Les nouvelles du Ray’s Day ou la saga de la tour – partie 2

(Pour rappel, chaque nouvelle a été écrite sur une carte postale et envoyée à une personne différente, le challenge étant de faire en sorte que toutes les nouvelles soient compréhensibles en tant que one-shots tout en faisant partie d’un tout.)

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« Un par un, s’il vous plaît ! »

Bousculades dans le hall, Ugo en restait bouche bée. Lui avait toujours été très sceptique : ces histoires de voyage pour fuir le soleil, de fin du monde proche, il refusait d’y croire. Pourtant, il semblait qu’un paquet d’illuminés accordaient plus de crédit que lui aux dires des scientifiques. Bah, pourquoi pas après tout.

Au fond, ça lui avait donné du boulot au moins, tiens.

« Premier dossier, s’il vous plaît ! »

Un homme à l’air timide s’avança, comme s’il ne croyait pas à sa chance d’être premier, et tendit le dossier. Un coup d’œil, tout en ordre. Coup de tampon.

L’homme manqua de s’évanouir, Ugo retint un sourire. Il venait de sceller le destin du premier embarqué de l’émigration interplanétaire.

Carnets de l’Emigration exploratoire. Ere astrale : jour 34.

 

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Mina contemple avec satisfaction sa commande. A la tête du plus gros fournisseur de navettes des bureaux de l’émigration exploratoire, elle savait qu’on ne pouvait rien lui refuser. Son dernier caprice était le plus ambitieux. A la fois bureau de son entreprise, résidence et lieu de détente, les Havres volants lui garantissaient quelque chose qu’elle n’avait jamais pu trouver nulle part auparavant : la paix.

Le ravitaillement se ferait sans qu’elle s’en préoccupe ; elle avait veillé à recruter le meilleur androïde pilote de la compagnie.

Il y avait du bon à être milliardaire à une époque où les Hommes fuyaient la Terre : personne ne s’était opposé à son idée.

La Terre pouvait bien brûler, maintenant : Mina n’y poserait plus jamais les pieds, et c’était très bien comme ça.

Lancement des Havres volants. Ere astrale : jour 2137.

 

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« Maman, maman, j’ai perdu Pinpin ! »

Sueurs froides. La gamine, en larmes, qui tire sur la jupe de sa mère. Il fallait que ça arrive. Et bientôt le couperet va tomber, attention 4, 3, 2…

« Ne t’en fais pas, ma chérie, papa va le retrouver. »

Eeeet voilà. La course dans le spatioport. A l’extérieur, le monde est en train de brûler, le soleil va bientôt tous nous tuer, il est grand temps que nous montions dans la navette, mais NON. Il faut Pinpin. On ne fait pas de Pinpin ailleurs que sur Terre.

Alors on met le spatioport sans dessus dessous, et enfin, le voilà. La gamine est rassurée, sa mère soulagée, et moi je relève enfin la tête et la porte d’embarquement est fermée.

La navette de l’émigration exploratoire va partir sans nous. Retour aux Souterrains.

Maudit Pinpin.

Carnets de l’Emigration exploratoire. Ere astrale : jour 7820.

 

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Élie serra les dents. Il avait repoussé ce moment jusqu’au bout. Il avait toujours eu les pieds sur terre, et espérait bien ne pas avoir à changer ses habitudes.

Pourtant, les temps avaient changé, et il n’avait plus eu le choix. Il avait été parmi les derniers à déposer son dossier, alors qu’il aurait eu les moyens de le faire bien plus tôt. L’émigration exploratoires tendait les bras aux hommes comme lui, riches et costauds, mais il avait résisté.

Jusqu’au jour où l’intégralité de son jardin avait grillé et qu’il s’était retrouvé, suffoquant, à ne plus pouvoir négocier de délai supplémentaire. Alors il avait rempli le dossier. Obtenu le coup de tampon. Et la navette était en train de décoller.

