perdues, et les angoisses futures, j’essaie d’appliquer un schéma « simple » :
1. Identifier ce qui coince
2. Est-ce que je peux y faire quelque chose ?
…. Oui : faire la chose. Si ça la résoud, tant mieux ! Sinon, retour au 1.
…. Non : alors le problème ne vient pas de moi, et je ne peux que… lâcher.
Plus facile à dire qu’à faire, surtout que je suis quelqu’un qui négocie beaucoup. J’ai grandi dans l’idée qu’il y a « toujours quelque chose à faire ». Forcément, à terme, ça empêche de trouver le sommeil. Mais petit à petit, ça vient, et j’essaie d’appliquer des stratégies pour ça.
Une d’elles m’est venue au détour d’un post Facebook, dans un très bon article de Léonie, qui revient notamment sur les ornements du voyageur.
On a tous vu ces gens de la baroude, sac sur le dos, dreads et atebas dans les cheveux, des bracelets tout le long des bras, des tatouages sur chaque coin de de peau apparent… Je caricature ? Pas tant que ça. J’admire ces gens. Pendant longtemps, ça a été un de mes idéaux. Et puis, petit à petit, les années et l’expérience, le fait de me retrouver « à la rue » et d’investir dans un sac à dos aidant…
(Très chouette photo par Eric D.)
…Trois tatouages plus tard, un bras qui se remplit de plus en plus (la photo n’est pas à jour : si vous allez voir le dernier article de 2016, c’est déjà autre chose, et il a encore changé depuis), des bagues à presque tous les doigts, l’envie de me faire des tresses et des atebas colorées dans les cheveux en permanence (je devrais craquer sous peu, j’ai appris à en faire)… Il faut que je me rende à l’évidence. Moi aussi, à mon tour, je porte « ma maison » sur moi-même, sous la forme d’objets, plus ou moins fragiles, qui vont et viennent au gré des événements de ma vie.
Je ramasse des choses et les mets à mon bras. Elles ont un sens tant qu’elles sont là. J’en donne certaines, j’en perds d’autres. Je ne vais pas mentir : les pertes font mal, et j’en pleure. Et puis je trouve autre chose à la place, et je continue à en mettre à mon bras, tant et si bien que je suis capable de vous raconter l’histoire de chaque bague, chaque bracelet, mais que je ne me rendrai pas forcément compte immédiatement que j’ai perdu ceci ou cela. Hormis mon alliance et une ou deux bagues, perdre ces bijoux ne me ferait désormais plus qu’un pincement au cœur. Les souvenirs vont, viennent. Et si je veux vraiment garder quelque chose en moi, il finit tatoué sur ma peau. Là au moins, je ne le perds plus.
Je ne compte plus ce que j’ai perdu, rien qu’en un an. Des bagues, des bracelets, un pull, des trucs dans mes cheveux, des pin’s… Les anecdotes sont rigolotes, certaines ont eu lieu en direct sur Twitter ou presque, comme celle de mon bracelet Sabaton perdu dans le métro lyonnais, remplacé par un ruban bleu et jaune bien plus joli, puis que ma femme m’a ré-offert un an après… Ou alors mon anneau à émeraude capricieuse, que je passe mon temps à perdre puis retrouver dans des circonstances plus ou moins bizarres… Ou alors mon pin’s du petit cheval de Dalécarlie perdu dans les rues parisiennes, finalement remplacé par une breloque du petit cheval (qui, rappelons-le, est quand même le symbole d’une région suédoise) qu’une amie a trouvée dans… une cage d’escaliers lyonnaise.
J’en aurais à foison, des anecdotes de ce genre. Fait amusant, j’observe que lorsque je laisse aller les objets, il y a un moment où ils finissent par revenir vers moi (je pense notamment à mon pull du Chat de Chester, « disparu en Suède », dont j’avais fait le deuil, et puis en fait, non, il avait juste été emprunté sans mon consentement et m’a été retourné trois mois plus tard.)
Mais surtout, j’ai pu observer qu’en fait, la disparition de l’objet ajoute à son histoire, et à l’histoire de celui qui vient après. Les souvenirs ne sont pas perdus, au contraire : ils s’enrichissent. A ce compte-là, pourquoi m’accrocher à tout prix ? Autant lâcher et laisser aller.
J’ai eu la chance de me retrouver dans une situation où, moi qui suis atteinte d’Accumulationite aigue, je n’ai plus pu accumuler de choses. Ça m’a fait relativiser. Quand j’ai envie d’acheter ou de ramasser, je me dis « Est-ce que j’en ai besoin ? Est-ce que je peux le transporter facilement ? Est-ce que je n’en ai pas déjà ? »
Ça permet de faire un sacré tri dans ce que j’ajoute à mes biens matériels. Fini d’acheter des peluches, des livres (bon, ça, j’avoue, je suis encore pas très au point. J’habite chez mes livres), des tas de trucs inutiles – à moins que je puisse les porter.
Mon problème, maintenant, c’est d’appliquer tout ça à ce que je possède déjà. Le fait que la maison de mes parents soient encore pleines d’affaires à moi me plonge dans une angoisse sans nom : celle de les affronter et de m’en séparer. Quelque part, quand je ne suis pas face à ces choses, tout va bien : elles ne m’appartiennent déjà (presque) plus. Mais le travail conscient de retrouver et donner sera un travail compliqué.
Exactement comme pour les projets avortés et les relations compliquées. Une fois de plus. Laisser aller.
Je ne préconise pas de ne jamais s’attacher. Au contraire. Le lien fait sens en tout temps, qu’il soit physique, psychologique, qu’il s’agisse d’un rêve ou d’un espoir. Mais ce lien ne devrait pas être une telle source de douleur, il ne mérite pas toute l’énergie qu’on dépense pour lui. On ne peut pas se traîner des regrets toute notre vie (même si j’aurai toujours un pincement au cœur en pensant que j’aurais pu faire Allemand LV2 au lieu de l’Espagnol, ou que j’étais à un point d’avoir mon M1 de Chinois Langue-Culture-Entreprise !), on ne peut pas non plus toujours angoisser à coup de « et si », et on ne peut pas toujours pleurer comme au premier jour des objets perdus depuis des dizaines d’années.
On s’attache forcément, sinon quel intérêt, quel impact ont les choses sur nous ? Mais on fait des deuils. Parfois c’est long. Parfois on est aidés par notre entourage, les circonstances, les choses qui restent.
Les angoisses du futur, c’est un deuil à faire aussi. Celui du contrôle qu’on voudrait avoir sur sa vie.
Mais dans tous les cas, quand on a fini notre deuil (quelles que soient les étapes qu’on traverse, et qu’est-ce qu’on peut en traverser !), demeure une certitude : la chose perdue est là, en nous, elle a allongé les histoires qu’on peut raconter, elle a ajouté de l’expérience à notre bagage.
Et on a bien fait de lâcher prise et la laisser aller.
Alors finalement, pour moi, commencer par accepter de perdre un bracelet, casser une bague, déchirer un poster… c’est un début comme un autre. Peut-être qu’un jour, tout le reste suivra : les affaires chez mes parents, les souvenirs qui font mal, les abandons de projets…
Et qui sait ? Peut-être qu’un de ces quatre j’aurai tellement acquis la notion de lâcher prise que j’enverrai juste tout valser sans arrière-pensée !
Et parce que je ne pouvais décemment pas faire un article complet sur le sujet sans la mentionner, je vous laisse sur une fin en musique qui saura, je l’espère, vous sortir Let It Be de la tête ;)
D’habitude, je vous fais des bilans, principalement axés sur l’écriture, en octobre : juste avant le NaNoWriMo.
Cette année, manque d’organisation oblige, j’ai totalement échoué à vous le faire. Alors, de manière très originale, je propose un bilan général au 1er janvier.
Je n’ai pendant longtemps pas cru aux bonnes résolutions. C’est comme une vaste blague universelle, comme faire la promesse au monde entier d’une chose que tout le monde sait qu’on ne va pas tenir. Je n’en faisais pas, jamais. Ou alors je faisais des listes volontairement très longues et ridicules, dans le but de faire rire mon entourage.
Je ne sais plus trop comment j’en suis venue à, finalement, prendre de vraie résolution. Pourtant, à 25 ans, je me suis lancée.
Après le traumatisme de l’amnésie de 2014, j’ai réalisé que ma capacité d’attention et de mémorisation (les deux allant de pair) était devenue ridicule. J’étais incapable de tenir une conversation sans dériver, j’oubliais d’une minute à l’autre… A partir de là, j’ai décidé qu’en 2015, je ne perdrais jamais le fil. Une seule résolution, particulièrement complexe à tenir, qui a failli voler en éclats plus d’une fois.
Mais j’ai tenu, et je tiens toujours. Parfois je sens que je dévie, alors je demande pardon et coupe une conversation, puis je peste deux minutes le temps de refaire le cheminement mental, de reconstituer toute la conversation, avant de la reprendre au point où elle était en y voyant un peu plus clair.
Je suis devenue championne à ce jeu. Les gens ne se souviennent plus du fil, mais je suis capable de le reconstruire. Je suis un peu plus attentive, j’oublie un peu moins. Même si c’est un exercice fatigant, c’est assez gratifiant. Je ne perds plus le fil depuis le 1er janvier 2015 et j’ai bien l’intention que ça dure.
Je ne me souviens plus exactement comment j’ai formulé ma résolution de 2016, mais il y avait clairement une idée d’apprendre à m’écouter, être plus heureuse dans mon quotidien et approfondir l’écriture. Pari gagné, avec les DailyShorts et un blog plus actif en un an que pendant ses 5 précédentes années d’existence. Côté fiction longue, c’est un peu plus un échec avec un NaNoWriMo raté, mais c’est peu cher payé pour avoir trouvé un rythme d’écriture qui fonctionne (et un semblant de lectorat !)
Pari gagné également dans mon quotidien, avec un suivi psy qui me fait du bien, un traitement médicamenteux adapté à mes besoins (et que j’accepte de prendre), et moi qui apprends à faire attention à ce que mon corps me dit.
…
Bon, d’accord, la seule chose que je comprends c’est quand mon corps me dis « je vais mourir ». Mais déjà, je sais repérer ce signal, et je sais le décrypter pour savoir globalement comment réagir. Genre démissionner de deux boulots potentiellement dangereux pour mon équilibre (quel que soit leur niveau de coolitude à côté), pour atterrir dans un autre qui correspond plus à mes besoins… et que j’aurais assez peu de remords à quitter si ce n’est pas le cas, parce que maintenant je sais faire, je l’ai déjà fait.
Le plus dur reste le premier pas, même si les suivants ne sont pas toujours simples.
Alors certes les objectifs étaient moins définis qu’en 2015, mais je considère malgré tout mes résolutions tenues, et je prends un instant pour m’autocongratuler.
Bravo, Lia de 2016.
Voilà.
Du coup, je continue de faire des résolutions le premier janvier, et ce n’est pas juste pour rire, cette fois, parce qu’en me posant des buts atteignables, ça marche plutôt bien : avec le temps, une résolution tenue se transforme en habitude, jusqu’à ce qu’on ne se rappelle parfois même plus à quel point c’était difficile au début.
Cette année, j’ai déjà parlé de mes résolutions sur les réseaux sociaux, et je le fais très volontairement : plus j’en parle, plus mon entourage est au courant et me soutient. Ça crée peut-être une petite pression, mais j’ai besoin de ce soutien pour avancer et tenir le coup.
Alors voilà, pour cette année, j’ai isolé plusieurs points vraiment importants pour moi.
Le premier, et le plus important, c’est de continuer à travailler mon écoute de moi-même. Essayer de recréer le lien entre corps et esprit, deux entités franchement en conflit chez moi.
Visuellement, j’aime beaucoup mon corps. Le problème, c’est qu’en pratique, il y a des points qui coincent. Je suis trop faible physiquement à mon goût, ma respiration est trop courte, mes jambes (et mes genoux surtout) me portent mal. Tout ça se travaille, et c’est une sacrée résolution que de m’atteler à ce chantier.
