#LiaEnScandinavie, chapitre 8 : 16/08/2015 – Séparations et nouvelles rencontres

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Cette nuit, j’ai dormi deux heures. Alors OK, je suis tombée comme une masse, mais toutes les heures, je me suis réveillée. Comme d’habitude, j’ai eu froid, mais c’est plus facile de supporter le froid quand on sait que la chaleur revient dans seulement quelques heures.  Cela dit, j’ai pris froid, Hime aussi, et moi je tousse de plus en plus…
Et puis à 7h30, alors que j’émerge pour la énième fois et qu’il commence à faire plus chaud dans la tente, il me semble distinguer une musique familière au loin… On dirait X, de X-Japan.

X-Japan, c’est le groupe qui a bercé mon adolescence, et qui nous a rassemblées, ma femme et moi, dans un premier temps. Notre passion commune, en quelque sorte. A l’époque de mon lycée, j’en écoutais énormément et ça me faisait un bien fou – les paroles miévreuses d’un leader beaucoup trop drama-queen dont nous aimions nous moquer, la musique excellente et motivante, la compréhension de plein de notions musicales grâce à eux, les amitiés qui se sont créées et le développement de moult talents artistiques cachés.
Bref. X-Japan, longue histoire. Même que pour notre mariage, ma femme et moi avons choisi la chanson la plus mièvre du groupe. Alors ça a une symbolique foooolle pour nos petits cœurs.

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Même nos alliances collent avec la chanson.

Et donc, à ce camping, ils passent n’importe quoi comme musique : du power metal bien sûr, mais aussi des chansons traditionnelles, des chansons à boire, des chansons Disney, des générique de dessins animés (Pokémon en suédois -> grande classe),… bref, n’importe quoi. Et puis X-Japan ça a quand même quelques tendances power metal, alors ça paraîtrait logique…

Je tends l’oreille mais je suis trop dans le cirage. Pourtant, quand la suivante arrive, je suis presque sûre de mon coup. C’est Celebration. Je reconnais le monologue.
Alors quand commence ensuite Week-End, je me tourne vers Hime et lui dit : « Ils écoutent du X. » Elle papillone, clairement dans le cirage, et croit que je suis somnambule. « Mais si écoute ! »
C’est la fin de Week-End, et elle émerge petit à petit, n’en revient pas. Je la regarde avec un grand sourire : « Tu savais que c’était Heath qui faisait la deuxième voix dans Week-End ? » Fou rire. C’était tellement inattendu, et puis que ce soit aujourd’hui qu’on entende du X, c’est quand même une jolie coïncidence. Alors on fait un Blind test : après Week-End, c’est Rusty Nail (on en déduit donc qu’ils écoutent un best of et pas un album, parce qu’on est comme ça, on connaît la discographie par coeur), puis Amethyst et Endless Rain sur laquelle nous chantons même (et c’est fascinant de nous apercevoir que nous connaissons toujours les paroles par cœur).
C’est vraiment le petit bonheur du matin, je pourrais en pleurer tellement ça brasse des trucs et c’est chouette – en même temps, moi, la musique, c’est ma corde sensible : une envolée un peu trop marquée, et hop ça y est, je suis en larmes. Bref : la musique s’arrête et, vachement heureuses, on se rendort pour les dernières heures de sommeil en tente, pour finalement émerger à 11h en entendant Master Seagull discuter de féminisme à côté. Il est grand temps qu’on commence à ranger : Master Seagull nous a prévenues qu’à midi, ils cessaient de surveiller le camp et qu’à ce moment-là, des « gens du voyage » en profitaient pour briser la bulle de sécurité et se servir dans ce qui reste. Mieux vaut avoir fini de plier à midi alors.

