La Divine acédie

C’est désormais bien connu : au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Puis Il dit « Que la lumière soit ! » et la lumière fut, séparée des ténèbres. Dieu vit que cela était bon, il alla donc se coucher : il y eut un soir, il y eut un matin, premier jour, et Dieu reprit le boulot. 

Après avoir admiré Son oeuvre de la veille, Dieu jugea que tout cela était quand même un peu morose et décida d’ajouter quelques éléments : Il imagina donc un paysage à Sa lumière et créa la mer par opposition à la terre qu’Il avait au départ. Satisfait de son travail, Il s’octroya une nouvelle nuit de sommeil. Il y eut un soir, il y eut un matin, deuxième jour, et Dieu se remit au travail.

 A son réveil, constatant qu’Il commençait à suivre un schéma dichotomique beaucoup trop ennuyeux, Dieu décida d’ajouter un peu de verdure en guise de nouvelle entité. Il créa les arbres et les plantes, apprécia les paysages, jugea avoir assez bossé et retourna dormir. Il y eut un soir, il y eut un matin, troisième jour.

Dieu faillit bien rater son réveil ce jour-là et se dit qu’Il avait dû louper quelque chose. Il revint donc brièvement à Son système dichotomique et créa le soleil, pour pouvoir se réveiller à sa lumière le lendemain, et la lune en réponse directe au premier, histoire quand même d’avoir un peu de repères. Il aurait pu se contenter de créer le réveil-matin, mais l’idée lui avait paru sur le coup bien trop cruelle, même pour un Dieu tout-puissant : d’autres créatures seraient sûrement beaucoup plus douées pour mettre au monde pareil instrument de torture. D’ailleurs, cela Lui donna une idée pour le lendemain : Il commença à se préparer une liste de choses à faire, Son projet prenant de l’envergure, et retourna pioncer. Planifier, ça fatigue. On commence à connaître la chanson : un soir, un matin, quatrième jour.

Ce matin-là Dieu se réveilla aux aurores, de bon poil, et se mit direct à la tâche, car Il avait beaucoup à faire. Il commença donc à créer les êtres vivants. Sur Sa liste, Il avait défini les endroits où Il allait les placer, et Il décida de commencer par la catégorie la plus longue, histoire de pouvoir la rayer vite, sinon Il savait qu’Il n’allait pas S’en sortir. Il créa donc les créatures des mers. Comme il Lui restait un peu de temps, Il s’attela à la catégorie la plus courte, histoire d’avoir le temps de la finir avant le coucher du soleil, et créa les créatures des airs. Mais Dieu n’avait pas encore inventé l’aérodynamisme, et si certaines créatures furent immédiatement concluantes, d’autres semblaient tomber comme des poids. Dieu les relégua à la troisième catégorie et Se dit qu’Il verrait ça le lendemain, que là Il en avait assez fait et qu’Il était fatigué. Il observa un peu tout ce beau monde en Se faisant quelques notes mentales pour Sa tâche du lendemain, puis S’en fut dormir. Comme d’habitude : un soir, un matin, cinquième jour.