Il y a l’idée de faire du sport, de trouver des exercices qui fonctionneraient pour moi, mais le point de travail concret sur le sujet passe par une lutte contre mes troubles alimentaires. Il va s’agir d’essayer de faire au moins un repas par jour… Et ce sera peut-être la résolution la plus difficile à tenir. Capable de rester trois jours sans manger parce que « pas faim » ou « j’ai oublié », dès que j’essaie de suivre les conseils des diététiciens pour manger mes trois repas par jour, c’est le drame : j’ai l’impression de passer mon temps à côtoyer la bouffe, et ça ne me va pas du tout. Je ne vis pas pour manger et la nourriture me rebute vite. Finalement, un repas par jour, ce sera déjà une bonne moyenne. Si je tiens toute l’année, je pourrai passer à deux repas, qui sait ?
Pour le lien corps/esprit, il y a un autre chantier, celui de l’identification des émotions et de leur impact. Mais ça, c’est un objectif beaucoup plus large, qui viendra avec le temps (et peut-être une nouvelle thérapie par EMDR ou hypnose, mais qui sait quand ?)
Le deuxième, c’est de continuer à développer mes activités créatives qui font tant de bien à ma caboche parfois trop tourmentée. Avoir passé le nouvel an dans un endroit avec un PIANO (après presque trois ans sans avoir pu en jouer) m’a confortée dans l’idée que j’étais certes très, très nulle en musique, mais qu’à cela ne tienne, ça me faisait du bien donc il fallait que je reprenne. Je vais donc continuer mon laborieux apprentissage du yodel (en ayant cette fois-ci un endroit où répéter, puisque chez le Poui, c’est a priori très bien insonorisé), mais également me remettre au violoncelle et voir ce qui me reste du peu de bases que j’avais. Je ne me fais pas d’illusions : je n’ai jamais été douée et ne le serai jamais. Je ne suis experte en rien, mais si je peux un peu tatouiller dans plusieurs choses, c’est déjà ça. L’important, c’est que je réussisse à exprimer des choses avec ça.
Je ne sais pas si ça rentre dans les activités créatives, mais je vais aussi approfondir l’apprentissage du suédois. Pour moi, c’est un excellent moyen de m’épanouir que d’apprendre des nouvelles langues, et c’est toujours très gratifiant de s’apercevoir que petit à petit, on passe du gloubiboulga de mots à « quelques trucs vaguement compréhensibles au milieu d’un magma de vernaculaire », avant d’atteindre le stade du « hé ! j’ai compris cette phrase ! »
J’aimerais bien avoir atteint ça d’ici fin 2017, voire même d’ici août, histoire d’être plus capable de m’exprimer que l’an passé quand j’irai bosser en Suède cet été.
Enfin, impossible d’atteindre le point créatif sans parler de l’écriture. Là, le chantier est déjà bien entamé, alors je m’autorise un peu plus d’ambition ! Il y a déjà garder le rythme des articles de blog du dimanche soir, et celui des #DailyShorts évidemment, même si je vais être un peu plus souple pour celui-là (des GuestWeeks plus nombreuses dont une qui commence demain, d’autres cycles comme Annabella, des DailyThoughts quand rien d’autre ne vient… l’idée étant de faire un post par jour, le plus souvent avant de dormir même s’il y a des exceptions). J’aimerais essayer de reprendre le rythme d’une nouvelle longue en français par mois, même si en 2016 c’était un échec : peut-être qu’en me fixant des dates précises j’y arriverai mieux ? Enfin, le vrai gros challenge, ce serait surtout un roman complété dans l’année, et une traduction au passage. Egalement, j’aimerais pouvoir vous parler du Projéseukrai au plus tard en février… Et vous annoncer au moins une publication dans l’année, mais là, ce serait vraiment le pompon !
Et sur un point plus « terre à terre », moins ambitieux, le petit automatisme que j’aimerais créer cette année (comme « ne pas perdre le fil » en 2015 ou « prendre le médicament à temps » en 2016), ce serait de trouver un point positif pour chaque point négatif ou anxiogène de ma vie que j’aurais vocalisé. Quitte à ce que ce soit ridicule (voire cynique ?) de temps en temps, c’est une gymnastique intéressante. Comme je prenais l’exemple tout à l’heure sur Twitter :
– ma boîte aux lettres a été fracassée et mon courrier volé, c’est anxiogène, c’est un stress car je dois la remplacer, c’est de l’argent pour rien, MAIS. Cela implique que je peux cesser de donner mon adresse aux gens (ne m’écrivez pas : je n’ai pas de boîte aux lettres, et ça tombe bien, parce que parfois je suis mal à l’aise quand on m’écrit), et surtout que je peux y réfléchir à deux fois avant de commander sur Internet (attends, est-ce que j’ai vraiment besoin de ça ? Si c’est le cas il faut que je le fasse arriver chez des amis ou dans un point relais. Non, je ne dois pas en avoir besoin.) Bref, plein d’économies ! Finalement je ne vais peut-être pas la remplacer, cette boîte aux lettres.
– mon interphone ne fonctionne pas, doit être changé mais je ne me fais pas d’illusions, c’est aux frais du propriétaire donc ça va prendre des lustres. J’habite au cinquième sans ascenseur, je dois descendre ouvrir aux gens avant de remonter, c’est épuisant, MAIS. Cela implique que j’y réfléchirai à deux fois avant de proposer à des gens de venir voir la tanière du Poui et que j’aurai donc un coin un peu plus perso, pour souffler sans être envahie, et que si je les invite effectivement je vais faire un sacré sport. (Ça peut aussi être l’occasion de prendre contact avec mes voisins pour les prévenir et voir s’ils peuvent me dépanner… ou d’apprendre la ponctualité à mes amis si j’en invite plusieurs d’un coup, car je ne fais qu’un voyage pour aller les chercher en bas ! :p)Je me demande à quel point je vais réussir à trouver un contrepoids positif à chaque galère que je rencontre, mais pour le moment, nous sommes seulement le premier de l’an et j’ai déjà des résultats rigolos…
Bref, nous verrons bien ce que cette année donnera : je serais contente de tenir chaque point de cette liste, et même si elle est plus longue que les années précédentes, elle me semble plutôt réaliste dans les buts à atteindre.
Prochain point résolutions en 2017 donc !
Et parce que c’est de mise : bonne année 2017 à tous !
Qu’elle soit belle, inspirante, créative, qu’elle vous permette d’avancer dans votre vie, de trouver vos réponses, de confirmer celles que vous avez déjà, et de poser toujours plus de questions ! Ne faites pas trop de résolutions ; juste celles que vous savez pouvoir tenir. Si vous ne les tenez pas toute l’année, rappelez-vous que chaque jour tenu est un pas en avant et qu’il y aura un prochain nouvel an. Si vous vous apercevez en cours de route qu’elles sont nulles, laissez tomber et faites-en d’autres !
Je vous souhaite tout le meilleur et rien de moins, et je vous dis rendez-vous par ici chaque dimanche soir de 2017, parce que moi, je pense bien tenir cette résolution-là !
Il n’y a pas si longtemps, j’ai pris la résolution de recommencer à écrire un article par semaine. Arbitrairement, j’ai décidé de poster le dimanche soir ; ça me semblait être un bon moyen de commencer la semaine. Il s’est avéré que ce n’était pas une si mauvaise idée : j’avais sous-estimé la quantité d’insomniaques de la nuit du dimanche au lundi, et il s’avère en fait que j’ai un pic de lecteurs à ce moment-là. Plutôt intéressant, comme constat, même si je n’étais pas tout à fait dans cette optique initialement.
Il y a des fois où mon article est tout prêt dans ma tête, voire même dans un traitement de texte, dès 15h le dimanche. Aujourd’hui, clairement, ce n’est pas le cas (contrairement à l’article de la semaine prochaine, et peut-être même celui de la semaine d’après ; oui, j’ai presqu’un planning organisé… presque.)
Mais voilà, aujourd’hui c’est un jour pas très clair sur mon planning. Pas facile de pondre un article pour un 25 décembre quand on n’a pas spécialement envie de parler de Noël. Je me suis creusé la tête toute la journée, j’ai demandé autour de moi… J’ai peiné à trouver.
Et puis, finalement, ça vient toujours ! Commencer à écrire cet article à 23h n’est sans doute pas forcément très malin, mais au moins, je sais de quoi je vais vous parler maintenant.
Au début, j’ai hésité à vous parler de mes cadeaux de Noël. Ma marraine m’a offert un très joli collier/bracelet avec le caractère ? (xìn), la confiance, en chinois.
(Bon OK, ça commence à être un sacré mélange culturel sur mon bras, mais j’aime beaucoup ce nouveau bracelet. En plus ses couleurs sont assorties à mon Dalahäst !)
C’est un très joli caractère, qui lie l’humain à la parole. Du coup, je me suis demandé si je n’allais pas vous faire un maxi pavé sur la confiance, parce qu’avec ma confiance en la vie et mon incapacité paradoxale à faire confiance alors que je me livre ouvertement au premier venu, c’est un sujet sur lequel j’aurais des choses à dire.
Une des choses que j’ai apprises en essayant d’écrire des articles, c’est que ce n’est pas parce que j’ai des choses à dire qu’elles font des bons articles de blog. Ou plutôt, que je dois d’abord régler deux trois points avec moi-même avant de penser que ça intéressera les autres. J’aimerais ne pas encourager les gens à approuver mes dysfonctionnements, je préfère être au clair avec ce que je dis.
Bref : je vous parlerai de confiance, un jour, c’est à peu près sûr. Mais là, ce n’est pas le moment. Je crois que mes articles, j’ai besoin de les « sentir » avant de les écrire, même si la plupart du temps ils finissent tous par dégénérer et échapper à tout contrôle.
J’ai noté l’idée de la confiance dans un coin de ma tête (et de mon blog), puis me suis dit que quitte à prendre, autant essayer de vous demander votre avis. Mine de rien, à plus d’une reprise, j’ai fait appel au crowdsourcing. Et autant parfois ça me renvoie à moi-même et à mon insécurité à coups de « mais personne ne comprend/tout le monde s’en fout en fait ? » (ben oui, tout n’est pas toujours tout rose quand on s’adresse à la foule), autant d’autres fois j’ai des super surprises.
Assez rapidement, Facebook comme Twitter se sont transformés en mine d’or à bêtises, et quelques pépites d’inspiration au milieu.
Comme d’habitude la palme du Mékesketuracontes est décernée à Soniop, qui détenait déjà le prix de Médoùtusorcékestions sur mon Curieuchat…
(J’observe au passage que seuls les Français répondent à mes statuts bilingues et je ne sais quelle conclusion tirer. Je n’arrive pas à comprendre qui de mes amis peut voir mes publications sur Facebook, c’est assez frustrant.)
Quelques pépites donc, mais rien d’exploitable en deux ou trois heures. A nouveau, je les note dans un coin de mon blog. J’aime bien avoir des dizaines de brouillons d’articles, je commençais justement à être un peu à court d’idées, ça m’évitera peut-être de me retrouver en crise de « qu’est-ce que j’écris » pour les quelques semaines à venir.
Evidemment, on observe aussi et surtout pas mal d’idées liées à Noël, et ça me contrarie. Je ne saurais pas dire exactement pourquoi. Je n’ai pas hyper envie de parler de Noël le jour de Noël : ce serait trop évident.
Et soudain, le génie : l’ami Khaos débarque. Rappelons que c’est déjà lui qui m’a débloquée pour mes DailyShorts il y a une dizaine de jours, et que ces derniers temps, il semble plutôt vecteur d’inspiration. Merci beaucoup.
C’est tout bête, c’est évident même. Voilà, j’avoue tout, je pars de ce point : je ne sais pas quoi raconter. Le problème, quand on décide de se fixer un objectif de publication régulière, c’est qu’il faut trouver sur quoi écrire, et des fois, on bloque. Fiction ou blog, d’ailleurs : je me suis trouvée dans cette situation plus d’une fois avec mes DailyShorts. Une micro-nouvelle par jour, en fait, c’est un sacré rythme.
Je vous ai déjà parlé de la théorie des points à relier d’Amanda Palmer. Elle n’est assurément pas la première à faire la réflexion, mais j’aime comme elle le met en mots, cette idée qu’une oeuvre d’art naît surtout d’un ensemble de points repérés par l’artiste, qu’il relie d’une certaine manière pour créer une sorte de sens.
