Le Messager du frêne
25 mars 2015Le soleil se lève sur la montagne ; un soleil rouge, qui emplit l’air de sa couleur et de son souffle chaud. Il s’élève au-dessus d’un monde gris et gelé et semble lui redonner vie, petit à petit, à mesure que ses rayons atteignent la terre. La neige d’un gris morose s’éveille et reprend des tons bleutés, brillants, étincelant comme des diamants. Les grands pins encore touffus quittent leur robe terne et verdissent à vue d’oeil, semblent se redresser pour mieux accueillir les rayons de vie, et même les rochers semblent plus clairs et plus vibrants de couleurs.
La montagne s’éveille sous le soleil. Le vent souffle doucement, balayant les flocons en fins tourbillons qui viennent se déposer ça et là sur les différents obstacles qu’ils rencontrent. Pour le moment, pas encore de bruit : les animaux même ne montent pas jusqu’ici. Bientôt, les battements d’ailes des oiseaux secoueront l’air, pour compléter le tableau de la nature qui s’éveille.
Et puis il y a rupture. Soudain, incongrue, une petite tache grise dans l’étendue blanche, qui sautille ça et là, guillerette, un peu errante, un peu perdue. Poils d’argent et queue touffue, l’écureuil remue du nez en baladant dans la neige. Le sol est froid sous ses pattes. Il disparaît presque, enseveli sous la masse blanche et gelée mais il tient bon, et continue de monter. Il ne perd pas de vue son but.
Elle est froide, la neige, et il n’a qu’à peine assez de sa fourrure. Si ça ne tenait qu’à lui, il serait en train de se terrer dans une tanière confortable, perchée en hauteur, avec tous ses vivres pour ce long hiver. Mais non. Cela ne devait pas se passer comme ça.
Il sautille, le plus vite possible pour ne pas se faire engouffrer par la neige, pour ne pas rester figé et ne plus jamais repartir. Et il pense, cet écureuil.
Il pense à en bas. Il pense à sa vallée, où l’herbe est verte et où ses arbres ont perdu leurs feuilles. Il repense à la rivière en contrebas, son bleu très froid et son eau si claire qu’on peut voir les poissons à travers. Il pense à son terrier qu’il a dû laisser pour partir à l’aventure, pour s’éloigner tant de son douillet confort et de tout ce qu’il connaît. Il peste.
Le matin où il est parti était pourtant un matin comme tous les autres. Il avait péniblement ouvert les yeux, s’était étiré puis avait achevé de s’éveiller, tranquillement. Il avait profité du soleil et du frais du matin pour faire trois bonds en dehors de sa niche et récupérer des vivres ici et là. Il était ensuite rentré et se tenait prêt à redormir. Dehors, le bruit de la rivière dont l’eau coulait en flots irréguliers et sauvages berçait son sommeil, dans lequel il sombrait petit à petit. Les cris des oiseaux résonnaient dans le val, mais il était à l’abri, et tout cela formait pour lui un quotidien fort agréable.
Et puis tout avait basculé. Soudain, les cris des oiseaux, le chant de la rivière, les différents sons de l’environnement qu’il avait autour de lui, tout avait changé. Du paisible ton du quotidien, il s’était mué en un ton mineur, un ton paniqué. Soudain tout avait semblé plus rapide, plus saccadé. Il s’était redressé, la queue et les oreilles dressées, et était resté aux aguets. Dehors, la nature avait paru renversée. Il allait pointer son nez par le trou de son terrier, lorsqu’ils étaient arrivés.
Il les avait entendus de loin. Sentis, aussi. Tout avait tremblé. Lents, lourds, les coups avaient résonné jusqu’au plus profond de la terre. Ils avaient secoué l’arbre qui abritait la tanière du rongeur. Réguliers, ils avaient tout martelé tout sur leur passage.
L’écureuil avait eu un instant d’hésitation, partagé entre l’envie de se terrer le plus possible au fond de son terrier, à l’abri, là où tout était chaud et pas trop hostile, et celle de passer le nez dehors pour voir ce qui était en train de se passer. Finalement, la curiosité l’avait emporté.
Il avait pointé le museau et senti tout son poil se hérisser. L’ombre s’était abattue sur la vallée. La montagne, petit à petit, avait semblé s’affaler sur elle-même, secouée par une force encore invisible.
