Gustave

”Où on va ?“, demanda Gustave en articulant à peine entre deux mastications.

”Tu as encore ces horreurs dans la bouche ? Tu sais que je déteste ça, Gustave ! Tu as l’air d’un rongeur mal éduqué.“

Gustave haussa les épaules, replongeant la main dans le petit sachet de graines salées qu’il avait acheté avant de la retrouver. Ses commentaires ne l’inquiétaient plus, il avait appris à y être indifférent. Elle était comme elle était, après tout. Il savait composer avec ce caractère.

Son indifférence affichée sembla toutefois irriter et fâcher l’autre.

”Gustave ! Dépêche-toi, il commence à pleuvoir… Ah, lâche donc ces cochonneries !“

Il sentit en effet quelques gouttes lui tomber dessus alors qu’elle revenait vers lui à grands pas, avant de lui arracher le sachet des mains d’un geste furieux et de le jeter par terre sans cérémonie, puis de repartir promptement sans même lever les yeux vers lui.

”Allez ! On va être en retard !”

Gustave jeta un regard désolé vers les graines salées éparpillées sur la terre du bord de route, avant de reprendre la suite de l’autre qui, marchant d’un bon pas, était déjà quelques mètres devant.

Tant pis pour les friandises. Ce n’était pas très important.
Elle n’avait pas répondu à sa question, mais même s’il ne savait toujours pas où il allait, il savait au moins avec qui.

***

Gustave courait le long de la route, une baguette de pain sous le bras. Il fallait qu’il se dépêche ou le pain allait être trempé et il ne voulait pas imaginer les remarques qu’il allait recevoir. Fichu temps ! Cet automne était vraiment interminable.

Il repéra le coin où ils étaient passés tous les deux avant d’arriver à la maison qu’ils avaient visitée ensemble. Finalement, ils ne l’avaient pas prise, c’était une vraie ruine, mais l’idée avait fait son bonhomme de chemin et elle l’avait convaincu d’en visiter une autre. Cet après-midi. Il verrait bien.

Il passa rapidement sans regarder autour de lui. Tout à sa course de slalom entre les grosses gouttes de l’orage d’octobre, il ne remarqua pas la fine pousse qui devait avoir percé le carré de terre il y avait peu, aidée par les éléments.

***

Gustave marchait seul le long de la route. Cette fois-ci, c’était la dernière. Il trainait sa valise derrière lui, sans jeter un regard en arrière. Il y avait longuement réfléchi, repoussé l’échéance, en se disant ”ça va pour cette fois“…
La valise était prête depuis des semaines, mais il repoussait toujours. Après tout, ce n’était pas si grave, ça ne justifiait pas qu’il la prenne et parte.
Mais cette fois-ci, c’avait été la goutte d’eau en trop. Il y avait eu des cris, et puis elle ne l’avait pas cru quand il lui avait annoncé son départ, valise à la main, dans l’entrée de leur nouvelle maison. Elle s’était moqué de lui avant de l’inviter à venir se mettre à table au lieu de faire des gamineries.

Il faisait toujours ce temps de chien, un hiver aussi moche que l’automne! et il devait marcher. Ce n’était pas très agréable de se retrouver seul, dehors, sous la pluie et sans abri. Il ne savait pas trop où il irait, mais il avait repéré une auberge de jeunesse après être passé plusieurs fois devant. Pour ce soir, ça irait.

Alors qu’il repassait sur ce fameux bord de route qu’elle lui avait tant de fois fait arpenter dans la quête d’un nouveau logement, un détail attira son regard. Un éclat, tranchant le gris environnant.
Jaillissant du sol, les feuilles trempées par la pluie et tournées vers un ciel maussade, un tournesol s’affichait, sa large fleur semblant provoquer toute la grisaille qui l’entourait par la vivacité de son jaune.

Pris de cours par ce miracle né de la volonté des éléments, Gustave éclata de rire, le coeur soudain plus léger.

Peu importait les quelques certitudes qu’il avait laissées en chemin ; il avait retrouvé le soleil.