J’utilise souvent cette méthode. Mais ici, pour cet article comme pour plusieurs de mes DailyShorts, c’est d’un autre mode de création que j’aimerais parler : celui qu’on obtient en déroulant la bobine.
Il y a quelques temps, au milieu d’un temps de crise où je suranalysais tout pour garder un semblant de contrôle, ma psy d’alors m’a dit « arrêtez vos analyses ! Vous vous faites du mal. Lâchez ! Faites des associations d’idées. »
Il s’est avéré après coup que bon nombre de ses remarques étaient surtout des injonctions paradoxales qui ne pouvaient pas bien marcher sur moi, mais que les associations d’idées, ce n’était pas une si mauvaise astuce. J’ai appris à m’allonger et essayer de faire le vide pour partir d’un point et aller à un autre sans forcément chercher des liens profonds entre les choses. C’était ma méditation à moi, c’était apaisant, dès que je sentais que je partais sur un sujet qui me mettait en danger, je recentrais, reprenais tout depuis le début et partais sur un autre fil de pensées.
C’est comme ça que j’ai appris à dérouler la bobine.
A partir de là, j’ai essayé d’écrire de la fiction au fil de la plume, et pour la première fois, j’ai réussi. J’écrivais, mot après mot, des choses qui n’avaient absolument aucun sens, en ajoutant des détails ici et là. Mettre des mots clefs permettait de donner des informations que je n’avais pas moi-même, et il me fallait trouver des raisons de les intégrer au récit.
C’était la base de l’écriture « mot à mot », et j’ai découvert après qu’en fait, la plupart des gens que je connaissais écrivaient comme ça. Mais pour moi qui avais toujours été dans le contrôle, c’était tout nouveau : je pouvais faire une histoire à partir d’un mot. Il suffisait d’une étincelle et hop, le feu prenait. Il fallait juste trouver l’étincelle, ou plutôt le bout de la bobine, pour pouvoir la dérouler allègrement.
Ca a changé ma vie et ma vision de la création. Je n’allais plus vers un but (la raison de l’histoire, la chute de la nouvelle…), je suivais juste un cheminement narratif et je découvrais la chute en même temps que le lecteur ou presque. Quand la phrase de fin s’imposait à moi, c’était l’illumination, un sentiment de satisfaction énorme, très différent de celui que j’avais lorsque je faisais mes « textes à trous », où je complétais les morceaux pour arriver à la phrase finale -la première que j’avais écrite.
Dit comme ça ça paraît tellement bête et évident, mais il m’a fallu plus de dix ans pour comprendre comment mon écriture marchait.
Maintenant, j’essaie de prendre le réflexe de noter les étincelles potentielles, les bouts de phrase qui viennent, pour avoir une espèce de collection de pelotes à dérouler quand j’en ai besoin. Les brouillons de ce blog en sont un exemple ; il y a aussi les notes dans mon téléphone. J’aimerais revenir à la bonne vieille méthode du carnet, aussi, mais trop souvent j’éparpille les étincelles sur plein de carnets différents. Il y en a beaucoup qui se perdent en route, beaucoup de pelotes emmêlées qui ne seront jamais déroulées. Pour d’autres, j’en reviens à la méthode des « points à relier » : une étincelle plus une autre étincelle…
Mais parfois, je prends juste mes deux, trois mots jetés au hasard, et je me force à essayer de trouver le fil et tirer. Je me suis récemment fâchée contre un ami artiste qui a, enfer et damnation, invoqué le « writer’s block », la bonne vieille crampe de l’écrivain. Pour moi, cette crampe n’est une excuse que quand on cherche à écrire quelque chose de bien précis. Quand on cherche simplement à écrire, sans avoir un but, il suffit de mettre un mot après l’autre. Comme quand on marche.
J’aime bien retourner à mes sources et citer Lewis Carroll dans ce genre de cas :
« [Alice] went on, ‘Would you tell me, please, which way I ought to go from here?’
‘That depends a good deal on where you want to get to,’ said the Cat.
‘I don’t much care where——’ said Alice.
‘Then it doesn’t matter which way you go,’ said the Cat.
‘——so long as I get somewhere,’ Alice added as an explanation.
‘Oh, you’re sure to do that,’ said the Cat, ‘if you only walk long enough.’ «
« Alice continua : « Dites-moi, je vous prie, de quel côté faut-il me diriger ? » « Cela dépend beaucoup de l’endroit où vous voulez aller, » dit le Chat. « Cela m’est assez indifférent, » dit Alice. « Alors peu importe de quel côté vous irez, » dit le Chat. « Pourvu que j’arrive quelque part, » ajouta Alice en explication. « Cela ne peut manquer, pourvu que vous marchiez assez longtemps. » »
(Traduction de Henri Bué)
L’écriture et la marche, même combat. Quand on sait où on va, c’est mieux d’avoir un plan. Mais quand on ne sait pas où on veut aller, ce n’est pas d’une carte dont on a besoin, mais plutôt d’avancer : on finira bien par tomber quelque part ! Le plus dur, en fait, c’est de trouver l’étincelle, la pelote à dérouler. Ca passe par un mot-clef, une photo, une idée, un tweet stupide… Vos suggestions, aussi, alors vous pouvez tout à fait en faire après tout. Ce sont toutes ces choses que je note, et que je vous invite à noter, si vous êtes créatifs. Finalement, les étincelles, elles sont partout, et c’est à nous de les transformer en histoires.
Du coup, voilà. Maintenant, quand je ne sais pas trop, je mets un pied devant, je vais chercher celui derrière pour l’avancer à son tour, j’aligne les mots. Et ça marche. La preuve étant, je viens de vous pondre un article complet sur « je ne sais pas quoi vous dire », avec citations à l’appui.
Et sur ce, je vais vous dire à la semaine prochaine pour un article plus préparé, et vous laisser avec le maître incontestable en la matière de « Parler pour ne rien dire ».
Un jour, une amie m’a dit « Mais en fait, ton délire à toi c’est de te mettre à la rue toute seule. »
C’était il y a sept ans et sur le coup, la formulation m’avait amusée. A l’époque, les circonstances faisaient que je ne pouvais pas lui donner tort. A posteriori, je me dis que d’une manière ou d’une autre, cette personne avait réussi à lire mon avenir.
Je n’ai pas de souvenir de mon premier déménagement, à part que c’était une des premières fois où j’ai eu le droit de monter devant dans un véhicule (un ENOOORME CAMION !) et que j’en étais très contente. En revanche, je me rappelle très bien le traumatisme engendré par mon deuxième déménagement, alors que j’avais presque huit ans : c’était la fin du monde. Déjà à l’époque, j’avais beaucoup de mal avec le changement, la perte de repères et l’inconnu.
Pour adoucir le choc, j’avais eu le droit de choisir ma chambre dans la nouvelle maison, et puis la tapisserie, et puis de faire ce que je voulais. C’était très bien : ça m’a permis de réinvestir un espace « à moi », d’en faire mon cocon, un presqu’appartement rien qu’à moi. J’ai recouvert les murs et le plafond de posters, j’ai déplacé les meubles encore et encore, j’ai rajouté des affaires, j’ai entassé : c’était ma tanière, cette époque bénie de l’adolescence où rester enfermé dans sa chambre et la décorer de manière absurde est parfaitement normal.
La chambre faisait largement la taille d’un appartement. Il y avait un grand placard dans lequel j’allais m’abriter parfois, un coin jour, un coin nuit, des posters et des peluches partout, de quoi héberger au moins cinq personnes. Ça a duré 9 ans. Un luxe énorme dont je n’ai pas pris la mesure, soyons honnête.
Puis je suis devenue indépendante, et j’ai eu la chance d’avoir un petit studio rien qu’à moi. Mais pas n’importe quel studio.
Une erreur dans une erreur, l’idée m’a bien plu. J’ai vite investi le studio, avec néanmoins le malaise de l’état « plus dans mon monde, pas encore dans LE Monde ». Cet appartement était mon chez moi mais pas trop, il manquait de vie, de… quelque chose. C’était ma tanière, mais une tanière froide, et je retrouvais avec soulagement la chambre chez mes parents tous les week-ends. (Et j’avais bien du mal à la quitter, ils témoigneront).
Pour autant, plus le temps a passé, plus j’ai investi. Dès le moment où j’ai commencé à couvrir les murs de bric et de broc et à accueillir des gens, c’est devenu de plus en plus un « chez moi ». Un nouveau cocon.
A partir d’avril ou mai de ma première année de fac, j’ai commencé à m’y sentir mieux, au point d’avoir du mal à le quitter. Retards répétés pour cause de faux départs, abandon de l’idée de sortir en me trouvant devant la porte… Force était de constater que cette première année très solitaire dans un appartement vide et une ville où je ne connaissais presque personne ne m’avait pas encouragée à apprendre à sortir de mon cocon.
Mais accueillir des gens, pas de souci : ça, je savais faire. (Et ça me jouera des tours, mais j’apprendrai.)
Et puis un jour, je me suis auto-fichue dehors. Enfin, pour cette première fois, je n’y étais pas pour grand chose. Je me souviendrai toujours de ce soir-là, je crois. Je venais de voir mon cousin, je rentrais chez moi, tranquillement, TNT d’AC/DC dans les oreilles (détail marquant), pour retrouver une armée de gyrophares dans ma rue, barrée.
« Une résidence a explosé. »
Au septième étage de l’immeuble, accident ou tentative de suicide ? Quelqu’un a fait sauter des bonbonnes de gaz. L’immeuble a été ébranlé. Nous sommes tous relogés dans le gymnase en face. Exit le cocon : me voilà sinistrée. Un bien grand terme pour me dire que je ne pouvais pas retourner dans mon « chez moi ». J’atterris chez des amis, loin de mes affaires, et j’écris pour évacuer.
(Oui, j’avais déjà un bon sens du dramatique à 18 ans).
Finalement, j’ai eu de la chance de devoir attendre ma majorité pour connaître cette forme de traumatisme : celle de perdre mes repères, ma tanière.
C’était janvier de ma deuxième année de fac, je suis passée d’un endroit à un autre, une fois, deux fois, je promène mes quelques affaires jusqu’à être relogée pour cinq mois dans un « chez moi l’autre », que j’ai investi à son tour. Posters, affaires (dont certaines récupérées d’abord avec des pompiers, puis seule dans mon « vrai chez moi », où je n’avais plus le droit d’habiter tant que les vérifications de sécurité sur l’immeuble n’avaient pas été faites).
En parallèle, autre micro-drame (énorme à mon échelle) : chez mes parents, mon cocon a disparu, transvasé dans une autre chambre que mon subconscient refusera toujours de reconnaître comme « ma chambre ». Dans la logique, c’était plutôt normal : j’avais la plus grande chambre de la maison, et comme je la laissais vide 90% du temps, on l’a donnée à ma sœur. Dans la pratique, quand je rêve de « ma chambre », c’est toujours de la première. Il me faudra du temps pour investir la nouvelle chambre et je ne le ferai jamais totalement.
A ce stade, on pourrait se dire que je me suis blasée. C’était un peu le cas, sur certains points : la citation avec laquelle j’ai ouvert l’article n’est pas arrivé beaucoup plus tard, lorsque j’ai découvert que quelqu’un avait essayé de forcer la serrure du « chez moi l’autre » et que je ne pouvais plus rentrer chez moi. Par chance, il s’agissait d’une résidence-hôtel, et la réception m’a ouvert un nouvel appartement en attendant le serrurier. Je n’ai même pas paniqué, à ce stade. C’en devenait presque drôle.
Lorsque je suis arrivée en cours le lendemain sans affaires et avec les mêmes vêtements que la veille, ma réputation a été faite au sein de ma promo (qui avait déjà eu l’histoire de l’explosion même pas un mois plus tôt) : j’étais la fille dont la passion était de se foutre à la rue toute seule.
J’en ai ri, et pourtant intérieurement c’était la panique. Je passais d’un endroit à un autre, les choses changeaient et je ne savais pas les gérer. Je me suis prise à rêver de vivre dans une bulle solide qui flotterait au-dessus de la ville, un lieu inaccessible, indestructible, un endroit où j’aurais pu avoir ce dont j’avais besoin sans être trimbalée de ci de là sans arrêt.