Et puis il les avait vus. Ou plutôt devinés. Et autour de lui, la nature s’était agitée en pagaille. Tous avaient tenté de s’abriter, mais comment s’abriter de pareil cataclysme ? Ils étaient tous perdus. Au loin, on avait commencé à distinguer la cause de tout ce qui allait bouleverser l’intégralité de sa vie à venir. Les grondements sourds étaient devenus des martellements secs et puissants, réguliers, des violents coups. Des pas. Immenses et lourds, des pas de jambes qu’il avait devinées au loin sans parvenir à comprendre à qui elles appartenaient. Alors la nature alentour lui avait soufflé la réponse, en un écho de murmures paniqués qui s’étaient rejoints pour former un avertissement d’une seule et même voix.
« Jötunn ! Jötunn ! »
L’écureuil s’était trouvé désemparé ; il avait compris qu’il ne ferait pas le poids face à une telle menace – aucun animal, aucun être, aucun élément n’aurait pu faire le poids !
Soudain, il les avait senti arriver, plus près qu’il ne les avait pensés. Soudain ils avaient été sur lui. Soudain il n’y avait plus eu d’arbre. L’écureuil, paniqué, s’était retrouvé à faire un vol plané entre des jambes dont il n’avait pu voir le propriétaire tant il semblait loin et haut. Sentant sa dernière heure arriver, il avait fermé les yeux et s’était laissé planer, toutes griffes dehors, attendant le choc ultime qui finirait inévitablement par tomber.
Et puis non. Il avait senti, sous ses griffes, une zone rude à laquelle il s’était instinctivement agrippé, le plus possible. Le choc n’était pas arrivé : l’écureuil avait continué à bouger. Il l’avait senti, il bougeait sans bouger. Il n’avait pas trop compris ce qui était en train de se passer, mais il était alors trop terrifié pour ouvrir les yeux. Chaque secousse avait manqué de lui faire lâcher prise, mais il avait tenu bon. Le jour avait passé sans qu’il ose remuer ne serait-ce que le bout de la queue. La nuit était tombée, encore plus froide et effrayante, et s’était bien installée. Alors, enfin, il s’était senti stopper. Il avait daigné entrouvrir une paupière. Il avait failli se lâcher de surprise, mais s’était rattrapé par réflexe.
A ce moment-là, il était haut, tellement haut ! Au milieu d’une grande étendue blanche, si visible dans le noir, et tout qui semblait si petit ! Il s’était cramponné à cette jambe qui lui semblait démesurée, et qui s’était soudain arrêtée. Il ne savait pas où il était.
L’écureuil avait été tenté de se laisser aller à la panique, mais n’avait pas vu l’intérêt de le faire vraiment. Il était en vie, c’était ce qui comptait à ce moment-là, et il n’allait pas commencer à la mettre encore plus en danger qu’elle ne l’était alors. Il s’était laissé glisser, doucement, le long de cette jambe immense qui faisait concurrence aux montagnes.
La descente lui avait paru interminable. Il n’avait osé aller trop vite, de peur de déranger le propriétaire de la jambe ; pourtant, il lui semblait que ce dernier ne l’avait même pas remarqué – grand bien lui en faisait, il ne s’en était que mieux porté.
Enfin, il avait posé ses pattes dans l’étendue blanche. Faisant fi du froid qui l’avait presque glacé, il avait détalé, le plus loin possible, avant que ces jambes monstrueuses ne prennent l’envie de repartir soudainement. Il n’avait pas prêté attention à combien de temps il avait couru, se contentant de s’éloigner encore et encore. Enfin, lorsqu’il n’y avait eu plus que du blanc autour de lui, à perte de vue, il s’était autorisé à ralentir. Exténué, il avait observé autour de lui, et s’était senti happé par la froideur des paysages alentour. La froideur… et la destruction.
C’était comme si la montagne s’était avachie sur elle même. Il n’y avait plus rien de bien correct, tout était tombé sous les coups répétés.
Et voilà l’écureuil maintenant, pestant, perdu. Il ne sait plus où aller ; il n’a plus de repères. Il repense à son arbre, celui-là même dans lequel il s’est éveillé tranquillement, la veille seulement. Et il se demande si tout s’est réellement passé. Mais ses pattes transies de froid ne peuvent le tromper : il n’a pas rêvé. Il n’y a plus de doux chant de rivière ni de foyer coquet, il n’y a plus d’animaux alentours ni d’appétissants garde-manger.
