Ma twithérapie

Ça fait un moment que je me dis que j’ai envie de traiter ce sujet. Ça me rend un peu nerveuse, parce que ça veut dire que je vais encore plus m’ouvrir à vous que je le fais d’habitude, mais j’ai souvent des questions liées à ma relation à Twitter un peu bizarre. Elle n’est pas exceptionnelle, parce qu’on est plein à en avoir une utilisation de ce type, mais quand j’en parle, les gens sont surpris, surtout sur le fait que j’ai bien peu de mal à m’ouvrir totalement et à me confier à la masse.
Alors voilà. Aujourd’hui, je réponds aux questions et je vous explique ma twithérapie.

Je rappelle que ce n’est que ma manière à moi de voir les choses et que je n’exhorte personne à faire comme moi. Je ne donne ni leçon, ni stratégie, je ne garantis pas que ça marche à tous les coups, je ne sais même pas pour combien de temps encore ça va fonctionner pour moi. Ce n’est qu’un témoignage de mon utilisation.

Si vous êtes là, vous avez sans doute compris que je me plains beaucoup. Sur Twitter, il y a ceux qui me suivent pour ça, ceux qui arrivent pour autre chose mais restent pour ça, et ceux qui arrivent sans savoir et prennent vite la fuite. Je parle de moi surtout, de manière un peu large, un peu floue, mes passions, mes projets, mon quotidien, mes états d’âme.

C’est le propre des réseaux sociaux, paraît-il, d’exposer sa personne sur l’internet. J’ai fait ça sur Facebook, à une époque, à la mode des adolescents : en postant d’authentiques statuts cryptiques destinés à culpabiliser celui qui avait brisé mon cœur, à faire des déclarations indirectes, ou que sais-je. (J’ai arrêté depuis, privilégiant Facebook pour la transmission d’informations et la communication directe avec des amis. Autrement dit, je ne m’en sers plus des masses.)
Pas exactement réseau social mais pas loin, je suis également passée par des chaînes de sms, de mails, parfois de googlegroups d’amis (tous furent source d’un soutien inconditionnel, et je considère avoir une chance phénoménale pour ça. Merci.)

Quand j’ai rejoint Twitter en 2011, c’était loin de ce genre de considération. J’avais lu que beaucoup de choses liées au NaNoWriMo se passaient sur Twitter, j’ai voulu voir, me suis inscrite, et soyons honnêtes : je n’ai rien compris à son fonctionnement. J’ai posté une dizaine de tweets, me suis fait envahir, ai abandonné.

J’ai repris un peu en 2012, surtout en mode « flux d’informations », à suivre des comptes plus ou moins importants, et passer des heures à lire des articles passionnants. J’ai souvenir d’avoir tiré énormément de matériel de cours des tweets que je faisais défiler lors de ma veille, tous les matins. Je suivais littérature, jeux vidéo, numérique, sciences dures et sciences sociales. Je suivais aussi la vie de certains comme une fan suivrait un feuilleton, cherchant tous les matins les tweets de la veille, tentant de comprendre les non-dits, deviner ce qui se passait. Finalement, c’était au moins aussi bien que de la fiction. Ces personnages étaient loin, avaient une vie formidable, j’adorais lire leurs aventures.

Et puis petit à petit, à force de lire, j’ai commencé à me prendre au jeu du tweet, à penser en 140 caractères et tenter de raconter des choses à la manière de ceux que je lisais. Je tweetais en anglais, en français, décousu, je tentais de communiquer avec certaines personnes, de réagir à certains articles. Je me fis quelques contacts à ce moment-là, pas beaucoup, auxquels s’ajoutèrent quelques personnes que je connaissais IRL. Je n’avais pas grand-chose à partager, peu de gens participaient, mais l’échange était sympa quand il y en avait un.

Fin 2013, 2014, les choses se compliquent. Pas facile de tweeter quand un pervers narcissique est constamment à regarder par-dessus votre épaule, à vous demander qui sont tous ces gens à qui vous parlez sur Twitter, d’où ils sortent, à vous signifier que ça ne lui plaît pas, à se moquer de vous dès que vous tweetez quelque chose. Je fais quelques rencontres, pas beaucoup. Je ne tweete presque plus.
Des problèmes constants de téléphone s’ajoutent à cette tension. Je m’éloigne de Twitter. Après tout, ça ne sert à rien, c’est juste un réseau social débile, et puis les articles ne sont même plus intéressants, les gens non plus, et ça me fait mal de voir Narcisse faire le coq sur Twitter. Boarf, pas grave. Ce n’est pas important, Twitter. Je joue les petites amies modèles sur Facebook, et ça lui convient.

