Des Bonbons pour Marine (2014)

Ces derniers temps, Marine était très fatiguée. Maman disait qu’elle avait attrapé le froid à force de courir pieds nus. Et puis elle dormait beaucoup, même à l’école des fois, et ça fâchait la maîtresse, alors Maman l’avait emmenée voir le docteur.

Elle n’avait pas aimé le docteur, Marine. Il avait dit qu’il fallait faire une piqûre et puis d’autres choses nulles qui font mal. Heureusement les gens qui avaient fait la piqûre avaient été gentils et lui avaient même donné une sucette à la fin. Et puis il y avait eu quelqu’un qui lui avait dit d’ouvrir très grand les yeux devant un appareil bizarre et ça c’était plutôt rigolo même si Marine ne comprenait pas tout.

 

Et puis après Maman et elle étaient rentrées et il y avait eu un coup de téléphone et elle avait vu Maman devenir toute blanche. Marine n’avait pas trop compris. Maman avait un peu expliqué. C’était le docteur qui avait appelé, c’était un peu compliqué, mais c’était important. Marine allait devoir dormir et après tout irait bien et elle ne serait plus malade.

Ensuite elles étaient montées dans la voiture et Maman avait conduit. Elle avait pris Marine par la main, l’avait serrée très fort dans ses bras avant de l’emmener vers une gentille dame. Avant de partir, elle lui avait dit d’être une grande fille. Que si elle était sage elle aurait droit à des bonbons !

 

Marine serra Nounours fort contre elle. Elle n’aimait pas l’endroit où elle était. C’était froid, c’était tout blanc, et puis il y avait des bruits bizarres. Heureusement la dame était toute douce. Mais elle était toute blanche aussi, et un peu bizarre quand même. Marine ne comprit pas vraiment tout ce qu’elle disait, il y avait des mots trop compliqués des fois, mais Maman avait dit qu’il fallait qu’elle soit une grande fille, alors elle prit un air très sérieux comme Maman faisait des fois et elle hocha la tête gravement.

 

La dame lui fit prendre une douche bizarre, une douche toute orange. Marine joua avec l’eau orange un peu. La dame expliqua que c’était important, que sinon elle risquait de tomber encore plus malade. Marine était un peu dubitative : elle avait juste le froid, la dernière fois il n’y avait pas eu de douche orange, elle avait beaucoup dormi et Maman avait fait des chocolats chauds pour boire après les médicaments pas bons.

La dame eut l’air de ne pas comprendre. Marine n’insista pas : elle ne voulait pas l’embêter. Elle avait promis à Maman qu’elle serait sage.

 

Et puis la dame l’avait mise dans un grand lit tout blanc qui ne sentait pas très bon et l’avait laissée en lui disant que tout irait bien parce qu’elle était une petite fille très forte.

Marine ne se sentait pas vraiment très forte, elle était toute petite et n’arrivait même pas à soulever le dictionnaire de Maman ! Mais elle avait Nounours avec elle, et lui, elle savait, il était super fort ! C’était lui qui chassait les mauvais rêves la nuit. Avec lui elle n’avait peur de rien.

Un autre monsieur vint après la dame toute douce. Il était blanc lui aussi et il avait l’air moins gentil. Il lui fit une piqûre dans le bras et c’était drôlement désagréable et il y avait un tuyau et Marine serra Nounours encore plus fort. Il discuta alors un peu avec elle :

 

« Comment tu t’appelles ?

– Moi je suis Marine, et lui c’est Nounours. Et toi ?

– Moi je suis Dominique. J’ai trente-cinq ans. Et toi, quel âge tu as, Marine ?

– J’ai six ans ! Et Nounours il en a cinq. C’est Maman qui me l’a donné.

– D’accord. Vous êtes tous les deux grands ! Je suis sûre que vous savez compter beaucoup.»

 

Marine hocha la tête avec fierté. Elle savait compter jusqu’à au moins DIX MILLE. Peut être même CENT DIX MILLE.

Le monsieur eut l’air satisfait. Il lui dit que c’était bien, et qu’alors il allait falloir qu’elle lui montre.

 

« Un… deux… trois… quatre… »

 

Marine continua jusqu’à douze. Le monsieur eut l’air impressionné.

 

« C’est très bien, Marine ! Alors maintenant, il faut que vous soyez forts, ton nounours et toi. Vous allez compter jusqu’à cent dans vos têtes. Tu crois que vous allez y arriver ? »

 

Marine acquiesça avec ferveur. Puis elle ferma les yeux très fort pour voir les nombres derrière ses paupières et ne pas en oublier. Elle savait que Nounours faisait la même chose. Ensemble, ils comptèrent : un, deux, trois, quatre, cinq… Vers vingt, Marine ne sut plus trop, mais Nounours lui dit qu’il fallait continuer, qu’elle ne s’était pas trompée. Vers quarante, elle eut l’impression que les nombres étaient très lourds, elle avait de plus en plus de mal à porter, mais Nounours l’aidait. Vers cinquante, Nounours lui dit :

 

« Ce n’est plus la peine de compter, Marine.

– Mais Nounours ! Le monsieur a dit jusqu’à cent ! Sinon je ne serai pas forte et je n’aurai pas de bonbons…»

 

Nounours secoua la tête.