Une parenthèse sur la bulle de sécurité : il faut reconnaître que la psychorigueur des Suédois a du bon pour certaines choses. Alors certes, on ne pouvait pas boire d’alcool devant la scène (et en vrai, ça ne m’a PAS DU TOUT dérangée), mais en contrepartie le festival était un endroit très propre (bon sauf le camping, soyons honnêtes), et on a trouvé une confiance incroyable : les gens laissaient leur téléphone dans un coin, le retrouvaient sans problème, en tant que filles nous n’avons eu aucun souci (hormis pendant le set de Kreator, quand nous pogotions, et les regards bizarres qu’on essuyait en se baladant parce que voyons les choses en face : nous étions deux Françaises d’1m60 et surtout les seules filles à ne pas être en permanence accompagnées d’un groupe de garçons…). A l’issue du festival, il faut reconnaître qu’on dirait bien que le respect est un maître mot dans le coin – et ça fait un bien fou.

Nous nous extirpons donc de la tente, juste à temps pour dire au revoir à Master Seagull et sa petite amie, qui doivent courir pour attraper leur train. C’est très rapide et je suis un peu triste. Ils vont me manquer, surtout lui avec sa fantastique capacité à disserter sur TOUT, TOUT LE TEMPS.
Pendant que nous plions, c’est au tour de D. l’Anglais et J. et L. les Belges de venir dire au revoir. D. n’a pas l’air très clair sur ce qu’il va faire ensuite, mais il n’est pas trop inquiet. A nouveau je regarde partir avec un pincement au cœur.
A côté de nous, la Polonaise E. et l’Allemand A. plient aussi. Moi je peine. Hime a tout rangé, moi je suis fatiguée, je m’énerve, me sens à la traîne… elle arrondit les angles en me filant un coup de main (merci !) et nous décidons tous de filer une dernière fois au Lugnet’s Building.

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Ca sent le départ…

redim20150816_114053Ca fait vide, même. (Bon, comme je vous disais, niveau propreté, le camping, ça laissait quand même à désirer. Anecdote que nous racontait Master Seagull : une année, ils étaient tous arrivés avec des marques de bière différentes. Au moment de partir, ils avaient dit, chacun ramasserait sa marque de bière. Le dernier jour, quand Master Seagull s’est réveillé, il n’y avait que des bières de sa marque : ses potes avant collé des étiquettes sur toutes les canettes, partout, pour qu’il ramasse tout. Bref, ambiance blague de merde… Mais quand il raconte ça avec son air penaud, je vous jure, c’est hilarant.)

A. pose ses affaires et décrète qu’il va essayer de récupérer le couteau suisse que la sécurité lui a enlevé au début du voyage pendant que nous nous débarbouillons et rechargeons notre téléphone. Le temps passe…
Passe encore…
De mon côté, j’avais eu un échange avec notre hôte de couchsurfing hier et il m’avait dit de le contacter vers 13h. Il est 13h, je lui envoie un message : il est en train de travailler, à la tente de merch, il compte des tee-shirts Sabaton et les empaquette. Ça a l’air chiant à mourir, et il ne sais pas pour combien de temps il en a, mais visiblement « ça peut prendre un petit moment ».
Bon. Alors on prend notre temps.
E., elle, a un train à prendre. Elle ne peut plus attendre A., alors elle va prendre quelque chose à manger à la cafétéria et revient pour nous dire au revoir. Encore une séparation. Je ne suis pas bonne pour ça. Je lui promets de la tenir au courant de la suite de notre voyage (et de la conclusion des aventures du couteau suisse de A., qui nous auront tenues en haleine une bonne heure) et la voilà partie pour la gare, direction Uppsala.

Nous attendons toujours et A. réapparaît enfin, bredouille : ils ont perdu le carton des objets confisqués mais ont pris ses coordonnées au cas où ils le retrouveraient. Tout ça pour ça.
Nous finissons par décider d’aller manger et prenons donc à nouveau le menu à volonté de la cafet’. Les plats sont différents, cette fois-ci, et déception : il n’y a pas de crêpes.

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Bon, enfin, crêpes ou pas, ça va, on va pas mourir de faim. (Le poulet était OUF.)