2014, fin de relation, enfin. C’est terrible, la fin d’une relation : ça laisse vide de l’intérieur… ou plutôt, trop plein, de toutes ces petites phrases, ces observations, ces remarques qu’on n’envoyait qu’à une personne.
Rompre avec quelqu’un, c’est perdre l’interlocuteur privilégié. Celui à qui on envoyait des messages débiles, les pensées profondes du matin dans les transports, les articles intéressants qu’on avait envie de partager. Ca coupe les débats qu’on avait envie d’avoir. C’est se retrouver seul avec soi-même.
Et c’est pas toujours simple, le dialogue avec soi-même. Souvent, c’est même conflictuel.

A ce moment-là, plusieurs possibilités : soit on canalise tout (certaines personnes retiennent très bien, je les admire), soit on s’exprime à base de lettre/mail non envoyé, soit on fait un maxi-report affectif sur quelqu’un (souvent un amoureux potentiel, pauvre bougre qui se retrouve floodé de messages…), soit on s’épanche sur ses amis tant qu’on peut… Ou alors tout à la fois.

J’ai usé de toutes ces méthodes lors de mes précédentes ruptures ; aucune ne m’a vraiment tirée d’affaire. Au contraire, il est souvent arrivé qu’elles me précipitent vers un autre désastre.

Alors cette fois-là, j’en ai eu marre. Avec tout ce qui s’était passé, il était hors de question que je recommence à me servir de quelqu’un comme d’une bouée pour ne pas couler, quand bien même mes amis se montraient très présents, volontaires pour m’épauler (merci à eux, encore et toujours. J’ai conscience de la chance que j’ai.)

Je n’allais compter que sur moi, et sur les psys qui m’encadraient dans le foyer que je venais d’intégrer. Ma rage et ma colère, mon malaise et ma maladie, ma haine de moi-même, c’était à moi de m’en sortir et à moi seule.

Peu de temps après, j’ai rencontré Handsbruised. Elle avait une utilisation de Twitter qui me fascinait. Rapide, spontané, ouvert. Elle rencontrait des vrais gens du Twitter, même, des fois. Moi, je n’avais jamais essayé, mais la voir faire m’a donné envie de retenter le coup — ne serait-ce que pour la citer de temps en temps. Après tout, pas de Narcisse pour juger de mon utilisation, cette fois-ci.

Alors j’ai commencé à me servir de Twitter de la même manière que j’avais tenu un blog quelques années plus tôt : pour évacuer dans un espace où, de toute façon, très peu de gens passaient. Mon blog, après tout, avait été lu par trois personnes.
Quand j’ai décidé de faire cette utilisation de Twitter, je devais avoir une petite cinquantaine de followers, au moins un tiers inactif : mes posts étaient une goutte d’eau dans la mer, vite disparus, peu remarqués. J’ai souvenir d’avoir beaucoup tweeté dans le vide, et c’était ce qui m’allait. Twitter devenait un support à mes exercices de stream of consciousness. De temps en temps, j’y postais des bêtises. Je continuais à parler du NaNoWriMo, régulièrement.

Et puis un jour, j’ai fait une crise d’angoisse, mais je n’ai pas eu envie de m’enfermer dans ma tête.

J’ai décidé de livetweeter ma crise, avec le hashtag stupide #LTCrise. C’était complètement absurde, mais après tout, si je m’efforçais de mettre un mot sur chaque chose que je ressentais au moment-même où je la ressentais, je parviendrais plus facilement à canaliser la crise, à mieux la vivre. Et puis je ne faisais pas de crise d’angoisse devant ma psy, et je n’arrivais jamais à lui expliquer ce qui se passait alors en moi. Ça me ferait du matériel pour la prochaine séance.

Paniquée, nauséeuse, en larmes, je me suis lancée. Et ce jour-là, il s’est passé quelque chose d’extraordinaire : on m’a répondu.

C’était la première fois qu’on répondait à un de mes tweets de ce genre, lié à ce que je vivais, en pleine crise.

