#TinkyStories : Mascarade

Bal masqué à la Haute Cour. Ils l’appellent le Bal de la Gaîté, et tous les plus importants du pays sont conviés.
Les Grands le sont encore plus, rehaussés par des talonnettes dernier cri qui donnent l’illusion qu’ils écrasent les autres invités.
Les Riches on sorti leurs apparats les plus tape-à-l’œil pour que personne n’oublie qu’ils sont là et qu’ils sont différents.
Les Aspirants, plus discrets, scrutent leurs supérieurs, apprennent à leur contact, se préparant à être un jour à leur tour le point de fuite sur lequel tous les regards se posent.

La Haute Cour fait autant de bruit que la basse, mais pas d’œillades réprobatrices quand il s’agit de ceux qui ont le pouvoir.
Pourtant, les serviteurs qui passent dans les rangs, ombres masquées par les paillettes, n’en pensent pas moins, et se contentent de regarder la débauche, impuissants.

Parmi eux, Marat, plateau à la main, observe. Ils tournoient, ils rient, ils ont fermé leurs rideaux sur le reste du monde.
Son tablier est taché de la graisse qu’ils engloutissent en quantité indécente, ne laissant que peu aux petites mains qui font tout pour eux.

Marat soupire tout bas quand un énième costume-et-masque s’approche, saisit un petit four, lui fait un sourire qu’il veut ravageur, lance un commentaire déplacé sur sa poitrine, avant de repartir au bras d’une robe-bouffante-et-masque. Ils les aiment, leurs costumes, leurs masques. Marat sait à quel point ils les aiment. Elle devrait peut-être s’en offusquer, comme les autres, et les maudire tout bas pour les maltraitances, pour les regards hautains, pour les ordres donnés sur un ton sec et méprisant…

Mais Marat n’en a cure : au mépris elle répond par le mépris. Plateau dans une main, elle passe l’autre sur sa joue, pour se rappeler. Ses mains sont peut-être calleuses d’avoir trop travaillé, mais sa peau est douce là où leurs visages ne sont faits que d’un plastique figé. Si fiers de leurs masques, ils n’osent plus les enlever. Pourtant, la tradition veut qu’ils tombent lorsque les douze coups sonnent.

Ils appellent ce bal le Bal de la Gaîté mais Marat a décidé de le renommer le Bal de la Vérité. Elle a tout prévu, elle a hâte que minuit arrive. Cela fait des semaines qu’elle prépare tout, qu’elle réunit ses ingrédients, qu’elle psalmodie incantation sur incantation dans sa chambre sous les toits à la tombée de la nuit.
Il est grand temps que ces Importants cessent de se voiler la face. Qu’ils sachent qui ils sont vraiment.

Enfin, le premier coup sonne, et Marat étouffe un rire. Alors que les serviteurs baissent la lumière dans la salle, elle pose discrètement son plateau et va se mettre à côté des fenêtres. Elle récite ce sort qu’elle prévoit depuis longtemps, en tirant le filin doré qui maintient les rideaux fermés.

Sixième coup, septième coup. Les rayons de la lune percent à travers la vitre, se reflètent sur le plastique des masques qui s’effritent petit à petit, tandis que l’horloge égrène l’heure.

Dix, onze… Les couples de danseurs se rapprochent, ravis de pouvoir découvrir enfin qui est leur partenaire… un cri retentit. Une servante hurle, prend la fuite. Les autres ne tardent pas à la suivre.
Marat se contente d’afficher un sourire carnassier. Elle ne craint rien, ils ne peuvent rien lui faire. Elle admire son oeuvre.

Aux douze coups de minuit, enfin les masques tombent, révélant l’atroce vérité. Peut-être que les Importants auraient hurlé, eux aussi, s’ils avaient encore eu des yeux pour voir, des bouches pour crier.
Mais ils ont tant soigné leurs masques qu’une fois enlevés, il n’y a plus rien en dessous.

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Je ne pourrai pas assister au stream de ce soir, je fais partie de ces gens qui ont la joie (-_-) de bosser certains soirs, mais je vous souhaite quand même un bon stream à tous, et merci à toi pour l’organisation de tout ça. Bonne lecture, keep on creating! <3