 

Je suis contente de pouvoir papoter un peu avec A., très réservé mais qui me rappelle beaucoup certains de mes anciens élèves – ou mon frère. Il est d’ailleurs étudiant en informatique, quatrième année à l’étranger. Pince sans rire malgré sa timidité et ses quelques lacunes en anglais, il fait une bonne conversation. Et puis manger nous fait du bien. (Je réalise que je n’ai mangé qu’un hamburger hier…)

Une fois le repas terminé c’est l’heure. L’heure bénite. L’HEURE DE LA DOUCHE.
Nous laissons toutes nos affaires à A. et allons profiter du vestiaire spécialement aménagé pour le festival. Ce sont des douches communes mais elles sont désertes. Nous passons au moins 30mn dessous à nous décrasser avec allégresse : en plus l’eau est chaude, et c’est plaisant d’avoir l’immense salle de douches pour nous seules. La satisfaction est totale. Nous rejoignons A. beaucoup plus fraîches.


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Cette fois-ci, nous sommes prêts à partir, et pas du tout chargés…

Deux ou trois mots échangés plus tard, nous hésitons entre l’accompagner dans le centre ou attendre que notre hôte ait fini de travailler. Je lui ai envoyé un message, il a dit en avoir pour encore un peu de temps, mais on en a plein les pattes… Du coup, on finit par décider de rester dans le coin. Je regarde A. partir en lui faisant des grands gestes d’adieu avec un pincement au cœur. Voilà, ça y est : la communauté est dissoute. (C’est très très dur pour moi, vraiment. Je suis pas faite pour ces choses-là.)

Une fois que le bus a disparu, nous allons nous étendre dans l’herbe juste à côté du festival, au soleil. J’aime bien cette atmosphère : il fait beau, je suis tranquille, la musique de la piscine du Lugnet’s Building arrive jusqu’à nous (et l’accès internet aussi !), on entend aussi les gens qui travaillent à déconstruire tous les aménagements… On voit même les mecs de Sabaton venus soutenir leur main d’oeuvre et il semble globalement y avoir un air de bonne humeur et de franche camaraderie. Ça fait plaisir de se dire que les gars du groupe ne sont pas les pires connards qui soient – ça aurait pu, on ne sait jamais.

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Hashtag posey.

 

Je me lance donc dans mon premier atelier cartes postales, puis écris un peu pour le Ray’s Day, tandis qu’Hime lit. Nous dormons sans doute un peu aussi, à tour de rôle. Nous nous offrons mutuellement des trèfles avec des feuilles en forme de cœurs, parce que c’est mignon – hé, c’est aujourd’hui qu’on fête nos noces de coton après tout !

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Et un authentique vrai selfie de célébration, parce qu’on le vaut bien. Une fois de plus, soleil de plomb : on ne se plaint pas.

Le temps passe, une heure, deux heures… A 19h, toujours pas de nouvelles de notre hôte, c’est un peu l’inquiétude. En même temps, je me dis qu’il va forcément finir par arriver, mais Hime a faim.

Nous décidons donc de nous mettre en route pour un restaurant quelconque. Problème : la zone de Lugnet est totalement excentrée, et il ne va pas être facile de trouver un restaurant ouvert un dimanche soir. Nous remballons donc nos affaires et nous mettons en route, direction le Scandic Hotel qui, semble-t-il, a un restaurant. Arrivées à l’hôtel, désarroi : le restaurant est fermé, et la personne à la réception n’en connaît pas d’autre susceptible d’être ouvert. Elle nous donne quand même une carte de Falun avant que nous repartions, penaudes. Bon. Nous commençons à nous diriger vers le centre, mais n’avons pas fait cent mètres que je réalise que mon sac m’a joué un vilain tour et que la serviette microfibres qui y était accrochée a disparu. Panique, je reviens sur mes pas, Hime me suit, et nous refaisons le trajet entre l’hôtel et le carré d’herbe où nous étions au pas de course. Soudain, au loin, ma serviette ! Un cycliste qui s’en approche, noooon ! Je cours. J’y tiens, mine de rien. Le cycliste ramasse la serviette regarde et… la relâche comme une malpropre, j’en ai le cœur fendu. Enfin, ma serviette, quoi ! Je la récupère, lui fait un câlin pour la consoler de ce mauvais traitement, et la mets dans un autre sac pour être sûre de ne plus la perdre.