Il fallait bien au moins une fin du monde pour forcer Élie à envisager de prendre les airs.

Carnets de l’Emigration exploratoire. Ere astrale : jour 7820.

 

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« Ils ont fermé le bureau d’émigration exploratoire il y a deux jours. Cela aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Les dernières navettes sont parties ce matin : ils avaient bien fait leurs calculs. Du haut de la Tour, encore protégée pour quelques minutes des rayons mortels, je peux distinguer encore les traînées de fumée qu’elles ont laissées.

Il est temps de faire ce pour quoi j’ai été recrutée dès le départ. Je me dirige vers les escaliers descendant vers le bureau privé, minuscule pièce dont la seule fonction est d’accueillir le bouton d’alarme. Arrivée en bas, je sais que je ne verrai plus jamais le ciel. Mais c’est la bonne chose à faire. C’était prévu dès le départ.

Une grande inspiration… j’appuie sur le bouton. Le moment est venu. L’alarme est en marche.

Dehors, les derniers à supporter l’atmosphère doivent être en train de courir aux abris. Quant à moi… la Tour commence à s’effondrer autour de moi, comme prévu.

Elle ne servira plus jamais de phare ; les Terriens ne voleront plus jamais.

Avec un peu de chance, j’ai encore le temps de rejoindre les souterrains…

Dernière entrée du journal des Gardiens. Crépuscule astral : jour 1.

 

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« Anna ? Anna ! »

Anna court dans le souterrain principal, zigzaguant pour éviter les passants. Une fois de plus, elle fait l’école buissonnière. Elle en a assez d’entendre le maître répéter encore et encore que c’était mieux avant, quand le soleil brillait, que les planètes faisaient toujours la même danse et qu’on pouvait aller dehors.

Anna ne savait même pas ce que c’était, dehors. Elle était née dans les souterrains et le soleil n’était rien de plus qu’une légende pour elle.

Mais cette fois-ci, sa mère excédée l’a suivie et lui court après. Qu’importe ! Ça n’en rend le jeu que plus plaisant pour Anna. Elle fait des tours et des détours, lorsque soudain son œil est attiré par une tache de couleur vive sur un mur.

C’est un tableau de l’ancien temps.

« Maman, c’est quoi ça ? »

Sa mère, surprise, s’est arrêtée aussi.

« Des tournesols, Anna. »

Un temps, Anna ne dit plus rien. Elle détaille le tableau, fascinée.

« Maman, quand je serai grande je serai un tournesol. »

Sa mère en oublie même de se mettre en colère.

Chroniques des Souterrains. Crépuscule astral : jour 215.

 

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Iris s’occupait des fleurs. On aurait pu croire à la prédestination des prénoms, mais à vrai dire, le sien n’était même pas si original. La nostalgie avait pris le dessus et beaucoup d’anciens Terriens avaient donné des noms de fleurs à leurs enfants.

Les serres étaient grandes et bien entretenues, mais désespérément vides. Les plantes poussotaient mais ne prenaient pas vraiment. Pourtant, les chercheurs persistaient – et Iris surveillait. Chaque jour, elle arpentait les allées, passionnée par toutes les descriptions qu’elle voyait des plantes qui auraient dû pousser, mais ne fleurissaient jamais. Les êtres humains avaient trouvé d’autres solutions pour se nourrir sur ces nouvelles terres, mais le fantasme persistait. Parfois, comme par erreur, des pousses arrivaient, mais ne duraient jamais bien longtemps.

Pourtant, ce soir-là, un éclat jaune accrocha l’œil d’Iris depuis le carré central, le plus important. Iris vérifia plusieurs fois. Puis éclata de rire.

Pour la première fois depuis l’explosion du soleil, les tournesols s’étaient ouverts. Enfin, l’Homme allait pouvoir recommencer à travailler la Terre.

Journal des Serres. Jour 1 de la Nouvelle Aube.

journal des serres, Helsinki(Un immense merci à @jo_brown pour cette chouette illustration !)