Finalement, les choses se sont stabilisées. J’ai retrouvé mon appartement 404 en juin de la même année, et j’y ai transvasé la quantité indécente de bazar accumulée dans mon « chez moi l’autre ». J’ai changé la disposition des meubles pour me réapproprier le lieu et c’était reparti pour un an dans le même lieu, cette fois-ci sans incident…
…A ceci près que j’arrivais encore moins à sortir de mon cocon qu’avant, au point qu’il se passait parfois des semaines sans que je sorte, jusqu’au moment où une de mes amies finissait par venir me chercher et me traîner par les cheveux dehors pour « manger du gâteau au chocolat » (la meilleure excuse pour me forcer à sortir à cette époque). Du coup, parfois, je restais chez cette amie… pendant une semaine, parce que je n’arrivais plus à sortir de chez elle.
Je ne sais pas à quoi c’est dû, mais voilà : je n’arrive plus à sortir d’un cocon.
Je me roule en boule et j’ai perdu mes repères. Je me mets des coups de pied au derrière, des fois ça marche, d’autres fois non.
Le temps a passé. J’ai fini par rendre mon appartement, emménager pour deux mois chez mon copain de l’époque. L’expérience n’a pas été concluante : je suis territoriale et ne me sentais pas chez moi. Impossible d’investir le lieu ! Finalement, retourner chez mes parents a été un soulagement…
…pour mieux repartir. Lia Passion se foutre à la rue toute seule ? Autant voir les choses en grand. Ma maison doit tenir dans une valise de 20 kilos, car cette fois-ci, mon chez moi se fera en Chine. Arrivée difficile, terre hostile, je déprime pendant un mois dans la chambre vide du bâtiment des étudiants étrangers du campus, je peine à sortir, et je compense en remplissant le lieu de n’importe quoi que je peux trouver.
Finalement, quand on la regarde, c’était un vrai palace. J’avais juste du mal à en sortir. Et ensuite, mon petit ami de l’époque m’a rejointe, et je n’ai plus trop eu de chez moi, et ça s’est mal passé. Le retour en France a été un soulagement. Et ce sont presque 90 kilos d’affaires qui repartiront avec nous, parce que j’ai encore trop accumulé…
Retour en France, nous emménageons ensemble et je découvre malgré moi qu’en fait, non, la vie de couple dans un appartement à deux sans coin cocon pour moi, ce n’est pas ce qu’il me faut. Je personnalise sans investir. Quand nous rompons et que je quitte l’appartement, moins d’un an après, c’est un soulagement. Je commence par sous-louer un petit appartement pendant un mois, en l’investissant juste ce qu’il faut pour que je me sente bien, et puis place à un nouveau chez moi, et un de taille : l’Auberge.
L’Auberge, dès ses débuts, c’est une institution, un art de vivre. C’est un endroit où je veux que le monde entier puisse se sentir bien, tout en gardant ce lieu comme celui qui me ressemble le plus. C’est un salon grand avec un petit coin caché/tannière pour le lit, et une super cuisine pour inviter des gens à manger. Ce sont des coussins partout, des meubles ramassés dans la rue, de quoi loger dix personnes, des soirées à 20, un vidéoprojecteur avec plein de consoles pour jouer à plusieurs, des tonnes de livres pour me sentir bien, beaucoup trop d’instruments de musique… Même si comme d’habitude, je peine à en sortir plus d’une fois, et je reste parfois terrée jusqu’à ce qu’on vienne me chercher, vous pourrez demander à quiconque a connu cette période : l’Auberge, c’est l’âge d’or de mon indépendance.
Pas de chance, c’est aussi l’époque où je rencontre Narcisse.
Qui vient me voir à chaque vacances, pour qui je dois être disponible, qui fronce le nez chaque fois qu’un inconnu entre dans l’Auberge et me le fait regretter. Que j’invite à emménager après un an de relation à distance déjà mal fichue, parce que « c’est normal », parce que « j’ai envie ».
Bientôt mon Auberge devient un « nôtre » qui ne peut pas fonctionner. Mon cocon éclate, je dois le partager. Narcisse ne cesse de m’accuser de ne pas le faire se sentir chez lui, et j’ai du mal à lui donner tort, je suis toujours aussi territoriale. Je finis par ne plus vouloir rentrer « chez moi », je n’ai plus de refuge.
Finalement, coup sur coup sur coup, nous finissons par convenir que ce chez-moi de rêve est trop petit pour nous deux. J’accepte de déménager.
En signant le bail du nouvel appartement, j’ai la sensation de faire la pire bêtise de ma vie. En vidant l’appartement, je pleure toutes les larmes de mon cœur. En rendant les clefs, je découvre qu’il me restait des larmes.
J’ai abandonné mon Auberge. Faites que ça vaille le coup.
…
Bien sûr, ça ne valait pas le coup. Je n’ai jamais réussi à aimer ce nouvel appartement, qui a pourtant mes affaires, dans lequel j’ai pourtant créé « mon coin » (mais que Narcisse ne respecte pas, la plupart du temps). Il ne se passe que quatre mois avant que la situation explose.
Et c’est là que les choses deviennent intéressantes.
(Oui, je viens de vous faire une introduction du sujet de presque deux mille mots. Vous êtes toujours là ?)
En septembre 2014, pour plein de raisons que je vous ai déjà bien trop expliquées, je me retrouve « à la rue ». Avec l’impossibilité de retourner dans le lieu que les autres considèrent comme « chez moi » (même si je n’ai intérieurement plus de chez moi depuis un moment).
Je récupère des affaires, et je vais habiter chez des amis un moment. Une fois de plus, je n’ai plus aucun repère, et je prends la mesure de l’importance du « chez moi » pour moi. Je ne sais plus où me réfugier, tout est en chantier, tout bouge tout le temps. Je suis paniquée. Je ne sais pas où j’habite, littéralement. Le plus gros de mes affaires est renvoyé chez mes parents, et moi j’atterris en foyer psy. Un endroit chouette avec plein de gens intéressants et des règles strictes qui me donnent l’impression d’étouffer.
J’essaie de faire comme si c’était chez moi. Alors j’investis de la seule manière que je connais : je personnalise et j’accumule. Encore.
L’avantage, c’est que vu les conditions de vie du foyer, je n’ai pas de mal à en sortir, pour une fois. J’ai plutôt du mal à y retourner.
Deux mois plus tard, quand je quitte l’endroit pour… retourner habiter chez des amis un moment, j’ai à nouveau beaucoup trop d’affaires. Des livres, du matériel à dessin, des affiches, bien trop de choses.
Qui finissent par atterrir dans une colocation temporaire dans laquelle j’entrepose pour mieux aller squatter chez d’autres amis. (En vrai cette coloc était super cool, mais très mal située, et je commençais à prendre la bougeotte). De toute façon, à ce stade, il y a de quoi meubler un 60 mètres carrés dans le garage chez mes parents, la chambre chez mes parents est pleine d’affaires du foyer et de chez mes amis, j’ai aussi des affaires à la coloc, tout est éparpillé, je ne retrouve plus rien, et je suis à peu près aussi éparpillée que tout le reste.
Je n’ai plus de chez moi. Et ça me manque. C’est dur.
« Essayez la méditation », me dit ma psy de l’époque, franchement pas géniale (voire carrément toxique) sur plusieurs aspects, mais qui aura quand même le mérite de m’avoir aidée un peu notamment sur ça. « Faites des associations d’idées ».
Fort bien. Puisque je n’ai plus de chez moi, je vais me le construire à l’intérieur. C’est fragile, mais petit à petit, quand je peine à dormir, quand je peine à me concentrer, je meuble mon « jardin interne » avec des associations d’idées, puis en laissant les idées se transformer en couleurs, en notions, en pensées informes mais qui me calment. J’y découvre plein de choses (notamment que mon animal totem serait une baleine. Je ne sais que faire de cette information), et surtout un certain apaisement quand rien ne va plus.
En parallèle, je me décide enfin à tenir un vrai blog. Ce n’est pas grand chose, mais c’est un chez moi, sur Internet, où poser mes bagages. Un endroit où me recroqueviller quand ça ne va pas, et où m’autoriser à écrire pour évacuer. Et vu les histoires de mes « chez moi », quoi de plus logique que de l’appeler Erreur 404 ?..
Mais cette question de maison à moi me taraude quand même beaucoup. Une fois de plus : je suis perdue, je ne sais littéralement plus où j’habite.
Quand je pars en Suède pour la première fois en août 2015, c’est pleine d’incertitudes sur ce que je retrouverai en rentrant. Je ne sais pas où j’irai, ni ce que je ferai. C’est une angoisse latente à laquelle je refuse de penser… Sauf un soir de grande fatigue, où je me retrouve à discuter avec celui que j’appelle maintenant « mon jumeau suédois ». Comment ou pourquoi je me suis retrouvée à lui parler de ça, je n’en sais rien, mais d’un coup il me dit : « Arrête de t’en faire pour cette histoire. La maison, c’est où tu t’assois. Je crois que c’est Pumba qui dit ça. »
Ah bon ? Je n’ai pas particulièrement aimé le Roi Lion et la dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a… longtemps. Je ne m’en rappelle pas.
Après vérification, c’est normal : Pumba le dit… mais en anglais et en suédois, et pas en français.
Allez, pour le plaisir :
« Home is where your rump rests. »
La maison, c’est l’endroit où tu poses tes fesses.
C’est tellement simple. Il souligne au passage que je suis beaucoup trop matérialiste et que ça me fait souffrir, visiblement. Moi j’ai envie de le baffer, parce que ce n’est pas normal que quelqu’un qui me connaît depuis 5 heures puisse me cerner si facilement.
Mais n’empêche. L’idée fait son chemin. Le matérialisme, c’est encore compliqué, mais la maison, j’intègre l’idée facilement. Après tout, j’avais déjà tous les éléments, j’avais mon jardin interne : il ne me manquait que cette petite phrase, comme si c’était la clef dont j’avais besoin pour accepter qu’en fait, chez moi, c’était partout.
J’ai peut-être trop intégré cette idée. A partir de ce moment, tous les endroits où je pouvais « me poser » sont devenus des « chez moi ».
Assise chez des amis ? Maison.
Assise chez mes parents ? Maison.
Confortablement installée dans un café ? Maison.
Posée tranquillement dans un bus pendant six heures ? Maison.
J’ai appris à me constituer ma maison en fermant les yeux. Musique dans les oreilles, carnet à la main, tant que je peux aligner des mots sur le papier ou sur mon blog et des couleurs dans ma tête, tant que je peux me réfugier dans mon jardin interne, pas de problème.
Je n’ai plus l’angoisse de la maison. J’ai toujours l’angoisse de la quitter. Descendre de ce bus, sortir de chez ces amis, c’est un effort énorme. Il faut m’arracher au cocon, et ça, j’ai encore beaucoup de travail à faire. Mais passer d’un endroit à un autre n’est plus un problème. Depuis novembre 2015, j’ai déménagé cinq ou six fois. Tantôt chez des amis, tantôt en coloc, tantôt en logement de fonction… Je suis sereine quand je bouge, sac sur le dos : qu’importe si j’oublie des affaires, s’il m’en manque. Je suis chez moi partout. Je ne me soucie plus de la maison : elle est en moi. Et si jamais je doute, il suffit que je ferme les yeux, que je mette mes écouteurs, que je plonge en moi et que j’extirpe quelques mots. C’est bien plus simple que tous les déménagements du monde.
Pourtant, ça ne m’empêche pas de continuer à beaucoup trop accumuler, où que j’aille. Des livres, des jeux, du matériel à dessin, des souvenirs… (mais surtout des livres). Tout ce que je possède devient source d’angoisse et pourtant je ne peux pas m’empêcher d’en ajouter encore et encore.
Et ça, c’est le prochain point sur lequel je travaillerai… et il va falloir, parce que cette semaine, voilà ce qui m’est arrivé :
Voilà. Après deux ans à errer, j’ai un chez moi à mon nom.
Tout le monde m’a félicitée. On m’a pressée pour faire une crémaillère. Il n’y en aura sans doute pas. Je crois que je n’ai pas vraiment réussi à faire comprendre à quel point tout ça me terrifie. C’est vrai, quoi, avoir un appartement, c’est une certaine forme de réussite sociale, non ?
