Découverte : Midnight Street et sa fille tatouée

Depuis que je suis arrivée à Paris, j’ai du mal à m’extirper de « chez moi » et ne me tiens absolument plus au courant des rendez-vous musicaux. Parfois on m’invite, je surmonte la phobie sociale et j’arrive, ou je laisse juste tomber.
Pas facile de me faire sortir dans cette ville hostile…

Pourtant, il y a environ deux mois, un mail de Rain me fait sortir de ma tanière. « Hé, y a des gens que je connais, ça te dit d’aller jeter une oreille ? »

Le nom du groupe : Midnight Street. Inconnus au bataillon. Normal, a priori cela fait un moment qu’ils n’ont pas fait parler d’eux, et ils reviennent avec un nouveau concept. C’est le pitch qui accompagne le mail qui titille ma curiosité.

Midnight Street est un groupe de musique navigant entre le blues, l’electronique, l’ambient… et dont les compositions servent une narration sombre et intrigante. Le groupe est composé d’une chanteuse, d’un guitariste et d’un MAO, et est accompagné d’une styliste/décoratrice pour marier au mieux l’histoire, le visuel et la musique.
A mi-chemin entre la comédie musicale et le concert, nous vous proposons de suivre avec nous une nouvelle histoire originale, pendant deux heures de spectacle.
Et de quoi ça parle ?

Un monde futur. Un monde actuel. Un monde où la population ne ressent plus que par l’intermédiaire des senseurs, device informatique reproduisant les émotions au delà de la perfection. Un monde où le serveur des senseurs a été mis KO, détruisant la capacité de chacun à ressentir à nouveau…

C’est dans ce monde vide que la fille tatouée, une junkie parmi tant d’autres cherchant des bribes d’émotions, se réveille dans une baignoire remplie de glaçons. A son côté, une seringue contenant des bribes de Human bug, le dernier shoot en vogue. A son dos, une cicatrice…

Un seul but pour elle désormais: trouver ceux qui l’ont meurtrie.
Une seule émotion désormais: la haine.

Il est bon d’avoir un peu de contexte pour comprendre en quoi ce pari apparemment ambitieux ne pouvait qu’attirer mon attention : depuis quelques mois, je fais une grosse rechute cyberpunk, que ce soit dans mes lectures ou les jeux auxquels je joue.
Micro-palmarès :

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(Liste non exhaustive ; mentions spéciales à La Voix brisée de Madharva et ‘VA-11 Hall-A’, cliquez sur les images !)

Bon, vous l’aurez compris : ces derniers temps, je nage dans le cyberpunk. Pour une rapide remise en mémoire de ce qu’est le cyberpunk, je laisse la parole à Bruce Sterling (dans Mozart en verres miroirs) :

« La production cyberpunk se signale par son intensité visionnaire. Ses porte-parole prisent le bizarre, le surréel, le jadis inimaginable. […] Certains thèmes centraux ressurgissent fréquemment dans la SF cyberpunk. Celui de l’invasion corporelle : membres artificiels, circuits implantés, chirurgie esthétique, altération génétique. Ou même, plus puissant encore, le thème de l’invasion cérébrale : interfacess cerveau-ordinateur, intelligence artificielle, neurochimie — techniques redéfinissant radicalement la nature de l’humanité, la nature du moi. […] Pour les cyberpunks, la technologie est viscérale. Elle n’a rien à voir avec la magie en flacons de quelques lointains Grands Chercheurs ; elle est envahissante, nous touche au plus intime. Non point en dehors de nous, mais à côté de nous. Sous notre peau ; et souvent à l’intérieur de notre esprit.

Avec une définition pareille, la description de Midnight Street, avec leurs senseurs, leur Human bug, leur quête de sensations « vraies », les faisait sauter à pieds joints dans le vaste océan du cyberpunk.
Ajoutez à ça l’aspect « comédie musicale », moi qui ne jure que par Starmania en ce moment, et vous obtenez un cocktail qui ne pouvait que m’attirer.

