Les Tournesols, écriture libre en 40 mn

On voit des choses étranges au quotidien parfois. Des petits détails qui pourraient sembler anodins, mais qui pourtant sont une source inépuisable d’histoires pour quiconque a une imagination un peu active.
On croise des gens et des choses qui n’ont aucun nom pour nous, aucun rapport avec nous, mais qui par leur allure nous en disent bien plus sur eux qu’une simple conversation le ferait.

J’ai par le passé croisé une amoureuse éplorée, abandonnée par celui qui lui avait donné rendez-vous. Habillée très élégamment pour l’occasion, elle tenait à peine debout sur des talons dont on voyait qu’elle n’avait pas l’habitude. Je discutais avec un ami sur les marches de la fontaine près de la Part Dieu, et elle était face à nous, attendait. Au bout d’un moment, elle s’est assise. Elle attendait toujours. Elle avait petite mine. Nous nous sommes demandé si nous devions aller la voir, lui parler. Nous ne l’avons pas fait, peut-être aurions-nous dû. . Elle a mis la tête dans les mains, a paru sangloter un moment. Puis est repartie.
Maintenant, je crois que je regrette de ne pas lui avoir parlé.

J’ai par le passé croisé une jolie Anglaise touchée par la chance. Dans le métro, un trèfle à quatre feuilles à la main (mais où avait-elle trouvé un trèfle à quatre feuilles au milieu de Lyon ?), un sourire sur les lèvres. Je l’ai admirée de loin.

La semaine dernière, j’ai rencontré un roi déchu. Le visage fier, un peu sévère, bien marqué, des yeux lumineux et un regard captivant, mais vêtu de vêtements très pauvres, et d’un manteau en bien piteux état, aux couleurs ternes et qui n’avait plus de forme. C’était une personne fascinante, le genre de personne qu’on pourrait imaginer sur un trône, mais dont la tenue laissent penser qu’on sera finalement plus à même de le retrouver sous un pont. Un fier monarque destitué, qui aurait tout perdu pour finalement devoir se résoudre à mener la vie du commun des mortels. Et prendre le bus en même temps que moi. J’avais un livre dans les mains ; en une demi-heure de trajet, j’en ai lu deux pages. Le reste du temps, je le dévisageais, et je laissais vagabonder mon esprit.
Une fois n’est pas coutume, en descendant du bus, je lui ai adressé la parole, pour lui dire ma fascination et mon admiration. Une métamorphose a eu lieu devant moi : son visage s’est détendu, et s’est illuminé. C’est fou comme un sourire peut transformer une personne…
Je ne sais ni son nom ni qui il est réellement, mais je garde ce souvenir comme celui de ma première rencontre avec un roi.

Et pas plus tard que ce matin, alors que j’attendais le tramway, une fille est passée. Pas vilaine, pas non plus un canon de beauté. Assez banale en somme, suffisamment pour que je ne me souvienne plus vraiment de sa tête. Son écharpe m’a marquée, une jolie écharpe violette qui faisait écho à la mienne. Mais ce détail-là n’est pas celui qui a nourri mon imagination.
Mes yeux se sont posés sur elle comme ils se poseraient sur n’importe quel passant, puis se sont tournés vers le bouquet de tournesols qu’elle avait à la main. Orange et flamboyant, on ne voyait que les fleurs qui dépassaient d’un papier vert, mais cela suffisait à attirer le regard.

Des tournesols à cette période de l’année, voilà qui était assez peu commun. Sans doute en trouve-t-on chez les fleuristes, ou peut-être à la campagne, dans les champs. Mais dans la grisaille de la ville, dans un matin plutôt froid et tristounet, un seul tournesol suffisait à créer l’effet d’un rayon de soleil. Alors un bouquet entier ! C’était le printemps, l’été qui revenait, une promesse de canicule dans trois fleurs et demie…

L’image m’a fait sourire. Je me suis imaginée une dame Nature, emmitouflée dans une écharpe et un manteau banals, qui tente de faire régner à nouveau ses droits dans une ville un peu trop terne. L’image a grandi dans mon esprit. Sous ce manteau, sa peau serait brillante et rayonnante comme le soleil qui se lève un matin de printemps, toute douce comme les feuilles sous la rosée, elle irradierait une légère lumière verte et diffuserait un parfum de fleur. Une fée camouflée sous un manteau de ville, qui attend son heure.

C’est fou comme l’imagination peut aller loin en suivant ces petits détails qui, finalement, sont assez communs.

Je ne sais pas exactement quelle était l’origine de ces fleurs, ni leur but. Les avait-elle achetées pour offrir ? Pour se les offrir ? Un anniversaire, un remerciement… Un futur mariage ? (Mais qui se marierait par un temps pareil ?) Ou alors venait-on de lui offrir ? Un petit-ami, une copine, par amour, pour une occasion particulière…
Je n’ai pas cherché à savoir. Elle est passée, a filé, je n’ai même pas vu son visage de près ; elle était sur l’autre trottoir.
J’ai juste vu ces tournesols qui me sont restés dans la tête, et je me suis dit que voir une fée, de bon matin, quand on s’est un peu levé du pied gauche et qu’on est en retard, ça n’est finalement pas une mauvaise manière de commencer la journée.

Published byLia

Hobbite berserk à la plume acérée, aubergiste itinérante, éleveuse de peluches, geekàlunettes, mélomane, linguisticomane et psychocentrée : tant de centres d'intérêts, si peu de temps.

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