Et pourtant cet appartement est une source immense d’angoisse. C’est un lieu d’où je pourrais ne plus réussir à sortir. Un lieu dans lequel je vais encore entasser des choses impossibles à déménager.
Je sais que je vais l’investir, et ça me fait tellement peur. Je n’ai pas envie de recommencer à entasser, pas envie d’être attachée à un lieu.
Mais voilà : maintenant que je sais passer d’un endroit à un autre, sans attache autre que l’endroit où je pose mon sac à dos, il va falloir que j’apprenne à me faire confiance. Me rappeler que ce n’est qu’une maison comme toutes les autres, et mettre mes écouteurs dans mes oreilles, saisir un carnet, laisser les couleurs se transformer en mot sur le papier. Inspirer un grand coup, plonger dans mon jardin intérieur, et continuer à mettre à jour mon blog.
Et peut-être, de temps en temps, pouvoir enfin accueillir à nouveau des gens dans un endroit chaleureux et accueillant… à l’enseigne de l’Auberge de la Page Perdue.
Si novembre a été un mois d’action, décembre semble être le mois de l’introspection. C’est le fameux calme après la tempête, celui où on ramasse les éclats de coque de bateau sur la plage et on envisage d’essayer d’en reconstruire un.
Je ne me plains pas, hein. Cette tempête a quand même été extraordinairement positive. Je ne suis pas sûre de regretter quoi que ce soit que j’ai fait en novembre.
Mais bon, du coup, en décembre, soyons honnête : la pression retombe et je tourne pas mal en rond dans ma tête. Il y a des obligations sociales qui s’imposent, il y a un Noël à préparer, et le prochain voyage semble bien loin. Je me retrouve donc face à moi-même et mes déprimes.
Et bizarrement, ces déprimes ont elles aussi un aspect positif, quelque part : elles me font réaliser à quel point j’ai appris à gérer mes « bas ».
Quand je suis en bas, je ne fais pas les choses à moitié. Je hurle et me déchire de l’intérieur. J’ai envie d’exploser, de disparaître, de me faire du mal pour évacuer. Parfois je n’ai juste plus envie de rien, plus aucune raison d’être là. Rien qu’en une semaine, c’est arrivé plusieurs fois. C’est normal, c’est le contrecoup : tout ce qui monte redescend. Bon, chez moi, ça descend vite très bas, ça fait parfois oublier les hauts, c’est dur de s’en extirper… mais j’essaie de me raccrocher au fait que c’est normal. C’est comme ça que je fonctionne, je ne le changerai pas et il ne reste qu’à faire avec.
Alors, en cas de crise, quoi ? Des fois j’évacue cyniquement sur les réseaux sociaux. Je passe en mode attention whore, et ça ne me fait pas forcément du bien, parce que dans ces moments-là, non seulement je ne dis pas que je ne vais pas bien, mais en plus l’attention reçue n’est pas celle dont j’ai besoin. J’essaie de me détacher de ce fonctionnement.
D’autres fois je dors. Parce que, ouais, parfois il n’y a que ça à faire pour apaiser l’esprit. Si je me sens comme ça, c’est aussi une marque d’épuisement. Mais dormir ne résout pas tout. J’ai encore bien trop souvent des passages à vide où je préférerais ne pas me réveiller.
D’autres fois encore, je ne réussis pas directement à dormir, alors j’achève de m’épuiser : je m’enferme dans ma tête, et j’utilise la méthode du « Sit back and enjoy the ride » : installe-toi confortablement dans l’attraction et éclate-toi. Ce n’est ni plus ni moins qu’un roller coaster, après tout. Quand je fais ça, il y a toujours un moment où soit je finis par me jeter sur un papier et un crayon pour évacuer, soit je finis par tomber, à bout de forces.
Il n’y a pas de meilleure méthode. Je les essaie, parfois elles s’imposent. C’est comme ça : me battre contre serait inutile. Vivre avec, c’est tout ce que je peux faire.
Mais dans la plupart des cas, il y a une constante : lors d’une crise, je lance un appel à « la vie » (qui se formule souvent dans ma tête en « Bon, là, la vie, c’est pas top, j’ai envie de tout lâcher et toi y compris, j’ai besoin d’un miracle sinon je sais pas »).
C’est plus simple de s’adresser à « la vie », je crois, cette formidable entité extérieure et fictive, parce que je n’ai rien à assumer et je peux me plaindre que la vie est nulle s’il ne se passe rien. Ca arrive : toutes ces fois où je finis par tomber d’épuisement, c’est qu’il ne s’est rien passé. Mais le truc marrant, et c’est une des raisons pour lesquelles je me considère comme extrêmement chanceuse, c’est que souvent, il se passe quand même quelque chose. Et s’il y a une chose que j’essaie d’apprendre avec le temps, c’est de saisir chacune de ces petites choses. Une sortie, un message, une rencontre…
Il y a eu cette fois où, en Chine, après 2 semaines à rester quasi enfermée, dépitée, vide de tout (le déménagement a été assez difficile), j’étais sortie de misère pour trouver quelque chose à manger parce que ça faisait trois jours que je n’avais rien dans le ventre. A ce moment-là, j’avais juste envie de me laisser dépérir. Au mini-marché où je me suis traînée, j’ai croisé une fille que j’avais vue le jour de mon arrivée, nous avions échangé trois mots. Je ne la connaissais pratiquement pas, mais nous nous sommes mises à discuter. Elle est devenue un des points de départ de toute ma vie sociale en Chine. Je suis rentrée chez moi le cœur léger, avec l’impression d’avoir rapporté plus que juste des paquets de nouilles instantanées.
Il y a eu cette fois où, alors que j’étais au plus mal, j’ai reçu un message qui n’avait rien à voir et au lieu de jeter mon téléphone contre un mur comme à mon habitude (je plaide coupable pour certains trous dans certains murs…) parce que ce n’était pas l’attention dont j’avais besoin, j’y ai répondu et ai fini par engager une conversation qui a créé une de mes meilleures amitiés de ces dernières années.
Il y a eu aujourd’hui où, alors que j’étais sur le point de me dire que tant pis, c’était un dimanche atroce, je vais écrire beaucoup et dormir tôt à moins d’un miracle, Mnchka m’a harponnée sur Twitter pour me demander mon avis sur un resto. C’est ainsi que de « écrire beaucoup et dormir tôt », ma soirée s’est transformée en « partager une poutine aux Terreaux avec des gens chouettes qui découvrent la ville ». Je ne regrette rien. (Merci encore.)
Ces mini-miracles là ne sont que des exemples un peu concrets. Il y a plein d’autres fois où je n’ai pas des souvenirs exacts, où c’est une blague de quelqu’un dans un magasin qui m’a redonné des couleurs, où c’est un musicien dans le métro qui m’a redonné le sourire, où le simple soleil sur ma peau a su me faire un peu revivre.
Mais finalement, maintenant que je fais le point, j’observe que pour moi, la plupart de ces « mini-miracles de la vie » sont souvent liés aux autres, à des rencontres, à des liens. Vu mon tempérament, ça ne me surprend pas.
Toute extravertie que je peux être, entre ma phobie du dehors et ma phobie sociale, faire le choix de sortir, de me mettre volontairement à la porte, est quelque chose d’extrêmement coûteux. Même maintenant, même après des années à batailler contre ça.
Ces derniers mois, il y a deux choses qu’on m’a dites qui m’ont vraiment fait très plaisir. La première, c’était « C’est incroyable cette capacité que vous avez de rebondir quand vous allez mal. »
Ca m’a fait penser à un court-métrage Pixar, sans doute mon court-métrage préféré de tous les temps (et pas seulement parce qu’il y a du banjo et un de mes animaux préférés dedans, même si ça joue pas mal) : Saute-Mouton.
« Rose ? ROSE ? C’est très bien le rose ! Pourquoi être rose te rend si morose ? Les goûts et les couleurs ça n’se discute pas : vive le rose, le violet, et le lilas, mon gars ! »
Il m’a plus d’une fois réconfortée, ce lapin-antilope, depuis presque dix ans que je le connais. Alors m’entendre dire que je fais des rebonds, c’est une forme d’achèvement personnel, j’imagine.
Le deuxième truc qu’on m’a dit ces derniers temps qui m’a fait vraiment plaisir, c’était « Lia, t’es trop cool. Tu es la personne la plus imprévisible que je connaisse. »
C’était drôle et plaisant comme remarque. Je ne me trouve pas spécialement cool ou imprévisible. Par contre, c’est ma vie, elle, qui est imprévisible, toujours en mouvement. Moi je ne fais que suivre. Je tape du talon sur le sol pour voler.
Alors ça me rend un peu impulsive, certes. J’essaie de faire en sorte que ça ne me mette pas en danger ; des fois c’est compliqué, parce que pour déclencher le miracle et éloigner la crise, je me lance corps et âme… dans l’organisation d’un voyage ou l’achat compulsif d’une nouvelle bibliothèque, par exemple. Mais je me dis que tant que c’est de l’argent, « ça va ». Au moins, déjà, je ne me mets plus vraiment physiquement en danger, je crois. Allons-y petit à petit.
En attendant, ces coups de talons, c’est une libération. J’ai bien compris que je n’étais pas de ceux pour qui la vie suivaient un courant calme et plat (ces gens-là existent-ils ?), mais plutôt que j’étais sur des montagnes russes permanentes. J’apprends à lever les bras dans les descentes et apprécier l’air sur mon visage. Peut-être même que j’aime un peu trop la vue quand, tout en haut de la pente, le cœur battant, je surplombe tout ce qui va se passer avant de tomber en chute libre sans plus vraiment de maîtrise.
C’est okay : j’ai un harnais. J’ai des talons à frapper contre le sol. Et si je ne les ai pas, si ça ne marche pas… je crois que je peux toujours essayer de rencontrer un nouveau lapin-antilope.
Je ne dis pas que ça marche tout le temps, et encore moins que ça marche pour tout le monde, loin de là. Il y a même des risques que ça ne marche pas pour toujours pour moi. Mais jusque là, ça n’a pas trop mal marché je crois. Alors on verra bien si un jour le harnais de la montagne russe se détache ou pas. Le fait que je n’en aie pas grand chose à faire, au final, aide sans doute beaucoup sur la question. Je resterai assise confortablement et j’apprécierai l’attraction le temps qu’elle durera, en rebondissant de temps en temps parce que quand même, c’est marrant !
Et vous alors, vos loopings, ils vous ont déjà permis de rencontrer des lapins-antilopes ?
J’ai grandi avec l’impression d’un chemin tout tracé, comme si on m’avait présenté des recettes, des jolies phrases toutes faites, des choses auxquelles m’accrocher pour me développer, parce que « c’est comme ça que ça marche ».
Pendant des années, je n’ai jamais rien remis en question.
Et puis, petit à petit, mon monde s’est assez cassé la figure pour que je me rende enfin compte qu’en fait… tout ça ne marchait pas du tout. Il fallait tout reprendre à zéro.
Il m’en a fallu, du temps et des électrochocs (des crises multiples qui ont déjà fait l’objet d’articles de blog ont, je l’avoue, beaucoup aidé), pour que je finisse par développer un esprit critique.
Ce n’est pas que je n’avais pas d’esprit; c’est que j’ai l’impression qu’on ne m’avait jamais invitée à l’utiliser pour questionner. Je ne sais pas à quel point cette impression est fondée, mais les résultats étaient là.
Je n’oublierai jamais la première fois où j’ai réalisé que « cette personne que j’admirais plus que tout n’était pas un modèle à suivre ». J’ai pleuré plusieurs jours. Depuis, ce genre de petites explosions s’est multiplié. Ca arrive encore régulièrement. Mon univers, ou au moins un bout de mon univers, vole en éclats et je dois tout reconstruire. Je pleure un peu moins, j’apprends à appréhender, à gérer. Je cherche ce qui marche.
Je trouve des choses, surtout par élimination. Je considère que je suis quelqu’un qui a beaucoup de chance dans sa vie, mais celle de trouver le bon chemin du premier coup n’en a pas fait partie.