C’est ainsi donc que je me suis retrouvée fin avril à braver ma phobie sociale pour aller m’enfermer quelques heures dans le sous-sol d’un bar dans le 20e arrondissement. Une soirée, un concert, une baffe. Déjà parce que c’était le premier concert auquel j’assistais depuis des lustres, ensuite parce que ce n’était pas le genre de concert auquel je m’attendais – c’était beaucoup plus. Tant et si bien que non seulement j’ai commencé à préparer cet article le soir-même, mais en plus, je suis retournée les voir il y a quelques jours. Pour confirmer une première impression, voir l’évolution, faire connaître à d’autres… Et aussi un peu pour le plaisir de replonger dans leur univers.

Maintenant que j’ai bien digressé pour poser les bases, entrons dans le vif du sujet. Midnight Street, c’est quoi pour de vrai, enfin ?

Il s’agit donc d’un groupe de trois personnes sur scène (Maxime à la guitare, François à la MAO, et Diane au chant), qui nous font voyager dans un univers torturé où les gens ont oublié comment on ressentait. L’histoire se déroule comme une enquête en quatre actes. On suit tantôt le point de vue de deux reporters (Maxime et François), tantôt celui de l’étrange jeune femme tatouée (Diane), qu’ils poursuivent pour un reportage qu’ils mènent sur leur société actuelle, les nouveaux senseurs, et les personnes encore capable de vraies sensations. Cette enquête les conduit dans des endroits lugubres, glauques, parfois délabrés : un vieux motel, une autoroute, un squat, puis un club étrange, jusque dans les quartiers de ceux qu’ils appellent la « mafia des sensations ».
S’il n’est pas forcément simple de tout comprendre au début, on se fait assez vite happer par l’atmosphère pesante et les thèmes demeurent assez simples à suivre. On se surprend à attendre la suite, d’une chanson à l’autre. Les entractes mettent parfois les nerfs à l’épreuve (« Mais alors, elle va le faire ou pas ? »), les personnages sont attachants même si leurs apparitions sont parfois fugaces. L’intérêt est piqué.

Musicalement, Midnight Street reproduit l’hybridisme des auteurs cyberpunk, « fascinés par les zones intermédiaires » (B. Sterling) : on ne leur mettra pas une étiquette facilement. Dans l’e-mail, on parlait de « mélange de blues, électronique, ambient »… Sur l’affiche à l’entrée, on mentionne du « trip-hop rock ». Dans la salle entre deux chansons, il y a des rumeurs de « garage expérimental ».
Personne n’est d’accord. Pas simple, en même temps.

(NB : ce n’est sans doute pas la chanson la plus représentative, mais à ce stade de l’article, vous étiez en droit d’avoir un morceau à vous mettre sous la dent.)

Le côté expérimental est effectivement très présent, le côté un peu « brut » du garage aussi. J’ai bel et bien retrouvé le blues, l’electro, l’ambient, mêlé même à un chouia de progressif et quelques riffs qui tiraient franchement sur du nu-metal voire metal tout court.
Il y a le MAO qui pose les bases, encadre, avec ses basses parfois un peu lourdes, ses bruitages qui collent au contexte de l’histoire, ses enregistrement qui nous en disent plus petit à petit, son piano parfois un brin mélancolique, et même, de temps en temps… serait-ce du banjo ? [Insérez Lia beaucoup trop heureuse #OsezLeBanjo]
Il y a le guitariste, qui soutient le tout, tantôt dans des arpèges clair, tantôt des riffs franchement saturé, voire même tellement saturé qu’il en devient une nappe lourde qui crée un vrai malaise à l’écoute, parfaisant l’ambiance, tout en se donnant physiquement sur scène.
Il y a la chanteuse et son astucieux duo avec elle même : elle emploie ingénieusement ses deux micro, un avec un bel effet cathédral et un bien plus clair, utilisant tantôt l’un tantôt l’autre, parfois les deux en même temps à différents degrés pour moduler sa voix, chaude et maîtrisée. Le chant alterne entre murmures, paroles parlées-presque-rapées, vocalises pas loin du lyrique, plaintes, cris… Tout un palmarès qui fait passer d’une émotion à une autre et transmet des paroles (heureusement un peu répétitives, car, soyons honnêtes, on aurait parfois besoin de sous-titrage, moi et mes oreilles défaillantes) bien écrites, en français, avec des sonorités bien pensées.