Il est 19h30, fatigue, faim et besoins naturels (TOILETTES) se font pesants. Nous finissons par nous asseoir sur un banc pour grignoter ce qui reste dans notre sac à victuailles (et faire le ménage dans ce qui n’est plus bon, faute d’avoir pu le garder au frais). Finalement, on s’en sort pas si mal, surtout qu’aux alentours de 19h50, enfin, notre hôte se manifeste par un coup de fil : il a quasi fini, se demande où il nous retrouve, et ça fait tellement de bruit derrière lui que je ne comprends pas grand chose. Nous poursuivons par sms quelques minutes après : nous devons le retrouver dans quinze minutes vers le lieu du festival, on se fera emmener chez lui en voiture, et après cela, nous sommes invitées à une fête organisée par le Polish Panzer Batallion – les membres du fanclub polonais qui ont travaillé comme volontaires sur le festival. Fort bien, nous finissons donc de grignoter et nous dirigeons vers le coin prévu. Comme il traîne un peu, nous en profitons pour faire un détour par un coin que nous avons repéré deux jours plus tôt avec notre amie polonaise : un buisson de framboises sauvages. Miam, miam, nous sommes au milieu du dessert quand notre hôte, S., arrive dans une voiture conduite par une jeune dame à l’air particulièrement épuisé. Lui, il semble égal à lui-même : hyper souriant, un peu hyperactif, très avenant et super content de nous voir. Nous montons dans la voiture (dont le coffre est cassé, donc il faut faire passer les bagages par devant : super pratique. Pas à dire, on reste metal jusqu’au bout).

Même pas arrivés chez lui, on a déjà un très bon aperçu du personnage : devant sa porte, soudain, il se frappe le front. Il a réalisé qu’il a prêté ses clefs à un ami pendant qu’il était sur le festival, mais qu’il ne les a pas récupérées. Il tente donc d’appeler l’ami en question, qui ne répond pas, et il finit donc par guider la conductrice jusque chez l’ami. Il tente à nouveau de l’appeler, toujours pas de réponse, mais comme il voit qu’il est chez lui, nous le voyons soudain escalader le mur pour arriver à la fenêtre et récupérer ses clefs.

L’ami était en train de regarder un film, il n’avait pas vu son téléphone. Scène totalement surréaliste – et pourtant tout à fait banale quand on connaît S. Voilà, maintenant, vous avez une bonne idée du bonhomme.

Nous arrivons donc, enfin, au bercail, et pouvons déposer nos affaires. L’endroit est… étrange, pour le moins. S. loue le lieu à quelqu’un qui le loue à quelqu’un d’autre qui… bon, ça n’a pas l’air très clair. C’est une pièce aménagée dans un club de boxe (?) : nous avons donc accès aux douches (communes), aux WC (du club), et à la salle de sport. C’est pour le moins étrange, mais on s’y fait, et puis ce n’est que pour une nuit. Le lieu est désert, S. affirme n’avoir jamais croisé personne et je n’ai pas de mal à le croire.

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Le miroir des toilettes a tout dit : « We’re all mad here. »

Hime et moi nous posons pendant que S. va prendre une douche pour « reprendre forme humaine », parce qu’après une semaine de travail sur le festival, il considère être formé d’autant de crasse que de chair. Nous hésitons pour la fête du Polish Panzer Batallion : Hime se sent trop fatiguée et pas forcément en mesure de soutenir des conversations en anglais toute la nuit. De mon côté, je suis épuisée, mais je me dis que si je n’y vais pas, je vais passer à côté d’une expérience chouette. Je pense y aller.

Pendant la douche de notre hôte, je jette mon dévolu sur sa machine à écrire et commence à taper une nouvelle un peu au débotté, sans trop savoir où je vais.

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La machine à écrire de S., ou le coup de foudre de Falun. (Machine à écriiiire.)

S. revient et se prépare petit à petit, nous en profitons pour discuter. Pendant que nous papotons, j’écris toujours, je commence à avoir une vague idée… Je demande à un moment « Si tu devais fuir de chez toi, quelle serait la seule chose que tu emporterais ? » Il me répond du tac au tac : « Mes journaux intimes. » J’embraie sur cette idée et mon personnage emporte ses journaux intimes.