J’étais avec un ami il y a peu, et nous parlions des comportements autodestructeurs que nous avions pu avoir. « Tu sais », il m’a dit, « il y a quelques années, j’ai fait plusieurs erreurs, pour lesquelles j’ai eu besoin de me punir. Je l’ai fait de la pire manière qui soit. J’ai trouvé un CDI à temps plein, une petite amie exclusive, et un appartement pour vivre avec elle. J’ai failli devenir fou. »
Un emploi fixe. Un lieu de vie fixe. Une relation stable. C’était « la recette de base pour que ça marche », non ? Trois gages de réussite complète. Je connais beaucoup de gens qui auraient donné cher pour réussir à atteindre ce stade. La moi de 2010 en aurait eu les yeux qui brillent. La moi de 2012 n’aurait jamais compris sa phrase.
La moi de 2016 l’a juste regardé avec compassion. « Je suis désolée. Je comprends. Je suis contente que tu t’en sois sorti. »
J’avais fait la même erreur que lui. Me raccrocher à cette recette qu’on nous survend, essayer de suivre le chemin copain-emploi-maison, j’avais essayé, moi aussi. Plusieurs fois, même.
Il y a eu la première réalisation, celles des relations. On nous les présente comme hyper présentes dans nos vies, à tout prix fusionnelles, autour desquelles tout le reste doit tourner.
Sans avoir encore mis les mots dessus, je me sentais coupable d’être asexuelle, coupable d’être polyromantique. Coupable d’exister en souhaitant une relation malgré tout. J’ai essayé pendant plus de six ans de rentrer dans ce moule, faire des compromis sur ma nature pour que ça marche, quel qu’en soit le prix. Une relation fusionnelle après l’autre, une réaction de dépendance après l’autre, j’ai fini par y laisser plus que quelques plumes : ce n’était pas ce qui marchait.
Maintenant, j’ai appris. Exit, le doux coton des relations fusionnelles qui se transforme en montagnes russes émotionnelles bien trop dangereuses pour moi. Exit, de me sentir forcée à des relations physiques « pour le bien du couple ». Exit, de me sentir coupable de penser à quelqu’un d’autre de temps en temps.
Ce premier moule-là a volé en éclats. Je me rapproche de « ce qui marche ».
Il y a ensuite l’emploi. Il n’y a pas deux ans, j’épluchais cyniquement les annonces d’emploi, en déplorant de ne trouver aucun CDI, aucun temps plein, rien de « sérieux, fixe, fiable ». Un vrai boulot chiant, quoi !
Alors forcément quand on m’a proposé un premier CDI, j’ai sauté et pleuré de joie.
J’ai regretté.
Le CDI suivant, j’ai grincé des dents, mais quand on m’a dit « C’est ça ou rien », j’ai dit oui. « Il faut bien manger ».
J’ai regretté. J’ai fini par le plaquer pour passer en CDD. A temps partiel. Avec une activité indépendante totalement incertaine à côté.
Parce que « le vrai boulot chiant », ce n’était pas le bon moule à nouveau. Maintenant je vis dans la précarité, je mange des nouilles « comme une étudiante », je me maintiens en forme malgré tout, en faisant ce que j’aime. Je me rapproche de « ce qui marche ».
Il y a le logement. Ce besoin maladif d’un « cocon », d’un « chez moi » est tellement présent et ancré en moi qu’il fera l’objet d’un autre article, plus tard. J’ai eu un vrai chez moi, pas longtemps, avec mes meubles et mes envies et mes invitations à qui mieux mieux et mon statut d’aubergiste et ça a été une des plus belles expériences de ma vie. Et une de mes plus belles prisons, aussi. Maintenant, j’ai de quoi meubler un 60m² dans la grange chez mes parents, et je ne sais pas quoi en faire. Cela fait deux ans que je vis sac sur le dos et que penser à ces affaires me fait faire des crises d’angoisse.
J’ai eu la chance de rencontrer une fille assez hors du commun l’été dernier, qui m’a dit « Le plus dur, c’est de tout empaqueter, et de se débarrasser des cartons. Une fois que c’est fait… on se sent si léger. Si libre. »
Pétrie d’angoisses qui avaient resurgi seulement quelques jours avant, lors d’un retour chez mes parents, je lui ai envié cette légèreté, cette liberté. J’y réfléchis beaucoup, depuis. Je ne suis pas sûre de « ce qui marche » pour moi.
Dans dix jours, je vais signer pour un nouvel appartement. A mon nom. Où il y aura mes affaires, où je pourrai inviter des gens à manger, à dormir.
J’en fais des nuits blanches.
J’ai testé plusieurs chemins d’appartement : l’appartement en résidence étudiante. L’appartement en colocation. L’appartement en logement de fonction. L’appartement à moi seule, l’appartement à deux…
Je teste un nouveau chemin. Un petit appartement pas cher, déjà meublé, un « je pars quand je veux », du moins je l’espère. J’ai encore beaucoup de chemin à faire de ce côté-là, ne serait-ce que pour me détacher du superflu.
Ce moule me terrifie. J’essaie de le briser. J’essaie de trouver « ce qui marche ».
Il y a plein d’autres sujets sur lesquels je ne sais pas où j’en suis. Ne serait-ce que mon rapport à mon corps : trouver « ce qui marche » pour me défouler physiquement (quand les dizaines de sports que j’ai pu essayer n’ont jamais été convaincantes), « ce qui marche » pour me nourrir (quand manger trois repas par jour contribue à me faire perdre la tête), « ce qui marche » pour toutes les choses qui me tournent dans la tête (quand « tu devrais te raccrocher aux petites choses, tu devrais pas être aussi négative » ne contribue qu’à me faire culpabiliser de ne pas savoir prendre mes pilules-du-bonheur au bon moment)…
C’est valable politiquement aussi, d’ailleurs. J’ai eu une épiphanie il y a quelque chose comme un mois ou deux, pas plus. « Hé mais, en fait, je suis anticapitaliste ? »
Ce n’est pas une prise de position subite. C’est une vraie conviction ancrée depuis des années, sans doute très liée à une incompréhension totale que j’ai toujours eue de la notion même « d’argent ». Je n’y avais juste jamais réfléchi, je n’avais jamais cherché à mettre un mot dessus avant. J’étais tellement prise dans le moule que je n’ai jamais envisagé la possibilité qu’il pouvait y avoir autre chose. Je ne sais pas trop « ce qui marche », de ce côté-là, mais clairement, la place de l’argent dans la société n’est pas « ce qui marche » pour moi.
Ce n’est qu’un exemple supplémentaire. Je ne suis pas là pour vous convaincre qu’il faut tout renverser. Je mets juste le doigt sur toutes ces choses qu’on m’a présentées comme immuables, et qui, pourtant, ne marchaient pas.
J’ai l’impression de vivre cette traîtrise de l’enfance, quand on découvre que le Père Noël n’existe pas. Sauf que je n’ai jamais eu l’expérience de cette petite traîtrise-là, mes parents ayant eu le bon goût de ne pas me faire croire à ce Père Noël.
Mais le Père Noël dont je découvre l’inexistence maintenant est beaucoup plus gros. C’est le Père Noël de l’avenir tout tracé, celui qu’on vous vend par exemple en vous disant toute votre scolarité « Je ne m’en fais pas pour toi », qui vole en éclat. C’est un deuil énorme à porter, celui du dessin d’enfant qui représente une maison, une famille et un chat, avec un soleil qui sourit dans le ciel et des fleurs qui parlent dans le jardin. C’est la croix sur la stabilité qu’on nous a tellement vendue.
Parce que cette stabilité : elle ne marche pas.
On vit dans une société de concepts prêts-à-porter, censés couvrir toutes les possibilités, mais soyons honnêtes : ceux pour qui ces vêtements-là sont bien taillés sont rares et ne se rendent pas compte de leur chance. Si à une époque j’ai essayé désespérément de trouver le vêtement à ma taille, j’ai fini par laisser tomber. Maintenant je me fournis dans des friperies ; j’achète des vêtements démodés qui ne coûtent rien, et je les coupe, les recouds, et je les fais à ma mesure. C’est beaucoup de travail, mais ça me coûte moins cher, et ça me va mieux. Alors pourquoi je m’en priverais ? Sous prétexte que « ce sont des fringues qui craignent » ?
On n’a pas tous les moyens de se faire faire des vêtements sur mesure. Alors il faut trouver « ce qui marche » dans ce qu’on nous propose.
J’enfonce peut-être des portes ouvertes pour beaucoup, mais j’ai fini par tirer mes propres conclusions de ce que j’ai pu vivre et voir vivre. Si cet article ne va sans doute pas enseigner grand chose, il me permet (égoïstement, mais rappelons que j’écris autant voire plus pour moi que pour vous sur ce blog) de faire un point sur mon chemin. Et si ça peut aider quelqu’un en route, c’est toujours ça de pris.
Ce qui marche n’est pas universel. On ne sait jamais ce qui va marcher pour un autre ; c’est déjà bien assez difficile de trouver ce qui va marcher pour soi. Certains nous envient ce luxe que nous avons de pouvoir tester, jusqu’à trouver, ces choix que nous avons le droit de faire. Sans apprécier l’énergie que ça exige, et sans se demander pourquoi il y a tant de personnes égarées qui finissent par tomber sur un chemin sans plus se relever. Ces gens-là sont parmi ceux qui ont conçu les moules. A nous de concevoir les nôtres.
« Ce qui marche », finalement, c’est moi. C’est moi qui essaie un chemin après l’autre. Mes pieds sont fatigués mais ils continuent d’avancer. Et ils se moquent bien d’où ils vont, maintenant qu’ils ont compris que la destination qu’on leur a toujours vendue n’existe pas. L’important, maintenant, c’est que le chemin soit le plus chouette possible.
Alors maintenant, en marchant, je n’hésite plus à prendre un virage inattendu, obscur, peut-être risqué.
Le jeu de mots passe moins en français. Mais il me fait ricaner, alors je le garde.
As, « ace » comme disent les anglophones, c’est le petit nom que se donnent parfois les asexuels. Je trouve ça plutôt mignon, alors je l’adopte.
Il y a déjà plein d’articles sur l’asexualité, tant et si bien que je me suis vraiment demandé s’il était vraiment nécessaire que j’en écrive un de plus. Et puis il s’est avéré qu’en fait, je recevais souvent des questions sur le sujet, et un rapide sondage a mis en avant que finalement, l’article, ça vous intéressait bien.
J’inaugure donc le premier article de ce blog que je fais pour vous et non juste pour moi. Je suis obligée de souligner que c’est un sujet assez lourd pour moi. Vous avez l’habitude de me voir aller au fond des choses, de décrire, de préciser, de prendre des exemples, d’écrire avec mes tripes. Pour cette fois, je me paie le luxe de me « déconnecter de mes émotions », parce que ça m’empêcherait de vous expliquer ce que je veux expliquer aujourd’hui.
Cet article risque donc d’être un peu plus sec que les autres, mais j’espère qu’il vous permettra de comprendre un peu mieux ce qu’est l’asexualité. Ou du moins, mon asexualité.
Il me semble important de commencer par là : tout ce dont je vais parler correspond à ma manière de le vivre. Je n’entends pas me faire porte-parole de tous les asexuels. Ne prenez pas tout pour des généralités. Si vous avez des doutes, face à une personne asexuelle, posez-lui des questions, afin de ne pas dire « Mais Lia a dit que… » : on a tous nos manières de vivre les choses. Voilà la mienne, et il est vraiment important de rappeler que je ne prétends pas parler au nom de tous.
Je vais ouvrir avec un petit point lexical : je vois souvent en ligne la confusion entre asexuel et asexué. Attention, je ne suis pas asexuée. A priori, je suis un individu de sexe féminin (mon genre, lui, restant néanmoins à définir, mais c’est une autre question). Par contre je suis asexuelle. Et là, ça y est, c’est le moment où je retrousse mes manches pour entrer dans le vif du sujet.
C’est quoi, cette asexualité avec laquelle je vous bassine depuis des lustres sur Twitter ou dans mes conversations ?
Dans mon cas, ça veut dire que je n’ai pas de « besoin » sexuel. Et très peu voire pas d’ « envie ». Je n’ai pas non plus la nécessité de me sentir désirée sexuellement. Je ne comprends pas pourquoi les gens font un tel cas du sexe. Pour moi, ça ne s’inscrit juste pas dans ma vie.
