Des nouvelles de l’extérieur (2015)

Mina s’étira, bailla, et se tourna dans son lit. Encore une ou deux minutes… Le ronron des moteurs et le souffle de l’air battant régulièrement les vitres de sa chambre la berçaient encore alors qu’elle luttait pour rester dans cet état flottant de semi-sommeil. Une secousse violente acheva pourtant de lui faire ouvrir les yeux. Mina se redressa, s’extirpa des draps et chercha à se précipiter vers les hublots de la chambre.

Une secousse plus forte – elle perdit l’équilibre et tomba sur son postérieur. Zone de turbulences !

Alerte, Mina se releva pour se diriger cette fois-ci vers son fauteuil et son harnais. Tant pis, elle ne verrait pas ce qui se passait : sa sécurité prévalait. Comme pour lui donner raison, une voix grésilla dans le haut-parleur.

 

« Madame, j’espère que vous êtes réveillée. Il va falloir vous accrocher ; les perturbations vont sûrement durer. »

 

Obéissante, Mina s’installa, s’harnacha et se détendit. De simples perturbations – Karl avait la situation bien en main. Elle l’avait recruté pour cela, après tout. Bon pilote, il avait appris rapidement toutes les ficelles nécessaires pour bien gérer les caprices des Havres volants, et de leur maîtresse de bord. Pourtant, les perturbations duraient.

 

« Madame. Il va peut-être falloir atterrir en urgence ; pouvez-vous me rejoindre ? »

 

Mina fronça le nez. Tu parles d’un réveil. Retrouver le sol, pouah ! Depuis leur envol, les Havres volants n’avaient retrouvé la Terre que pour quelques révisions, et Mina n’était jamais redescendue. Alors, pourquoi maintenant ?

Mina se détacha et lutta pour atteindre la cabine de Karl sans choir à nouveau. L’androïde pilote ne releva pas la tête quand elle s’affala lourdement à côté de lui et s’attacha.

 

« Que se passe-t-il, Karl ?
– Voyez par vous-même. »

 

Pour la première fois de la journée, Mina posa les yeux sur le Dehors. Rien ne semblait anormal. A moins que…

 

« Karl, pourquoi la Tour vacille-t-elle ainsi ?
– Parce que c’est la fin, Madame. »

 

La voix de l’androïde ne laissait transparaître aucune émotion. La phrase fut lâchée froidement et Mina sentit son cœur se glacer, alors qu’elle observait la Tour se balancer de plus en plus violemment, au même rythme que le vaisseau dans lequel elle se trouvait. Les nuages autour étaient gris, agités et tournoyaient violemment comme s’ils bouillonnaient.

La fin. Alors il fallait faire un choix.

 

« Karl, quelles sont nos options ? »

 

Elle les connaissait déjà, mais les entendre de vive voix lui permettrait peut-être de décider.

 

« Nous pouvons rester, là, Madame, et brûler avec le soleil et les gardiens de la Tour, ou nous pouvons nous poser et rejoindre les souterrains. Cela implique de ne plus repartir. »

 

Mina réfléchit. C’était Charybde ou Scylla : une mort atroce ou l’enfermement pour la fin de ses jours – une autre forme de mort, en soi. Des choses sûres, strictes et définitives, typiques de la machine. Mais il manquait quelque chose, Mina le savait, et c’était encore plus évident venant de l’androïde.

 

« Il y a une autre option, n’est-ce pas ? »

 

L’androïde parut hésiter.

 

« Oui, Madame. Mais vous savez qu’elle est risquée. Nous n’avons ni le vaisseau pour, ni assez de carburant. Nous pouvons tenter d’aller vers l’Au-delà. »

 

La Tour sombra enfin, lentement, comme au ralenti. Les gardiens avaient finalement accompli leur tâche et périraient avec elle. Le monument qui servait de phare à tous les vaisseaux était tombé. Le message était clair : les Terriens ne voleraient plus. Le soleil allait dévorer leur atmosphère ; il avait déjà commencé. Les nuages bouillonnant se teintaient de couleur vives, brûlantes, dévorantes. Ceux qui n’étaient pas encore partis resteraient dans les souterrains à jamais. Mina n’avait jamais voulu affronter cette éventualité. Quand les Havres avaient pris leur envol, elle avait songé qu’au pire, elle mourrait dans les airs, avec panache.

Maintenant, elle ne savait plus. Il y avait l’Au-delà, une solution tellement inenvisageable que même l’ordinateur n’avait pas voulu calculer cette possibilité.

 

« Karl, quelles sont nos chances de survie ?
– Si nous ne nous posons pas, environ 1%, Madame. »

 

Mina évalua la question. Elle avait tellement voulu repousser cette échéance, y penser le moins possible… Mais au fond, la réponse que son cœur lui dictait était évidente.

 

« 1%, c’est bien assez. Allons-y, Karl.
– Bien, Madame. »

 

Les souterrains lui promettaient une survie certaine. Mina, elle, avait décidé de voler. Qu’importait le prix, c’était le vœu qu’elle avait formulé, des dizaines d’années plus tôt, quand le vaisseau avait décollé pour la première fois.

Alors les Havres volants mirent le cap sur l’Au-delà.