Le monsieur est un OVNI à la conversation fascinante : metaleux, hippie, il a un point de vue sur les choses qui est assez peu ordinaire et c’est une vraie bouffée d’air frais que de papoter avec lui. Je retrouve beaucoup de mes raisonnements dans ce qu’il dit, en outre, et c’est toujours un plaisir de pouvoir avoir des conversations soutenues sur des sujets peu usuels avec quelqu’un.

Cela achève de me convaincre que je vais aller à cette soirée, et tant pis pour la fatigue. Je me mets un garde-fou pour l’heure, histoire de pouvoir quand même dormir un peu, et nous abandonnons Hime à son triste sort (vu le moelleux du lit, on a vu plus triste) pour nous mettre en route, S. et moi. La fête se passe sur le lieu du festival, nous nous y rendons à pied. Il est pratiquement 22h, il fait nuit, les étoiles sont de sortie, nous papotons de tout et de rien et il a quelques réflexions que je note dans un coin de ma tête pour ne pas les oublier. Au milieu de la conversation, je lève la tête vers le ciel et vois au-dessus du site du festival une sorte de poussière argentée qui bouge… Je me fais la réflexion que tiens, mais en fait non, c’est juste de la poussière, il y avait plein de poussière au festival.

Alors S. lève la tête et me dit : « Tiens, tu as vu ça ? »
Je pointe du doigt, « ça ? »
Alors il se tourne vers moi et avec son air de mec à la fois blasé et jovial à la fois, il me sort un net « Aurora. » (Prononcez le en latin, avec l’accent suédois : « A-ou-ro-ra », r roulés).

Mon monde explose. Mes yeux fixent la poussière qui bouge dans le ciel. Elle brille, c’est vrai. C’est vrai que je me suis demandé. Mais là, comme ça, maintenant… Mon monde explose encore plus. Cela ne dure vraiment pas longtemps : une minute après, le phénomène a disparu. C’est déjà fini. C’était furtif, pas spectaculaire, plutôt intimiste en fait. Une « aurora borealis », « norrsken » comme il me l’apprend ensuite qui m’a quand même totalement secouée. On fait un tel cas des aurores et je savais que j’en verrai une un jour, mais là, comme ça, juste au-dessus du site du festival, juste ce soir, juste…

« Tu as conscience que je suis au bord des larmes et que tu viens de foutre mon monde par terre avec un mot, là ? »

Il acquiesce, goguenard. J’ai envie de lui arracher les yeux. Il est tellement blasé ! Il m’explique que c’est très tôt pour la saison, mais pour lui ça semble tellement banal que ça me rend folle. Je sens bien que ça l’éclate de me voir dans cet état, cela dit. Je ne sais même pas pourquoi ça me met dans cet état, à vrai dire. Entre la conversation d’avant, qui avait remué pas mal de choses, et les restes du festival, et maintenant cet élément de ma bucket list que je peux rayer… D’un coup je commence à aimer tout le monde, Falun, le ciel, moi, lui, Hime, le Polish Panzer Batallion. C’est un de ces moments où on tombe amoureux non d’une personne mais d’une situation, d’un ensemble de facteurs qu’on ne peut séparer. J’ai le cœur léger.

Nous arrivons sur place. C’est drôle de voir le lieu du festival tout déconstruit, comme ça, encore un peu en chantier, de voir ce qui se passe après. S. trouve deux chaises pliantes dans un coin et décide de les ramasser et, cahin-caha, nous nous approchons du bungalow où a lieu la fête. (Bon, en fait, on fera demi-tour pour aller chercher son ami K. trois minutes plus tard, chaises sous le bras, mais au final on y arrive quand même).

Ils sont une dizaine, dans quelque chose comme huit mètres carrés, tous polonais, tous visiblement contents de nous voir. On me colle une bière Sabaton dans les pattes – pas la meilleure que j’aie bue, mais loin d’être la pire, on me demande d’où je viens, qu’est-ce qui m’a pris de venir… Je ne rentre pas dans les détails. Tous sont mus par la même passion : Sabaton. Au point que c’est presque le malaise, parfois, et en même temps c’est mignon. J’observe que les Polonais, contrairement aux Suédois qui boivent pour se mettre mal, savent très bien boire. Après quatre heures à faire la fête, ils sont tous dans le même état qu’initialement, et c’est bien agréable de pouvoir tenir une conversation.