Je contre directement la première remarque qu’on me fait quand je présente l’asexualité : non, ça ne veut pas dire que « je suis frustrée /frigide/ne sais pas prendre mon pied ». Ne vous en faites pas. Comme tout le monde j’ai fait mes expériences, découvert ce qui marchait pour moi (et ce qui ne marchait pas), compris mon corps, et suis tout à fait en mesure de prendre du plaisir, merci de vous en soucier.
Ça veut juste dire que, concrètement, le sexe est une activité comme une autre, et que je préfère vachement lire un livre, en vrai. Ben oui, on va pas me forcer à me mettre au tricot si je n’y vois aucun intérêt, non ? Pareil pour le sexe.
Je ne me masturbe pas ; je ne l’ai jamais fait. Je n’en vois pas l’intérêt. Pourtant j’ai longtemps complexé pour ça, parce que « tout le monde le fait ».
Je suis par le passé rentrée dans des jeux de séduction par pression sociale et par mésapprentissage : on nous fait croire que nous n’existons que si des gens nous désirent.
Je suis contente d’être revenue de tout ça. Je n’y joue plus que si je m’amuse vraiment, et autant vous dire que ce n’est qu’avec des personnes bien spécifiques dont je suis sûre qu’elles savent exactement comment je fonctionne. J’ai appris à ne plus me mettre en danger. On s’amuse très bien sans se mettre en danger, même beaucoup plus. C’est quand même vachement mieux de ne pas faire les choses sous la contrainte !
A priori, je suis « comme ça ». Il m’a fallu du temps pour l’accepter : ce n’est pas tout à fait ce qu’on vous apprend. Je me suis sentie monstre, inutile, sans valeur, simplement parce que je ne comprenais pas l’intérêt de parler de cul, parce que je frustrais mes conjoint.e.s, parce que quelqu’un qui me désire me met atrocement mal à l’aise.
Forcément, ça soulevait des questions. Est-ce que c’était dû à mon rapport au corps tellement détaché ? Est-ce que c’était dû à une vague éducation un poil tradi (« beurk le sexe c’est sale ») ?
J’imagine que ces choses-là m’ont confortée dans ce que je suis, mais non, on dirait bien que j’ai été « comme ça » dès le départ.
Le malheur c’est que j’ai essayé d’aller à l’encontre de ça, pour suivre ce qu’on m’avait appris. Ça m’a causé beaucoup de problèmes… entre ceux qui m’ont dit « Je vais t’apprendre à aimer ça », ceux qui m’ont dit « Tu n’es qu’une égoïste/Je me sens mal par ta faute », et les professionnels qui m’ont dit « Perte de libido, vous êtes malade » avant de me renvoyer de spécialiste en spécialiste.
Je n’ai encore jamais rencontré personne qui avait exactement la même asexualité que moi, mais j’ai eu la chance, avec le temps, de rencontrer d’autres asexuels, et de me dire qu’on était plusieurs à être « comme ça c’est tout », et que c’était pas un mal, en fait !
« Mais alors, pourquoi tout ce foin ? Si c’est normal, c’est quoi, le problème ? »
J’ai souvent eu ce genre de réactions de gens qui ne comprennent pas le besoin d’en parler. J’ai du mal à les blâmer : ça paraît tellement simple quand c’est bien expliqué, c’est vrai quoi, personne ne va aller fouiller dans notre sexualité, qu’est-ce qu’on em… le monde avec ça, on ne court pas après les rapports sexuels un point c’est tout !
Pas si simple, malheureusement. Si dans la théorie ça pourrait très bien marcher comme ça, dans la pratique il s’avère que nombreux sont ceux qui mettent le nez dans notre sexualité sans demander.
Il y a les soi-disant spécialistes mentionnés plus haut. Ceux qui te font comprendre que le problème c’est toi, que tu ne fais pas assez d’efforts, ou alors que tu es malade parce que ne pas vouloir de sexe est une maladie. Dans mon cas, il y a eu un médecin généraliste, une gynéco et deux psys, comme ça.
Il y a les psychologues de comptoir et les cons, aussi, des fois… Je n’ai pas fait de captures d’écran, mais j’ai souvenir de quelques perles dans mes DM à l’époque où j’avais pris la parole sur le sujet. J’étais « égoïste », « nihiliste » car je « refusais de perpétuer la race humaine ». Rien que ça !
(De toute façon, envie ou pas, je refuse de « perpétuer cette sacrosainte race ». Si j’ai un rôle sur cette Terre, ce n’est certainement pas celui-là. Mes entrailles s’émeuvent plus d’une pièce de technologie avancée que d’un enfant, mes pulsions maternelles sont essentiellement liées aux choses que je crée, et le monde dans lequel nous vivons n’a pas besoin de voir plus d’enfants souffrir).
Il y a les films hollywoodiens, les livres, même les publicités maintenant, toutes les démonstrations de corps hypersexualisés qui nous rappellent qu’on devrait absolument vivre avec le sexe, nous forcer, en permanence, parce que sinon nous ne sommes pas normaux. J’en suis venue à boycotter les œuvres culturelles dans lequel la sexualité était représentée de manière « gratuite ». Dommage si ça avait l’air bien, mais ce ne sont pas les autres films, livres, séries, jeux… qui manquent.
Il y a les conjoint.e.s qui ne comprennent pas forcément que « non, pas ce soir », ça peut être « non, aucun soir », parce qu’on les a « habitués à mieux ».
Avec de la discussion, ça passe. Mais un asexuel avec un sexuel, en relation, ça peut vite devenir un enfer. Parce que d’un côté il? y a celui qui ne se sent plus désiré, qui ne trouve plus de spontanéité dans son couple, et qui a parfois l’ego à la dérive à cause de ça. De l’autre, il y a celui qui a l’impression que chaque invitation devient un harcèlement (parfois, c’est le cas d’ailleurs).
Et d’un côté comme de l’autre, les compromis sont extrêmement complexes à trouver. D’autant que l’expérience a prouvé que tout « je comprends, tu es comme tu es, ça ne nous empêchera pas d’être heureux » peut très vite devenir un mensonge.
Si c’est le cas, partez. N’attendez pas que cela tourne au vinaigre. Votre intégrité physique compte encore plus que votre amour de l’autre –un amour qu’il n’est peut-être même plus capable de vous rendre. Sachez vous écouter et être honnêtes avec vous. Ne vous mettez pas en danger.
Alors on pleure et on espère que la prochaine fois, on tombera sur un asexuel. Ou au moins sur quelqu’un d’ouvert d’esprit. Ou alors on se promet qu’il n’y aura plus de « prochaine fois » et c’est le déchirement de ne pas pouvoir avoir cette relation qu’on veut… « juste à cause du sexe ». Une chose si triviale et ridicule que tout le monde voudrait élever au rang d’indispensable et sacré.
Ça ne veut pas dire qu’il n’y a aucune solution : l’asexualité dans un couple, ça peut bien se vivre. Mais c’est la promesse que ça va être compliqué.
J’ai déjà vu des gens dire qu’ils sont « devenus asexuels après un traumatisme ». Ça me laisse perplexe. On ne devient pas homosexuel après un traumatisme, si ?
La pente est savonneuse, je préfère ne pas plonger là-dedans, mais je pense que ce genre de propos vient du fait que beaucoup confondent la phobie sexuelle et l’asexualité.
L’un peut aller avec l’autre, remarquez. J’ai développé avec le temps une véritable phobie sexuelle, simplement à cause de la pression liée à la sexualité. Les violences sexuelles, certaines découlant directement de « Je vais te soigner », ne m’ont pas aidée.
J’ai souvent des mauvaises surprises. Je coupe certains films et referme certains livres nausée au ventre, en sachant pertinemment que je ne pourrai plus jamais les reprendre. Les « voisins indélicats », comme on dit, m’ont souvent posé problème, encore maintenant. Il m’est arrivé de finir la tête dans la cuvette plus d’une fois, à vomir mes tripes tant la réaction à certaines informations est violente. J’évite les grosses fêtes où je risque de voir des gens qui « s’emballent ». Je m’assure de ne pas être seule si je dois me mettre en situation compliquée, dans les festivals ou en camping par exemple. J’essaie de me protéger un maximum.
Pour bien clarifier la différence entre phobie sexuelle et asexualité, donc :
Ma phobie sexuelle vous dit « Par pitié, n’ayez pas envie de moi, ça me terrorise »
Mon asexualité vous dit « De toute façon, il n’y a environ aucune chance que j’aie envie de vous ».
La phobie sexuelle, comme toutes les phobies, est handicapante. Mais l’asexualité, elle, ne devrait pas l’être. Elle est normale.
Chers asexuels, vous avez le droit d’exister. Vous n’êtes pas malades –ou alors vous pouvez l’être mais votre asexualité ne découle pas d’une maladie. C’est comme ça et vous vivez votre (a)sexualité comme vous le souhaitez. Personne n’a le droit de vous dire ce que vous devez faire dans l’intimité.
Et chères personnes qui se posaient des questions sur l’asexualité, j’espère avoir pu y répondre, même si j’ai conscience que le sujet est trop vaste pour en faire un tour complet. N’hésitez pas à poser vos questions si vous en avez.
En attendant, voilà. Je suppose que cet article est aussi mon coming-out pour ceux qui n’étaient pas encore au courant, mais ce n’est pas vraiment quelque chose que je cache. Je le brandis, parfois agressivement, parce que j’existe moi aussi, je ne suis ni malade ni un monstre. On a essayé de réparer chez moi quelque chose qui n’était pas cassé, on a essayé de me punir, de me convaincre que j’étais dans le tort. J’en chie toujours au quotidien, dans mes relations, et parce que la phobie sexuelle est toujours aussi complexe à gérer. On ne dit pas facilement aux gens pour qui c’est parfaitement normal que « non, là, ce sujet, ça ne va pas le faire, on va changer sinon je vais devoir aller vomir. » Surtout que la phobie ne se manifeste pas tout le temps, et qu’on devient vite « rabat-joie imprévisible ».
J’espère avoir fait le tour de la question. Pas simple à rédiger, cet article ! D’habitude je pars d’un point précis que je développe, mais là, le sujet est vaste, et en même temps très personnel. J’ai l’impression que tout est confus et désorganisé, mais le sujet m’angoisse tellement que je ne me sens pas de faire des passages, encore et encore, pour toujours corriger. Je l’éditerai sans doute, d’autant que j’ai peut-être oublié des choses… N’hésitez pas à me le faire remarquer si c’est le cas. Je pourrai faire des ajouts ou vous répondre dans les commentaires.
Si vous souhaitez vous renseigner sur le sujet avec un peu plus que ce témoignage maladroit, il y a pas mal de ressources mieux fichues sur internet également :
Le blog Asexualité-s qui regroupe des définitions, des articles poussés et des réponses à des articles traitant le sujet de manière incorrecte/incomplète (on y trouve aussi toute une catégorie Aromantisme. Etant plutôt du genre polyromantique, je ne pourrai pas vous en dire plus sur le sujet, mais il est bon de se renseigner car oui, tout ça existe)
Et en conclusion… Je ne suis ni malade ni frigide, je ne suis pas une fainéante ni un mauvais coup, je ne suis pas frustrée, égoïste ou mal baisée.
Je suis juste asexuelle. J’existe. Nous existons. Nous n’avons pas envie de vous. Et ça, société, il va falloir l’accepter. Et arrêter de foutre ce foutu sexe au centre du monde.
Il me semble être une de ces personnes qui revendique sa haine nette pour cet instrument du diable. Je veux dire, ça dégouline, la guitare, et les guitaristes aussi d’ailleurs. Ça m’énerve. C’est omniprésent, envahissant.
« Mais Lia, t’es pas fan de metal ? »
Oui, je sais. Je n’aime pas la guitare, mais j’aime le metal. Et puis le blues, le jazz, le flamenco… J’aime la musique avec de la guitare dedans, en fait. On s’y fait. Suffisamment pour qu’aujourd’hui, j’aie envie de vous parler d’un groupe avec non pas UNE… mais DEUX guitares.
Gasp.
