#TinkyStories : Paradis artificiel(s)

« Un peu de lait dans votre thé, mademoiselle ? »

Pas loin d’elle, un groupe de jeunes rit. Elle l’entend loin, très loin, comme dans un autre monde. Elle n’y prête pas attention : ça ne la concerne pas.

Face à elle, il la regarde avec un sourire bienveillant. Son chevalier servant, son idole, son chapelier, son ami. Elle a un soupir bienheureux.

Son voisin baisse son journal, lui jette un regard en biais, puis tourne rapidement la tête. On ne dévisage pas ces gens-là.

Cela fait longtemps qu’elle l’a rencontré : dans un livre. Au premier coup d’œil, elle avait su qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Il ne l’avait plus quittée. A chaque étape de sa vie, il était là, il lui tenait la main alors que les autres l’avaient tous abandonnée.

Le bruit de la vaisselle qui s’entrechoque se mêle au grondement du métro. Il y a l’autre monde, à côté, qui cherche à la rappeler, elle le sait. Mais dans ces quelques instants de liberté qu’on lui octroie, temps de latence entre deux obligations à sa pleine présence, elle s’autorise l’évasion.

Elle tend la main, caresse la joue de celui face à elle. Les autres la voient bouger et s’écartent. Elle a perdu la raison, elle agit comme si elle était ailleurs. Une malade de plus. Elle s’en fiche : elle n’a d’yeux que pour lui.

Il remplit les deux tasses. Il est magnifique. Il s’occupe d’elle et c’est le seul. Elle pourra toujours compter sur lui. Il sera toujours là. Tant pis si les autres ne le voient pas.

C’est son pays des merveilles à elle. Son havre de paix d’où personne ne pourra la tirer. C’est ce qui l’aide à tenir.
Les autres passagers la disent folle, mais qu’importe : elle s’y raccroche.

Autour d’elle, les grondements du métro, les rires des gens, les regards qui se détournent.

Mais son sourire à elle est sans équivoque.
Ce n’est pas parce que ça n’existe pas que ça n’est qu’une illusion. Elle, elle sait que c’est vrai, au fond d’elle. Puisque ça l’aide à vivre.

« Oui, je veux bien du lait, s’il vous plait. »

Le sourire d’une folle, face à tous ceux qui se prétendent sains d’esprit, mais ont oublié ce qu’être heureux veut dire.