K., très fier, a apporté deux alcools : un au miel, plutôt bon, et un autre au caramel qui me rappelle fortement un médicament… Mais il a l’air, vraiment, tellement fier de lui que c’est difficile de lui signaler que niveau alcool, les Suédois sont quand même pas très doués…

J’ai beaucoup de conversations vraiment intéressantes (et en apprends un peu plus sur les coulisses du festival, ce qui ne manque pas de m’amuser), notamment avec N., qui a été au pair en France et en Suisse et sait donc très bien parler français (et en plus est une groupie de Chris, donc on est sur la même longueur d’ondes).

A un moment de la soirée, celle qui semble être la leader de la bande, M., demande l’attention de tous : elle a ce qu’elle appelle un « sac aux merveilles » : il s’agit de tous les objets que les membres du Panzer Batallion ont donné à faire dédicacer par Sabaton, en remerciement pour leur investissement. Cette année encore, dit-elle, la course à l’objet à dédicacer le plus idiot a été serrée : elle sort donc plusieurs paires de chaussures, une pomme, une canette de bière, un mini miroir, et le grand vainqueur… une brosse à dents. Sabaton n’avait encore jamais dédicacé de brosse à dents.
Puis elle distribue un exemplaire de la setlist du concert de la veille à chacun.

S. trouve ensuite un marqueur et décide de se gribouiller dessus, de se faire gribouiller dessus, de gribouiller sur les autres. Il me prend mon bras et me dit « bouge pas, je sais ce que je vais t’écrire. »

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Bien joué. Je lui avais expliqué ma mission cartes postales et mon Ray’s Day pendant qu’il se préparait. A l’arrière, vous pouvez observer les posters de Sabaton collés à l’envers parce que ce soir c’est « soirée Notabas ». (Il s’avère que Notabas est a priori réellement le nom d’une maison de prod gérée par Sabaton, mais ça, on ne le savait pas.)

K. nous fait ensuite écouter sa parodie de power metal qui contient les paroles « we will kill what must die » et autres « in eternity of infinity ». On sent qu’il a tout compris à l’essence même du genre.

Dehors, ça s’agite. Il s’avère que des « gens du voyage » sont là : ils ont essayé d’approcher le lieu du festival dans la journée mais ont été repoussés par des gardes avec des chiens. Cette nuit, ils sont revenus avec des couteaux. M. l’organisatrice nous déconseille fortement de nous promener seuls du côté du camping, apparemment, c’est très dangereux.

Il est 1h : un Suédois torse nu vient frapper à la porte, un des organisateurs a priori, demandant une réunion extraordinaire. A une heure du matin. Ca a l’air chouette d’être volontaire, dites donc.

K., S. et moi, non concernés, sortons donc et s’ensuit une session de regardage d’étoiles assez peu ordinaires où nous sommes tous plus mauvais les uns que les autres pour reconnaître les constellations. Nous sommes interrompus dans notre déchéance galactique par un autre volontaire qui arrive et demande « Dites, vous ne savez pas si ça intéresserait quelqu’un, une baguette de Sabaton ? »

S. souligne que le Polish Panzer Batallion a sans doute eu bien assez et se moquent sans doute d’une baguette, et se tourne vers moi. Moi, je ne sais pas, je ne cours pas particulièrement pas après. « Bah, si tu ne sais pas quoi en faire… »

En fait, il s’avère que le brave homme cherche à la vendre, sa baguette. Parce qu’il n’aurait plus que trente couronnes pour finir la semaine. Du coup, je refuse : j’explique que je n’achète pas ce genre de choses, qu’il leur faut une histoire. S. tape sur l’épaule de K. et lui dit « Va chercher mon sac. » Je sens venir la connerie, facilement même, parce que je sais exactement ce que j’aurais fait à sa place. Je ne sais pas trop quoi faire. Là, c’est un stade où je ne peux pas dire « non mais j’en veux pas ». Surtout que S., ça lui fait méga plaisir. K. revient avec le sac, et S. demande à l’autre : « tu as besoin de combien pour finir la semaine ? » L’autre balbutie. Finalement, S. lui met cinq cents (500 !!!) couronnes dans la main et l’autre lui donne la baguette. Puis S. se tourne vers moi et me la donne en me disant : « Tiens. Oublie cette partie, là… » (Il montre l’autre) « …je l’ai attrapée pendant le concert, j’ai du me battre contre trente personnes pour l’avoir, c’était épique. »

Je l’engueule. « T’es fou ! Il est hors de question de la déposséder de son histoire, maintenant, pas après ce que t’as fait. »

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La fameuse. 500  couronnes, bon sang. C’est cinquante euros. Folie.