On va aller faire un petit tour en Suède, parce que vous l’avez compris à force, j’aime bien ce pays. On part du côté de Göteborg, deuxième plus grande ville de Suède (543 000 habitants… les grandes villes de Suède) ; une bourgade un peu industrielle du sud ouest, au bord de la mer, réputée pour son dynamisme et ses jeux de mots de merde. (Ce sont réellement les deux choses qui sortent en premier quand on parle de Göteborg à un Suédois. Je sais pas vous mais personnellement, ça me fascine et me donne très envie de faire mes valises et de sauter dans le premier avion. Je ne suis sans doute pas très objective.)
Ville jeune et qui bouge oblige, Göteborg est le berceau de nombreux groupes de metal. Parmi ceux qui sont arrivés jusqu’à nous, on compte par exemple In Flames, Hammerfall, Evergrey ou Dark Tranquillity.
Et puis il y a Mark Zero (qui trichent un peu : ils sont, à la base, de Falun, alors ils sont encore plus chers à mon cœur).
Mark Zero se présentent eux-mêmes comme un groupe de « heavy rock mélodique, dans un paysage musical sombre, avec beaucoup d’agonie et d’anxiété, des mélodies soutenues et des paroles qui ont du sens, et des guitares franchement désaccordées. »‘
Dit comme ça, on s’attend un peu à du pesant, du violent, limite glauque.
Spoiler alert : pas du tout. (Enfin pas trop.)
Mark Zero, je les ai découverts franchement par hasard à Falun, en 2015, à l’occasion du Sabaton Open Air. A l’époque c’était « le groupe de musique du pote de mon hôte de couchsurfing » (ça a l’air très compliqué mais en vrai, non. Disons que ce sont des amis d’amis, donc par extension des amis potentiels quoi).
J’avais vu leur set de très loin, juste assez pour m’être fait la réflexion que « Ah tiens, là j’aime bien ce que j’entends ».
Après coup, j’étais allée chercher un peu plus loin (en partie pour #LiaEnScandinavie, j’avoue), et m’étais aperçu qu’en fait, j’aimais bien tout ce que j’entendais. Mais voilà, c’était un groupe de passage…
…jusqu’à septembre dernier où ils ont annoncé la sortie de leur album. Avec le teasing associé, mon intérêt était piqué.
Il a suffi d’une vidéo pour me convaincre de précommander.
« I don’t ever wanna feel that way again » (Ca y est, c’est reparti pour que je la chante toute la soirée.)
Bleed It Out, premier single de Ballistica, est à l’image de tout l’album, qui est enfin sorti lundi dernier et que j’ai écouté au moins trente fois depuis.
Ballistica, en trois mots : direct, hypercatchy et efficace.
Le genre de musique qu’on se retrouve à chantonner inconsciemment encore deux ou trois jours plus tard, en rebondissant un peu et en imaginant les pogos possibles. Quelque part, mes trajets sont moins pénibles depuis que j’ai du Mark Zero dans les oreilles. Je suis peut être bizarre, mais c’est presque de la Feel Good music, pour moi : tout l’album a un bon petit goût de nostalgie. Chacune de leurs chansons est une nouvelle madeleine de Proust à sa manière. Ils prennent tous les éléments qui ont constitué mon adolescence et les jettent dans leur paysage sonore.
Je retrouve du metal industriel, je retrouve les sonorités de heavy/numetal qui m’ont fait à 13 ans basculer du côté saturé de la force, je retrouve une évolution que j’ai moi-même vécue dans la musique. J’écoute allégrement cet album comme je pourrais sautiller sur un House of Wonders de Lovelorn Dolls, un Minutes to Midnight de Linkin Park (on est d’accord, c’est pas leur meilleur, je sais, mais c’est à lui qu’il me fait penser, deal with it), ou quelques chansons en pagaille de Skillet qu’un de mes anciens élèves a eu le bon goût de me faire découvrir il y a des années de ça…
Bref, vous savez, ce genre de musique délicieusement régressive qu’on met pour conduire, ranger, se filer la pêche le matin, danser dans la rue ?
Musicalement, on ne sort pas des sentiers battus. Les grosses guitares posent avec la batterie et la basse des bases groovy et efficaces, la guitare lead chante allègrement (voire même miaule parfois, genre sur Bleed It Out, je trouve ça flagrant), certains morceaux sont agrémentés de guitare claire, d’électro, de violon, de piano… et, bonne surprise, de cloches. (Je crois que j’ai entendu une clarinette à un moment aussi, mais je ne m’avancerai pas trop. Il me manque juste un banjo pour être heureuse mais, hé, à la perfection nul n’est tenu).
D’un point de vue prod, c’est plutôt propre, tout se mêle de manière bien équilibrée et la mayonnaise prend très bien. Une mayonnaise juste grasse ce qu’il faut, avec des refrains qui viennent se loger juste entre les deux oreilles pour tourner, tourner… et sautiller dans le métro, sourire aux lèvres, parce que les paroles chantées par une voix plutôt versatile et bien maîtrisée (chant clair, scream et gros greuh sont alternés efficacement dans une articulation hyper agréable) ont une portée étonnamment cathartique. On y parle principalement de l’émancipation de diverses emprises (un sujet particulièrement d’actualité pour moi), dans des mots simples, des situations claires et parfois facilement reconnaissables. Alors certes, on ne réinvente pas la langue anglaise, mais ce n’est pas grave : c’est d’autant plus simple à chanter en chœur. Et puis il y a quand même des bouts de suédois qui traînent…
L’album n’est pas tout à fait homogène en termes de genres, et ce n’est pas plus mal : il y en a vraiment pour tous les goûts. On alterne le heavy des premiers morceaux (Bleed It Out ou One Against The World, ma préférée de l’album) avec des ballades plus ou moins gnan-gnan (disons ce qui est) telles que All That I Loved Was The Enemy, Not Gonna Die (pour laquelle, j’avoue, j’ai un petit faible) ou This Is Your Life. De temps en temps, on retrouve des sonorités très old school, comme dans My Polluted Mind ou Alive (cette dernière a par ailleurs ma faveur au niveau des paroles).
Avec tous les genres des chansons, vous aurez compris que j’ai du mal à en isoler une en particulier… Mais au milieu de tout ça, Megamösh se pose en ovni par rapport aux autres. C’est pour moi LA perle à retenir de l’album, un hymne à la folie où le chanteur se surpasse en termes de flow. C’est agressif, c’est barjo, je vous parlais d’effet cathartique tout à l’heure : c’est sans doute sur ce morceau qu’il est le plus présent.
En termes d’ambiance, Mark Zero ne ment pas dans sa description première : c’est sombre, c’est lourd, c’est parfois presqu’anxiogène (je pense notamment à This Is Your Life et son martèlement rythmique pesant). Et pourtant, ça embarque. Je danse sur certaines chansons, j’ai immensément envie d’écrire sur d’autres, et j’ai clairement l’impression même après plusieurs écoutes qu’il y a encore des choses à entendre.
Si je n’adhère pas à toutes les chansons, je dois néanmoins leur reconnaître une chose : il n’y en a pas à jeter. Pour un premier album, rien à redire : pari réussi. C’est une collection de voyages musicaux, et leur univers est déjà bien posé.
Comme Mark Zero est un groupe à la pointe, on peut trouver leur album Ballistica à peu près sur tous les supports possibles : sur Spotify, sur iTunes, sur Google Play, et –mon petit préféré– sur Bandcamp. Pour des nouvelles sur eux, c’est soit par Twitter, soit par Facebook.
Demain soir, Mark Zero font leur concert de « célébration de sortie d’album » à Falun, au chouette pub du King’s Arms. Il y a des chances que si vous êtes en train de lire cet article, vous soyez un peu loin du lieu. Pour ma part c’est évidemment loupé, mais je sais que je les verrai sans doute à Falun en août prochain, même si ça fait un peu loin.
En attendant de pouvoir vraiment les revoir en live, l’album tourne en boucle sur mon baladeur.
Bref : je n’aime pas la guitare, mais ça j’aime. Et peut-être que vous aussi ?
Ça fait un bail qu’on ne s’est pas parlé à cœur ouvert toutes les deux.? Je suis désolée de t’avoir étouffée tout ce temps. Je sais que c’est pas très sympa. Je ne faisais pas très attention à toi, je ne me rendais pas compte de ce que je faisais… Je le sens maintenant.
J’ai bien compris les coups que tu me mettais dans le poitrail, je les ressens très fort tu sais, ne t’en fais pas pour ça.
Mais j’aimerais bien que tu y mettes du tien aussi. Parce que tes coups dans le poitrail, là, certes, ça me donne une bonne indication que t’as envie de sortir, mais souvent tu me dis pas trop comment. Alors OK, je suppose qu’en tant que porteuse, c’est à moi de te donner les armes. Mais quand même. Tu m’étrangles un peu, là. Ce n’est pas en me faisant pleurer que je réussirai à te libérer, tu sais ?
Bon, je comprends, ta place n’est pas simple non plus. Tu es là-dedans, promesse de bonnes choses. Et moi je t’anesthésie à coup de normalité, à coup de médicaments, à coup de rationalisation à outrance. Je ne devrais sans doute pas. Si tu savais à quel point je donnerais tout pour pouvoir, quelques temps, te suivre à l’aveuglette, courir à tes côtés, te laisser t’exprimer totalement. Le problème c’est que je n’ai pas ce « tout ». Je n’ai rien d’autre à donner que toi.
Et j’espère qu’on est bien claires, toutes les deux, sur le fait qu’il est hors de question que je te donne, que je t’abandonne à jamais.
Alors je ne peux que batailler au quotidien pour atteindre ce but sans « tout donner ».
Je fais vraiment ce que je peux, tu sais ? Et ça me fait très mal de te voir enfermée. Je me sens porteuse indigne de ces élans que tu m’offres. Je me sens minuscule et ridicule, incapable de te suivre.
Il y a tant de choses qu’il faudrait que je te dise, mais pour ça, il faudrait que je réussisse à instaurer un dialogue, pas une bête lettre.
Je ne sais t’écouter que quand je dors. Ou quand je pleure. Et quand moi j’essaie de te parler, je n’ai pas l’énergie pour soutenir la conversation… ou alors tu boudes, tu ne me réponds pas, tu es ailleurs.
On se parle dans le vide, toutes les deux. Ou dans le Vide, plutôt. Celui qui résonne encore souvent dans mon poitrail, lui aussi.
Tu plantes tant de mots, de souffles et de couleurs en moi, toujours, et me voilà incapable de mobiliser l’énergie nécessaire à les faire sortir. Alors ça bouillonne jusqu’à l’explosion. On n’aime ça ni toi, ni moi. Il y a ce cycle, mauvais, permanent. Tu grattouilles un peu, j’ignore. Tu toques à la porte, je barricade. Alors tu remues et secoues tout, et ça me met l’intérieur à l’envers, et je pleure. Pour peu que ça ne suffise pas, je me tétanise ou je me mets à trembler, à hurler parfois, et je frappe et griffe pour te faire taire.
Quoi que tu tentes tu ne peux jamais sortir. Je suis tellement désolée.
Dans mes rêves, nous marchons main dans la main. Toi tu guides, moi je suis, et l’équilibre est parfait.? Les couleurs s’expriment enfin et mon cœur bat pour de vrai. Mais je finis toujours par me réveiller.
Si seulement la Bête n’était pas entre nous !
Pardon, l’inspiration. Je sais que tu es là. Tu me tiens chaud souvent, tu te rappelles à moi en explosions de couleurs brûlantes. J’essaie de te laisser sortir mais mes souffles sont comme vide.
Un jour, je te le jure, je le trouverai, cet équilibre. Pour l’instant je suis encore comme une enfant, qui apprend à vivre avec. Une enfant à qui la Bête donne trop de responsabilités. Une enfant qui porte aussi ta responsabilité. Une enfant qui encore trop souvent tient son stylo à l’envers.
Pardon, l’inspiration. Il va me falloir encore un peu de temps, mais je te jure qu’on va y arriver.
Je te propose un deal : tu ne t’essouffles pas ; et moi, pendant ce temps, je détruis juste tout ce qu’on a pu construire sur moi. Laisse moi juste rassembler mes forces pour savoir partir.
Tu m’inspires mais je dois encore apprendre à expirer.