A peu de choses près

La journée était programmée pour être bonne. Gaëtane avait posé un jour de congé exprès pour préparer sa soirée. Elle avait tout prévu la veille : elle irait au marché tranquillement, achèterait de quoi faire le repas, décorerait sa maison…

Mais voilà, il fallait que ça arrive : avec une logique toute algorithmique (de ces mêmes algorithmes qui déterminent que la tartine tombera toujours du côté beurré), sa matinée au marché qu’elle s’était imaginée joyeuse et ensoleillée avait commencé sur le grondement d’un orage.

Elle ne s’était pas laissé démonter, la Gaëtane : il lui fallait plus qu’un petit crachin pour lui faire rater la soirée tant attendue.

Elle avait slalomé entre les gouttes du mieux qu’elle pouvait pour atteindre la place du marché.

Lorsque enfin elle arriva sur les lieux, trempée comme une soupe, le désarroi matinal grandit : pratiquement aucun des producteurs locaux avec lesquels elle avait l’habitude de commercer n’étaient présents. Sans doute qu’ils n’avaient pas voulu braver l’intempérie. En même temps, ils n’avaient peut-être pas eu tort : a priori, elle était bien la seule à venir faire son marché.
Bon.

Pour les prix réservés aux habitués, on repasserait.

Gaëtane passa rapidement en revue les quelques stands présents : un vendeur de fruits et légumes, un producteur de miel et produits laitiers, un boucher, et… Enfer, son fromager habituel n’était pas là.

Il s’agissait de ne pas céder au désespoir, malgré la piscine qui se formait petit à petit dans ses bottes et son manteau qui n’avait plus d’imperméable que le nom. Elle allait trouver ce dont elle avait besoin et rentrer chez elle, et se sécher, et préparer son salon pour les invités, et…

comment ça, ils n’avait plus de pommes de terre ? Mais enfin tout le monde a des pommes de terre, non ? Sans le précieux tubercule, il était inimaginable qu’elle puisse préparer sa tambouille.

Comment, la citrouille ferait un très bon effet ?

Bon. Très bien. Va pour une citrouille. C’était la saison après tout. Mettez moi des oignons avec, s’il vous plaît, merci.

Gaëtane régla son achat, dubitative, puis se dirigea vers le producteur de miel et produits laitiers.

Du miel, ça pour sûr, il en avait, et en quantité ! De toutes les sortes : sapin, acacia, pommier… Mais quand il s’agissait de vendre de la crème, c’était foutu : quelqu’un lui avait déjà acheté tout son petit stock. De dépit, Gaëtane lui prit tout de même un pot de miel de fleurs mélangées. Sans trop y croire, elle demanda pour son fromage. Pas de surprise : il n’avait pas.

« Mais j’ai du maroilles, si vous voulez. »

Foutu pour foutu, Gaëtane prit le maroilles. Le magasin le plus proche était à dix kilomètres, et elle n’avait vraiment pas envie de braver la tempête pour s’y rendre à vélo. Il faudrait que ça aille.

Le temps qu’elle règle ses achats, Gaëtane reçut deux messages : ses invités se dégonflaient les uns après les autres face au temps pourri.

Gaëtane s’en retourna donc chez elle le moral dans ses chaussettes trempées.

Dire qu’elle avait posé sa journée pour ça. De la citrouille, du miel et du maroilles.

Elle allait être chouette, sa soirée tartiflette !

(Avez-vous repéré les trois mots-contraintes ? Il s’agissait de « algorithmique », « maroilles » et « tubercule » !)