Alpine
25 mars 2015« J’en ai marre ! »
Alpine claqua la porte de sa chambre et se jeta sur son lit sans plus de cérémonie. Elle avait comme d’habitude passé la journée à essuyer des remarques narquoises à cause de sa « différence ». Mais aujourd’hui, en plus, il avait fallu affronter ses parents et son professeur. Elle n’avait rien demandé, elle. Elle n’y pouvait rien si elle n’était pas comme les autres !
Cela faisait longtemps qu’elle essayait d’en parler pourtant. Papa, Maman, à l’école, les autres disent que je ne suis pas pareille. Ne t’en fais pas ma chérie, ils sont juste jaloux. Papa, Maman, à l’école ils disent que je ne devrais pas être ici. Ne les écoute pas ma chérie, ils sont jeunes et ne comprennent pas qu’on a tous le droit d’être ici. Papa, Maman, à l’école ils se moquent de moi. Ignore-les ma chérie, ils finiront bien par arrêter.
Ils n’avaient pas arrêté.
Alpine n’était pas dupe, elle avait assez vite compris que ses parents n’étaient pas ses vrais parents. Ils n’en avaient jamais parlé mais elle connaissait d’autres gens dans ce cas. Pourtant, les autres, eux, ils n’étaient pas aussi différents. Elle, elle avait beau essayer de penser comme eux, elle ne pourrait jamais leur ressembler.
Elle n’oublierait jamais cette fois où elle avait dérobé de la teinture à sa mère. Une jolie teinture d’un roux flamboyant, qui lui allait bien, qui lui donnait du caractère. Du caractère pour se fondre dans la masse. Mais ça n’avait pas marché. Ils avaient ri encore plus fort ; et pour ne rien arranger, alors qu’elle rentrait à la maison en larmes, elle s’était retrouvée face à la fureur de sa mère qui avait découvert la salle de bain dans un triste état. Le pire, dans tout ça, c’était que la teinture avait perduré un moment, de plus en plus délavée, de moins en moins crédible, de plus en plus risible. Les autres n’avaient pas perdu une occasion de lui faire remarquer. Au lieu d’atténuer sa différence, cela n’avait fait que l’accentuer.
Elle essayait de s’intéresser aux mêmes choses qu’eux. Les jeunes poules après lesquelles ils couraient, elle les observait aussi, se demandant ce qu’ils pouvaient bien leur trouver. Les chamailleries qui les amusaient, elle tentait d’y prendre part mais se faisait souvent vite écarter. Ils lui faisaient peur, parfois. Alors elle restait à l’écart et ils riaient. Même les sujets qu’ils travaillaient en classe lui semblaient à des années lumières de tous ses centres d’intérêts.
Hier, elle n’avait pas eu la force d’aller en cours. Alors elle avait filé en ville et avait trouvé plein d’autres gens différents. Elle avait bien rigolé, Alpine, bien discuté avec ces gens qui ne ressemblaient pas à ceux qu’elle côtoyait tous les jours. Elle était entrée dans une boutique de piercings aussi. Elle s’était dit que ça détournerait l’attention de ses dents du bonheur, ça donnerait du caractère à ses oreilles un peu trop grandes, qu’au moins ils ne riraient plus. En sortant de la boutique, elle était fière, nouvelle. Mais c’était vite retombé. L’école avait appelé ses parents et ils avaient attendu son retour de pied ferme. Le sermon avait été long, encore plus pénible que les autres.
Et ce soir, ils avaient eu rendez-vous avec son professeur. Ils avaient discuté de ses tentatives d’intégration, de sa différence. Elle, dans un coin, elle n’avait rien dit, elle les avait juste écoutés, le bout du nez frémissant, en feignant de ne pas les entendre. Mais elle était triste.
En rentrant, ses parents avaient eu le mot de trop. Et voilà où elle en était, Alpine : allongée sur son lit, secouée de sanglots, parce que tout ce qu’elle essayait de faire pour s’intégrer tombait à l’eau, et c’était toujours elle qu’on reprenait. Et c’était pas juste. Elle n’avait jamais demandé à être différente.
D’une main, elle saisit la photo de famille qui ornait sa table de chevet et la regarda pensivement. Elle, toute petite, blanche et duveteuse au milieu de ses parents à la pilosité agressive d’un roux flamboyant. Elle s’était toujours demandé comment ils en étaient venus à la recueillir. Elle ne savait plus vraiment si elle devait les remercier, ou si elle aurait préféré qu’ils l’emmènent à l’orphelinat. Les choses auraient sûrement été plus simples.
Les mots que son professeur avait adressés à ses parents lui revinrent en tête.
« Il faut que vous mettiez votre fille dans une école spécialisée. A l’école publique elle finira par se faire bouffer toute crue. »
Alpine soupira en repensant à tout ça. Papa et Maman étaient gentils, mais son professeur avait probablement raison. Elle serait sans doute un jour placée ailleurs, loin de sa famille, et ce serait sans doute mieux. Après un dernier coup d’œil à la photo, elle la rejeta d’un coup de patte rageur, à l’envers sur la table de nuit, et, les oreilles basses, plongea son museau dans l’oreiller trempé de larmes.
Vraiment, ce n’était pas simple tous les jours. Quelle idée pour des renards d’adopter une lapine !
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