L’écureuil sent le blanc autour de lui devenir soudain de plus en plus noir. Soudain s’élève une voix de femme qui résonne.
« Le Jötunn ! Le Jötunn est arrivé et a tout détruit ! »
Il se demande d’où vient cette voix, jeune, fraîche, et beaucoup trop riante pour le message qu’elle délivre. Il se redresse, offusqué, dans ce noir qui a remplacé le blanc, et tente de sautiller à droite, à gauche, mais se trouve immobilisé. Une autre voix s’élève, plus mure, plus posée cette fois-ci.
« Le Jötunn est arrivé, a tout détruit… Et ton foyer, et ta petite vie… Petit rat, il est temps de récupérer ce que tu as perdu, et plus encore. »
L’écureuil a envie de souligner qu’il n’est pas un rat mais un écureuil, même s’il est un écureuil argenté, c’était quand même différent. Mais il ne parvient plus à bouger. Une troisième femme prend la parole, beaucoup plus âgée, un peu chevrotante.
« Petit rat, tu vas devenir important. Tu vas devenir le plus important de tous les rats, même. Nous avons besoin de toi.»
L’écureuil n’aime pas ne rien voir ; il aimerait comprendre qui est en train de lui parler. Ces voix ne lui rappellent rien.
« Va voir l’aigle, tout en haut du haut de la montagne. Parle-lui du Jötunn, dis-lui ce qui s’est passé, explique-lui tout. Il saura quoi faire, il pourra te guider.»
La voix continue à parler, mais l’écureuil ne l’écoute plus. Il a perdu le fil. Il s’est passé trop de choses. Il a compris son rôle, et cela ne lui plaît pas trop. Comme si elle s’en était aperçue, la voix se fait plus douce.
«Petit rat, ne perds pas espoir. Ce que tu as perdu ne te paraîtra rien avec ce que tu trouveras tout en haut. Mets toi en route, maintenant.»
Les voix disparaissent et le noir devient envahissant. L’écureuil ouvre les yeux et se retrouve allongé sur un carré d’herbe verte au milieu de l’étendue blanche. Il n’a plus si froid : le soleil tape, faisant chatoyer la neige autour de lui, et ses rayons suffisent à réchauffer un peu son petit corps poilu.
Il décide alors d’écouter la voix et se met en route. Il se lance dans cette étendue blanche sans fin, en quête d’un aigle qui lui paraît inaccessible. Ce n’est pas comme s’il avait mieux à faire après tout.
Il avance et la chance semble lui sourire : il trouve à manger quand il a faim ; il trouve où dormir quand il en a besoin. Les jours passent et les paysages deviennent de plus en plus beaux, de moins en moins dévastés, à mesure qu’il avance. Même si son terrier lui manque…
Enfin, après plusieurs jours de crapahutage, il le voit enfin. Le sommet de la montagne, d’un blanc étincelant illuminé par le soleil qui semble le couvrir de couleurs chatoyantes, et surtout, au milieu, rompant la monotonie de cette étendue interminable, un arbre. L’Arbre. Immense. Un tronc gigantesque avec des branches qui montent, montent jusqu’à s’égarer dans le ciel sans qu’on puisse suivre les branches du regard.
L’écureuil observe l’ensemble d’un œil admiratif. Ça, pour sûr, c’était un arbre dans lequel il était prêt à établir un terrier, pourvu qu’il puisse trouver de la nourriture quelque part alentour. Il commencerait même, peut-être, à ne plus trop regretter son foyer.
Tout à son observation, il ne prête plus attention au monde autour de lui. Un bruit de sabots survient, le faisant sursauter. Il fait un bond de côté salvateur : un majestueux cerf, immense, passe à côté de lui sans le voir. Les sabots le frôlent mais l’épargnent comme l’animal se dirige sans détour vers les branches de l’arbre, lève paresseusement le cou et commence à brouter les feuilles les plus accessibles. Fasciné, l’écureuil observe la rosée qui était déposée sur les bois couleur de chêne couler lentement, longer le corps de l’animal pour venir s’écouler au pied de l’arbre et tomber à ses racines.