S’en est ensuivi un (très très très) long échange, qui a réussi à me faire sortir de ma crise, et qui m’a décidée que parler avec des gens était mille fois préférable à rester enfermée dans ma tête.

Alors j’ai continué, et je continue toujours. Qu’importe si on me répond ou non : je tweete mes pensées, mes réflexions, mes avancées. D’un côté, c’est un journal de bord, des archives que je conserve et que, quelque part, j’aurais aimé commencer plus tôt. De l’autre, c’est un moyen d’échange et de rencontre, un enrichissement permanent. J’avais beaucoup lu et pris l’habitude de répondre aux autres avant de m’exprimer. J’étais toujours prête à débattre ou apprendre, en m’appuyant sur mes expériences, celles des autres.

Mon compte Twitter est un peu le flux RSS de ma tête, finalement. Il contient les choses qui m’intéressent, les choses qui me questionnent, les choses que j’observe, les projets qui me passionnent. Il me permet de canaliser et concentrer tout ça à des moments où je pars un peu dans tous les sens.

Je me livre autant que je peux. Qu’importe qui lit, je suis une anonyme dans la foule. Je fais facilement confiance, on me l’a souvent reproché (« On ne vit pas dans un monde de Bisounours ! »). Mais si ce que je vis peux servir à quelqu’un, en plus de me permettre de m’exprimer, c’est bonus. Cette confiance est une des choses qui me caractérise le plus. Je n’ai pas envie de l’abandonner sous prétexte que ça ne se fait pas socialement.

Bien sûr, j’ai eu des moments de doute, de flottement. Certains me suivent pour les jeux vidéo, n’ont pas envie d’entendre parler de mes états d’âme. D’autres me suivent pour la psychologie et une leçon étendue de linguistique ne les intéresse pas forcément. J’ai hésité à me censurer plus d’une fois.

Plus d’une fois, on m’a demandé « Pourquoi tu ne fais pas un compte privé ? ».
J’ai hésité, j’avoue, mais ça ne me convenait pas. Je savais bien que je ne pourrais pas mener deux comptes de front. Et puis en fait, finalement, pourquoi me censurer ?
Je n’ai jamais promis de ligne éditoriale sur mon compte. Les gens étaient libres de venir et de repartir. Je ne les retenais pas.
J’ai fini par réaliser que la course au follow me mettait mal à l’aise. C’était stupide. C’est vrai, c’est indéniable, il y a un petit battement de cœur, un petit vertige à chaque passage de centaine.

Mais je suis juste une crieuse publique sur une place bondée. Certains restent pour m’écouter, certains partent et reviennent plus tard, certains passent sans s’arrêter. Certains augmentent même le volume de la musique dans leurs écouteurs pour ne pas m’entendre.
Et peu m’importe : finalement, moi, je ne suis pas là pour rassembler une foule. Dans un premier temps, je suis là pour écouter, et pour parler.

Si je suis sur Twitter, si je crie au milieu de cette place bondée, c’est pour la même raison que ce qui me pousse à tenir ces blogs : mettre des mots sur les choses. Les choses qui me concernent moi, donc je ne vais pas les adapter à ceux qui passent. C’est anti-commercial, et ça tombe bien, parce que c’est de moi qu’on parle, et devenir un produit me dérange.

Si je veux me faire un compte professionnel, avec des tweets pesés, réfléchis, analysés, j’en ferai peut-être un. En attendant, j’agis sur Twitter comme j’agissais avant dans la vraie vie : je donne. Je réponds à ceux à qui je peux répondre, et surtout, je donne ce que je vis, ce que je vois, ce que j’apprends et faites-en ce que vous en voulez.
Au fond, ce n’est qu’une question de confiance. Parce que j’ai appris que c’est en donnant aux gens qu’on reçoit. Et ça marche. C’est un vrai échange, honnête, où on ne profite pas des autres. Les gens prennent ce qu’ils veulent, laissent ce qui est en trop. Ceux qui me suivent le font parce qu’il y a des choses à prendre, ou à donner selon eux. Il en va de même pour moi.