Mais surtout, Midnight Street, c’est un univers. Il y a d’abord tout un travail esthétique : une costumière qui leur a designé des costumes du tonnerre (quoique pas toujours adaptés à la température des salles où ils jouent), des visuels soignés conçus par la chanteuse Diane, il ne manque guère qu’une paire de lunettes-miroir et un jeu de lumière pour bien ancrer l’image cyberpunk de manière indiscutable.
Mais l’esthétique est aussi musicale. Malgré (ou grâce à ?) leur absence de genre bien défini, il ne faut que quelques minutes au groupe pour nous plonger tête la première dans leur sombre paysage musical. L’atmosphère englobe tout, pas facile d’en ressortir : alors même que les concerts ont lieu dans des bars, force est de constater que « personne ne dit rien ; on n’entend que le groupe », comme me l’a fait remarqué S., un peu surpris, lors du concert de vendredi dernier. L’immersion est totale pour un public dérouté, mais surtout pendu aux lèvres des trois musiciens qui dévoilent petit à petit leur histoire. Et même en sachant comment ça se termine, on attend toujours. 

Dans la salle, toutefois, pas facile de savoir quand applaudir : chaque interlude est ponctué de phrases enregistrées qui en dévoilent toujours un peu plus sur l’histoire. Il n’y a qu’aux entractes que les vivas et les applaudissement se font largement entendre, alors que le groupe invite à aller prendre une bière pendant qu’ils se changent ou se rafraîchissent.
Avec Midnight Street, on ne doit pas s’attendre forcément à un concert participatif (encore qu’à terme, je ne serais pas surprise de voir certains spectateurs chanter en chœur) ; on a plutôt affaire à un public sage, qui ouvre grand ses yeux et ses oreilles pour recevoir. Et en prendre plein la gueule.

(Si l’image est bien un concert filmé, le son, lui provient des enregistrements de répétition et ne rend à mon goût pas totalement pas totalement justice à la voix de Diane. Avec un peu de chance, il y aura d’autres enregistrements bientôt…)

Et en prendre plein la gueule en concert, c’est résolument quelque chose que j’aime. Que ce soit en étant en communion avec un public et un groupe, en sortant d’un mosh pit avec des bleus partout, ou simplement en plongeant dans un univers de sons et paroles qui éveillent en moi des couleurs et des images. Pas besoin de drogues avec Midnight Street : quand on est synesthète, c’est un vrai trip…

En fin de compte, si je devais à mon tour m’essayer à poser une étiquette à Midnight Street, j’en parlerais comme d’un cabaret cyberpunk. Encore un qualificatif pas tout à fait satisfaisant, qui ne veut pas dire grand chose musicalement, mais de loin le plus approprié à mes yeux.

Avec leur concert du premier juillet, Midnight Street terminaient leur saison 2015-2016. Mais ils ont promis de revenir en septembre…

En attendant, vous pouvez les trouver sur Facebook, Soundcloud et Youtube.

Si les enregistrements sont bons, en revanche, sur scène, c’est encore largement mieux : alors amis parisiens (ou d’ailleurs, on vous trouvera un hébergement), si vous aimez le cyberpunk, les ovnis musicaux, les films sans images, les groupes qui se donnent : ne ratez pas les dates à venir.
De mon côté, promis, je ne manquerai pas de vous le rappeler.

Published byLia

Hobbite berserk à la plume acérée, aubergiste itinérante, éleveuse de peluches, geekàlunettes, mélomane, linguisticomane et psychocentrée : tant de centres d'intérêts, si peu de temps.

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