Mais son extase est de courte durée. Alors qu’il suit la trajectoire des gouttes, son regard se pose sur le trou dans lequel l’eau se déverse. Sombre et inquiétant, creusé à même la racine, il semble aspirer l’eau qui tombe. Soudain, un râle se fait entendre, montant du trou, un son menaçant qui fait vibrer tout son petit corps.
« Qui es-tu, malheureux rat ? Ne sais-tu pas où tu mets les pieds ? »
Horrifié, le rongeur ne pense même pas à corriger la créature qui, lentement, s’extirpe de l’orifice. D’abord une gueule immense, avec des dents terrifiantes. Puis des cornes qui embrocheraient cinq écureuils comme lui en un coup, sans effort. Puis tout un corps, longiligne, des pattes menaçantes, des ailes sombres comme la nuit qui se déplient pour le baigner dans une ombre sinistre, une queue longue comme l’arbre dans lequel il avait fait son terrier.
Le dragon ancre ses griffes dans la racine qu’il malmène déjà depuis si longtemps, et plante des yeux luisant, irradiant le mal abrité dans son corps monstrueux, dans ceux du rongeur qui se sent soudain encore plus petit que de vrai.
«Je suis envoyé pour rencontrer l’aigle en haut de l’arbre ! Je dois lui parler du Jötunn qui a dévasté mon terrier et il doit…
– Silence, malheureux rat ! Ton périple s’achève ici.»
Le rongeur ne peut que fuir à toutes pattes lorsque le dragon se jette brutalement sur lui. Pris de court, il ne réfléchit pas et fonce vers ce qui lui semble être le meilleur abri. Prenant son élan, il se jette contre le tronc toutes griffes dehors et, lorsque l’impact se fait, s’agrippe aussi fort qu’il peut, puis monte sans demander son reste. Il escalade le tronc, dépasse les premières branches, se refuse à regarder en bas et continue, une feuille après l’autre, jusqu’à ne plus sentir le souffle du dragon sur lui.
Il s’autorise alors à s’arrêter pour regarder autour de lui. A quelques mètres plus bas, le dragon l’observe, semblant attendre de voir ce qu’il va faire. A perte de vue plus bas, des branches, des feuilles. Il est beaucoup plus haut qu’il ne l’aurait cru. L’écureuil prend une grande bouffée d’oxygène, sent l’excitation monter petit à petit. C’est la première fois de sa vie qu’il atteint une telle altitude. Et même s’il ne voit plus le sol, il ne voit toujours pas la cime non plus.
Soudain, son regard se perd au bout de la branche à laquelle il s’accroche et il sursaute : mâchonnant paresseusement les feuilles à portée de mâchoire,une chèvre l’observe d’un regard vide, comme si elle était éloignée de tout. L’écureuil la détaille du regard, surpris, un peu inquiet. Il a bien failli finir plus d’une fois piétiné sous les sabots de ce genre d’animal. Un ricanement du dragon, plus bas, lui rappelle sa situation précaire.
« Tu n’es pas au bout de tes surprises, malheureux rat, si même une vieille biquette t’effraie !»
La chèvre éructe un bêlement indigné pour afficher son mécontentement puis s’en retourne à son mâchonnement régulier sans plus y prêter attention. L’écureuil ne prend pas le temps d’évaluer plus ses chances : il reprend l’ascension. A sa grande surprise, la dragon ne semble plus le poursuivre ; pourtant, alors qu’il continue à passer d’une branche à une autre, il l’entend maugréer dans un ton menaçant et caverneux.
« C’est ça, va donc voir cet imbécile d’aigle pompeux, et transmets-lui donc pour moi… »
Il n’entend déjà plus. Il a l’information, la seule dont il avait vraiment besoin : il y a bel et bien un aigle en haut de cet arbre. Les voix ne s’étaient pas moquées de lui. Ragaillardi à l’idée que le dragon ne puisse aller plus haut et désormais certain qu’il a un but atteignable, il redouble d’efforts.
Les branches se suivent, se ressemblent. De temps en temps, l’écureuil semble déceler un fruit, mais il n’ose y toucher. Un fruit dans un tel arbre ? Il ne sait pas ce qui pourrait lui arriver. Il préfère attendre d’avoir, enfin, pu avoir des explications. Et il s’en rapproche, il le sait : l’air est de plus en plus frais, de moins en moins lourd.