Le Suédois qui avait demandé la réunion extraordinaire ressort du bungalow. En caleçon, par trois degrés dehors – c’est normal, en Suède. Ou alors c’est normal, c’est metal. Je ne sais plus trop. Moi, je suis tellement heureuse d’avoir trouvé, pour la première fois en dehors de ma famille, quelqu’un capable de penser de la manière de S. Mais j’aurais du mal à lui faire comprendre. Alors je me contente de lui dire « Tu sais, tu me fais penser à un livre… il faut absolument que tu le lises, ça va te plaire, vraiment. » Et je lui sors le livre que j’ai déjà conseillé à au moins trente personnes (LISEZ LE) : The Art of Asking, d’Amanda Palmer.

Il me regarde bizarrement puis me dit : « Mais… la chanteuse des Dresden Dolls ? J’ADORE cette femme ! »

Il connaît toutes les Dresden Dolls par coeur, il est aussi fan de Neil Gaiman, il a l’audiobook de The Art of Asking et doit l’écouter. Nous rentrons dans le bungalow en chantant ma chanson préférée des Dresden Dolls, Girl Anachronism, à tue-tête sous le regard des autres qui se demandent un peu ce qui se passe. J’ai l’impression d’avoir rencontré mon alter-ego au masculin et croyez-moi, ça fait bizarre. A l’intérieur, ils écoutent Gravenimage de Sonata Arctica, et vue mon histoire avec cette chanson, je commence à avoir mon lot de coïncidences qui me mettent à l’envers pour la journée.

Quelques conversations plus tard (et une partie de morpion sur les lignes que forme le tatouage sur son bras), il est 2h30 et largement le temps d’aller dormir. Il acquiesce : il va me raccompagner, et reviendra ensuite. Il ne rentrera pas, nous le retrouverons demain, peut être pour manger avec lui.

Sur le trajet du retour, S. me dresse un portrait de moi-même qui me cloue. En cinq heures, le mec a compris tout mon fonctionnement. Mon trop grand attachement aux choses (lui semble plus détaché…encore que, vu le personnage, je commence à me dire qu’en vérité, il l’est autant que moi mais le cache mieux), ma suranalyse de tout, qu’il a aussi en fait (« Une fois qu’on a la tête hors de l’eau, c’est difficile de replonger. De recommencer à s’aveugler comme les autres. »), mes inquiétudes liées au besoin d’avoir un chez-moi (il cite d’ailleurs un « philosophe », à ses dires : « La maison, c’est l’endroit où on s’assoit. Là je m’assois, je suis chez moi. » A priori, c’est une citation de Pumbaa…), et ma créativité.

Ca renforce mon impression d’alter-ego masculin et me déstabilise totalement, mais je suis hyper heureuse.

Je le laisse à la porte de chez lui, lui souhaite bonne-nuit-rendez-vous-demain, et vais retrouver Hime pour lui raconter toute la soirée. A mesure que je lui parle, je trouve une fin à ma nouvelle, qui me permet de recouper tout ce dont nous avons parlé ce soir. Nous parlons aussi des tatouages d’S., et nous en venons à nous demander si nous, peut-être, on ne tenterait pas… L’idée se noie dans les brumes du sommeil.

Au plafond, S. a collé des étoiles phosphorescentes. J’apprécie la touche onirique juste-ce-qu’il-faut et m’endors comme une masse, dans un vrai lit, pour la première fois depuis trop longtemps, la tête pleine de mots, d’étoiles, de poussière argentée qui bouge dans le ciel, de musique.

Une fois de plus, la journée a été longue, et c’est notre dernière nuit à Falun.

Quelle nuit, bon sang.

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