 Cette fois encore, Dieu ne rechigna pas à se lever. Il devait rayer la troisième catégorie de Sa liste pour pouvoir profiter du sentiment d’achèvement serein qu’Il avait pu apprécier les premiers jours, mais qui commençait déjà à Lui manquer. Il créa donc les créatures terrestres, auxquelles Il ajouta la catégorie des créatures-aériennes-qui-semblaient-ne-pas-vouloir-rester-dans-les-airs, en les adaptant un peu histoire qu’on ne voit pas trop Sa bévue. Il insuffla à tout ce beau monde quelques graines de connaissances, mais pas trop, juste ce qu’il fallait histoire de rester en vie. Il observa une fois de plus Son oeuvre, S’auto-congratulant pour Ses talents d’artisan. Il resta ainsi une bonne partie de la journée, corrigeant deux trois points, ajoutant un ou deux éléments pour faire joli, commit quelques erreurs d’inattention notamment en renversant Son pot de couleur marron sur une girafe, et Se rendit compte qu’il n’avait plus de noir au moment de colorier la fin du zèbre. Bon. Il plaça cela sur le compte d’une esthétique atypique qui s’auto-expliquerait, créant involontairement au passage les prémices de l’art contemporain. Cela Lui donna une idée stupide, une vraie blague de divinité, et Il décida d’installer au milieu de toutes ces créatures un être qui Lui ressemblerait physiquement et qui, à défaut de pouvoir créer comme Il le faisait, chercherait à tout prix à expliquer les choses et à créer à son tour. Il appela cette créature Homme, S’amusa à observer ce mini-Lui tâtonner dans son nouvel élément, rit gentiment de sa bêtise et Se promit d’avoir une conversation avec lui à l’occasion. Il S’apprêtait à retourner dormir après cette journée bien remplie, lorsqu’Il S’aperçut d’un dysfonctionnement du côté des créatures-aériennes-terrestres : l’une d’elle semblait ne pas avoir bien compris le principe de réflexe de survie, et se fit emporter par une vague un peu trop forte. Bah, pas grave, il y en avait plein d’autres, Il aurait le temps de corriger ça le lendemain. Il se coucha : un soir, un matin, sixième jour.

 Le septième jour, Dieu décida finalement qu’Il en avait assez fait, et prit Sa journée, Se disant de fait que le sort de la bestiole aérienne-qui-ne-pouvait-pas-voler-mais-qui-n’était-pas-adaptée-à-la-vie-terrestre-ni-la-vie-maritime pourrait encore attendre un peu. Il était trop fatigué pour réfléchir à une solution appropriée, et Il préféra passer la journée à Se gausser en observant tout Son beau monde évoluer. Il y eut un soir, un matin, et Dieu arrêta de compter les jours. Il allait laisser le soin à l’Homme de s’en occuper, désormais : cette créature-là semblait bien assez dégourdie pour qu’on lui délègue quelques tâches.

 Il y eut ainsi des soirs et des matins à foison et les créations divines évoluèrent un peu chacune de leur côté. Dieu s’aperçut qu’Il avait fait quelques âneries et corrigea, ici et là, quelques points : Il décida de disperser la terre au milieu de la mer pour des raisons esthétiques évidentes, combina quelques créatures qui allaient bien ensemble (encore que, maintenant qu’Il y réfléchissait, Il avait peut-être eu la main un peu lourde avec l’ornythorinque), et fila une rouste à l’Homme qui avait refusé de L’écouter, le sacripant. Et puis, un jour, au milieu de toute cette faune et cette flore foisonnante, Il aperçut un bout de la créature inadaptée. Mince alors ! Il l’avait totalement oubliée, celle-là. Sous Ses yeux, la bestiole salua un prédateur qui s’approchait d’un « Plock plock » caractéristique qui signifiait sans doute « Salut, tu veux être mon ami ? ». Mais l’animal en face n’eut pas l’air sensible à son offre de fraternité et lui sauta dessus pour la manger sans plus de cérémonie. Ainsi, Dieu put observer la disparition du dernier dodo. (Il apprit leur nom après coup : l’Homme avait apporté tout un tas de terminologies intéressantes à Sa création et, plutôt que de S’embêter à en créer une autre, Il avait décidé de suivre celle-ci.)

Un peu honteux de cette gaffe, Dieu tenta de recréer la bestiole avec un aérodynamisme un peu mieux étudié, mais ne put obtenir un résultat aussi duveteux, aussi dodu, ni aussi sympathique à l’oeil. Il tenta de lui donner un ton comique, et de disperser l’animal le plus possible pour qu’il reste en vie, cette fois-ci.

 Il y eut à nouveau des soirs et des matins, et un jour que Dieu observait un de ces simili-dodo (qui avaient été renommés « pigeon », l’Homme seul sait pourquoi) redécorer le toit d’une église avec ses confrères, Il repensa alors avec un soupçon de remords à ce jour où Il avait décidé qu’Il était trop fatigué pour corriger l’erreur faite avec le dodo, avant de Se désintéresser de son sort car le reste des créatures était bien plus amusant.

 Ce jour-là, Dieu avait créé la procrastination.

 Depuis, chaque jour, partout dans Sa création, des étudiants Le maudissent.