 

«Tu sais Marine, en vrai, le monsieur, il voulait juste que tu fermes les yeux un peu longtemps, pour pouvoir parler avec Maman. Ecoute. »

 

Nounours se tut et Marine tendit l’oreille, mais elle n’entendit rien. Alors elle se promena un peu dans la pièce et c’était rigolo, parce que maintenant la pièce était colorée comme elle aimait bien, et puis les nombres n’étaient plus lourds dans sa tête. Mais elle se rappela qu’elle devait être sage alors elle ne dérangea pas trop tout. Elle se demandait quand même quand Maman reviendrait, parce que ça commençait à être long. L’espace d’un instant elle eut peur que Maman l’ait oubliée. Et si Nounours avait eu raison ?

Et si Maman était juste fâchée parce que Marine avait attrapé le froid parce qu’elle ne lui avait pas obéi ? Et si Maman n’avait pas aimé que la maîtresse veuille lui parler parce que Marine dormait à l’école ?

 

Marine commença à avoir un peu peur. Elle sentit le froid en elle, et elle appela Nounours, mais il ne répondait plus. Et au loin elle entendit enfin la voix du monsieur blanc qui répétait des mots et sa Maman qui pleurait. Et si c’était sa Maman qui avait des problèmes et qu’on l’avait fait compter juste pour qu’elle ne soit pas avec elle ?

Marine commença à tourner en rond dans cette chambre trop colorée maintenant. Elle ne se rappelait pas avoir peint les murs de toutes ces couleurs. Et Nounours demeurait introuvable. Et puis il y avait ces mots que le monsieur blanc répétait encore. Elle avait très peur maintenant.

Maman avait dit qu’elle dormirait mais elle ne dormait pas. Le monsieur avait dit de compter mais ça ne suffisait pas. Marine ne savait plus quoi faire. Maman avait dit qu’elle devait être grande pour qu’elle puisse avoir des bonbons. Mais elle était petite, Marine! Même Nounours l’avait compris, c’était sans doute pour ça qu’il était parti. Peut-être que Maman aussi l’avait compris.

L’angoisse grignotait de plus en plus son petit coeur. Marine sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle voulait Nounours. Elle voulait Maman. Elle appela, mais il n’y eut rien. Juste sa voix et la voix du monsieur blanc qui répétait toujours les mêmes mots à sa Maman et sa Maman qui pleurait et ça lui faisait encore plus peur.

Elle réessaya de compter mais ça ne marcha pas très bien.

 

Alors elle se souvint des mots de la dame en blanc. Elle avait dit qu’il fallait être forte. Mais Marine n’arrivait même pas à soulever un dictionnaire ! Tiens d’ailleurs il y avait un dictionnaire à côté du lit, juste là. A la place de Nounours. Marine eut une idée. Elle saisit le dictionnaire de ses petites mains et tira de toutes ses forces… mais il ne bougea pas.

Marine sentit les larmes lui monter aux yeux. Il fallait qu’elle soit forte ! On lui avait dit qu’il fallait. Sinon, pas de bonbons, pas de Nounours, pas de Maman, juste la voix du méchant monsieur blanc qui répétait toujours les mêmes mots à sa Maman qui pleurait… Il fallait qu’elle aille aider sa Maman mais pour ça il fallait qu’elle soit forte ! Elle s’agrippa plus fort, tira plus fort, sentit un peu de poids céder.

Elle décida de faire comme le monsieur disait et en même temps elle compta. Un ! Elle tira. Deux ! Elle tira encore. Trois ! Et encore.

A dix, elle était prête à abandonner, mais elle ne pouvait pas. Au loin, une petite voix semblait l’appeler, lui rappeler que le monsieur avait dit jusqu’à cent. Alors elle irait jusqu’à cent s’il le fallait, en tirant, même si peut-être elle allait être épuisée, parce qu’il fallait qu’elle soit forte ! A cinquante la petite voix se fit plus forte, c’était la voix de Nounours qui l’appelait, «Marine, Marine, Marine !»

Et puis cent ! Marine tira de toutes les petites forces qui lui restaient, toute sa tête tournée vers sa Maman qui pleurait et vers Nounours qui l’appelait de plus en plus fort.

 

Alors soudain Marine ouvrit les yeux et elle retrouva Nounours dans ses bras et il y avait beaucoup de bruits bizarres autour d’elle, des vrrrr et des bip et surtout il y avait Maman qui la regardait avec des yeux rouges et écarquillés.

 

« Maman ! J’ai compté jusqu’à cent comme le monsieur a dit et j’ai réussi à soulever le dictionnaire cette fois ! J’ai entendu que Nounours et toi vous étiez là et… »

 

Sa Maman avait un air bizarre, un air qui inquiéta Marine. Elle se rappelait les mots du monsieur blanc qu’elle avait entendus, des mots qu’elle comprenait bien, qu’il avait beaucoup répétés, elle savait ce que ça voulait dire, et elle avait très peur.

 

« Dis Maman, tu vas pas mourir hein ? »

 

Maman la regarda d’un air surpris.

 

«Mais pourquoi tu demandes ça, Marine?

– Le monsieur en blanc… Il disait que tu allais mourir. Il te disait tout le temps ‘tu meurs, tu meurs’ avec un air méchant… Mais moi je veux pas que tu meures, Maman !»

 

Maman fit des gros yeux tout ronds et puis elle éclata d’un rire un peu mouillé en la serrant dans ses bras.

 

«Oh ma Marine ! Moi non plus, je ne veux pas que tu meures. Tu es la plus courageuse de toutes les petites filles ! »

 

Marine sourit dans les bras de Maman. Elle était contente. Elle ne savait pas vraiment ce que ça voulait dire, courageuse ; mais ça n’avait pas d’importance. Elle avait été drôlement forte, elle avait soulevé le dictionnaire et retrouvé Nounours et Maman. C’était sûr : elle aurait des bonbons.