Enfin, à travers le vert des branches, il commence à apercevoir un peu de bleu pointer. Le ciel ! Il distingue le contour de l’arbre, bien net dans la lumière du soleil. Il a perdu le fil du temps : combien d’heures, de jours depuis qu’il a commencé à escalader l’arbre ? Mais cela n’a plus d’importance, car il est enfin arrivé en haut. Et maintenant… Un grand rire l’interrompt dans ses pensées. Un rire rauque et profond, comme le maître d’un château, qui domine tout le reste.
« Alors voilà donc le messager que m’envoient les Nornes ? Un simple rat acrobate ? »
Ah non ! Cette fois-ci l’écureuil en a assez. Il n’a pas osé parler après le désastre, il n’a pas osé se battre face au dragon, mais cette fois-ci c’est trop. Après toutes ces aventures, il estime tout de même avoir le droit de revendiquer sa nature.
« Je ne suis pas un rat, sapristi ! Je suis un écureuil argenté et j’en ai ras la noisette des voix condescendantes qui me prennent pour ce que je ne suis pas ! »
Le rire s’accentue.
« Hé bien au moins, tu n’as pas la langue dans ta poche ! Tu devrais faire l’affaire. Alors, écureuil, voilà ta mission, voilà pourquoi tu es ici ! Tu seras le messager des divins au sein de l’arbre-monde et rien de moins ! Ta vie n’aura jamais de fin, le dragon et tout autre créature n’aura aucun pouvoir sur toi, car tu seras protégé et porteras mes paroles. Tu pourras manger ce que bon te semble, aller où bon te semble, tant que tu rapportes toujours ce que je dis. Cela te convient-il, écureuil ? Ou préfères-tu retourner dans le trou de neige d’où tu viens ? »
Vu comme ça, il n’a guère le choix. Et puis, quelque part, il lui plait bien, cet arbre. Même si l’amabilité de ses habitants laisse à désirer, il n’a aucun doute qu’il saura y trouver son compte. L’écureuil opine donc du chef, sans mot dire.
« Qu’il en soit ainsi ! Désormais tu seras Rat…
– Ah non ! Pas encore !
– Ratatosk, le messager d’Yggdrasil !”
Ah tiens. Ca change. C’est sans doute mieux que “écureuil”, et assurément plus que “misérable rat”. Et puis… Le nom roule dans sa tête, dans sa gorge, entre ses dents. C’est agréable d’avoir un nom. Ratatosk. L’écureuil se gratte l’oreille puis racle ses dents de contentement. Oui, même s’il y a «Rat » dedans, Ratatosk, ça en jette.
L’aigle lance sur le rongeur nouvellement nommé un regard satisfait, puis, d’un geste d’aile, lui désigne le bas.
« Bien. Va maintenant, et porte ce message de la plus haute importance à Nidhogg de ma aprt. Dis à ce crétin de dragon que son souffle putride a dû fait pourrir tout le bon sens qui pouvait vaguement exister dans la cervelle de celui qui l’a créé pour qu’il se dise qu’il était une bonne idée de le créer si laid. »
L’écureuil commence à percevoir que ce boulot ne sera pas si déplaisant. Un foyer pour le moins fourni en feuilles et en fruit, de la verdure éternelle, des zones immenses de branches à parcourir juste pour le plaisir, plein de recoins pour s’abriter, de la nourriture à profusion, l’immunité, l’immortalité, et des messages pour le moins intéressants à transmettre de temps en temps…
Satisfait de l’évolution de sa situation, Ratatosk file le long du tronc, grapille un fruit sur la route, le grignotte nonchalamment dans sa descente, et va avec une joie sans nom faire un pied de nez au dragon qui n’a désormais plus aucun pouvoir sur lui.
Il va voir, le Nidhogg. Un rat, non mais.
Au pied de l’arbre, trois rires de femmes résonnent. Fières d’avoir su ajouter une touche de jeunesse et de fraîcheur à l’arbre dont elles s’occupent amoureusement depuis si longtemps, elles retournent l’arroser comme elles le feront encore des siècles durant. Mais au moins, d’ici à Ragnarok, elles pourront passer le temps en profitant du spectacle croustillant que leur offrira leur nouveau petit protégé en semant délicieusement la zizanie entre ceux qui ont osé croire que l’arbre leur appartenait. Qui aurait cru qu’un si petit rat à la queue touffue pourrait offrir un tel divertissement ?
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