Je ne redoute plus les ruptures : Twitter est devenu mon interlocuteur privilégié. Il me permet de ne plus me reposer sur une seule personne. Je lance, on lit, on ne lit pas, peu importe : c’est envoyé. L’esprit de ruche fait que si quelqu’un reçoit, réagit, ce n’est pas toujours la même personne. C’est un équilibre magique, quand on est autant : je sais que je ne vois pas tous les messages, ou que je n’ai pas toujours la force d’offrir du positif à qui en a besoin ; mais d’autres peuvent voir ces messages, gérer une crise. De la même manière que vous ne voyez pas tous mes messages ou n’êtes pas forcément en état de répondre, mais vous pouvez vous assurer que la crise a quand même bien été gérée.
Je ne pèse plus sur les épaules de mes proches. Je traite ma dépendance affective en apprenant à aller vers plusieurs personnes plutôt que toujours la même.

Twitter est un réceptacle pour les pensées de moi à moi. J’ai pris cette habitude quand vous étiez très peu, et si vous êtes restés, c’est que ça ne vous dérange pas, donc je continue. Quand je tweete lors d’une crise, c’est d’abord pour moi, pour canaliser mes émotions, mettre des mots dessus, garder une trace de tout ça. Je pourrais me jeter sur un clavier, ouvrir un traitement de texte. Mais l’immédiateté de Twitter est parfaite pour cela.
Bonus indéniable : mes amis peuvent suivre mes évolutions, tout comme les membres de ma famille, voir comment je vais, suivre mon cheminement sans que j’aie à leur faire un rapport complet tous les jours. Ça les a beaucoup rassurés, car je suis très mauvaise pour donner de mes nouvelles.

De votre côté, je me dis que, peut-être, certains d’entre vous lisent mes tweets comme moi je lisais ceux des autres il y a quelques années : comme un feuilleton, une série dans laquelle je serais un personnage. Je ne peux qu’approuver une telle vision de mon fil. Etre un personnage ne me vexe pas, au contraire. Je me suis toujours considérée comme personnage du roman de ma propre vie, même si je n’ai réussi à en devenir le personnage principal que récemment.

Alors voilà ma Twithérapie : dire tout ce que je veux en me censurant le moins possible, partager avec les gens ce que j’ai besoin de partager, apprendre toujours plus en vous lisant, faire avancer ma réflexion en mettant des mots sur les choses. Évoluer, sans peser sur mon entourage.
La démarche était plutôt égoïste en premier lieu. Mais les choses ont évolué. J’ai fait des expériences, lancé des projets. Vous êtes arrivés, les uns après les autres. Et vous me répondez. Et quand vous me contactez, j’essaie, à mon tour, toujours de vous répondre, de vous aider, de vous soutenir. Chacun fait sa part dans la mesure de ses possibilités.
Je suis systématiquement abasourdie quand, après une crise conduisant à un gros flood, au lieu d’avoir cinquante désabonnés, j’ai cinquante messages. De plus en plus de gens viennent me voir, pour me dire qu’ils comprennent, qu’ils vivent la même chose. Ils me donnent des clefs pour m’apaiser, je leur donne les astuces que j’ai trouvées. D’autres viennent me poser des questions sur mon vécu. L’échange existe. Nous apprenons tous mutuellement.

Et même si vous êtes plus de six cents maintenant (disons environ trois cents si on enlève bots et comptes inactifs), je continuerai à me livrer en vous faisant aveuglément confiance sans même vous connaître pour la plupart. Mon fil Twitter vous dit toute ma vie, vous avez sans doute l’impression de bien me connaître, moi au fond je ne sais pas grand chose de vous. Dit comme ça, c’est romantique… mais je ne demande qu’à vous connaître aussi, en fait.

Alors j’espère qu’on va pouvoir continuer à échanger.

En tout cas, du plus profond de mon cœur : merci à tous d’être là. De me répondre. De littéralement flooder mes notifications parfois. Avec un tel nombre de personnes autour de mes tweets égocentrés, je n’en reviens pas de la chance que j’ai de n’avoir jamais eu aucun problème. Pourvu que ça dure. Et surtout merci pour votre bienveillance et votre patience.
Du mieux que je pourrai, je continuerai à donner. En fait, c’est même une certitude.
Tant que je reste en vie, tant que ça ne me met pas en danger, je n’arrêterai jamais de donner.

Published byLia

Hobbite berserk à la plume acérée, aubergiste itinérante, éleveuse de peluches, geekàlunettes, mélomane, linguisticomane et psychocentrée : tant de centres d'intérêts, si peu de temps.

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