« Tu réfléchis trop. »

Depuis toujours, j’ai l’impression qu’à chaque fois que je fais part de mes souffrances et de mes doutes, il y a tout le temps quelqu’un pour me dire « tu réfléchis trop », ou « arrête, tu te prends trop la tête » ou encore « tu as trop de temps pour réfléchir. »
Je ne compte pas combien de fois par semaine j’entends ça. C’est vraiment récurrent, permanent, ça arrive toutes les fois où je parle de mon malaise à quelqu’un. Alors j’aimerais faire un petit article pour que les gens comprennent plusieurs choses.
1. Avoir moins de temps pour réfléchir ne fonctionne pas.
J’ai essayé. J’ai tenté de booster mes activités, être plus productive, faire les choses les plus satisfaisantes possibles pour ne plus avoir le temps d’y penser.
Ça ne fonctionne pas.
Je réfléchis tout autant, juste pas aux mêmes moments. Le temps que je n’ai plus pour réfléchir en journée, je le récupère la nuit et ça me prive de sommeil.
Et sans sommeil, je suis encore plus prompte à m’enfermer dans mes pensées.
Et ce, jusqu’à finir par disjoncter complètement. Déjà vu.
2. J’en ai conscience…
Je crois que je suis la première à me rendre compte d’à quel point je brasse dans le vide, paumée dans un labyrinthe que je crée moi-même et qui n’a pas d’issues.
Je suis très lucide sur les méandres que je me force à arpenter et c’est un cauchemar. Parce que du coup j’ai parfaitement conscience qu’il n’y a pas d’issue. Et j’agis en conséquence : je me dis que je ne dois pas m’enfermer. Alors je cherche pourquoi je m’enferme, pour essayer de sortir et ne plus jamais me retrouver coincée. Et là, en fait, je me retrouve encore plus coincée et encore plus triste : je réalise que je ne peux pas sortir de cette manière…Mais en général, c’est déjà allé trop loin.
3. …mais je ne peux rien y faire, concrètement.
Il y a savoir et réussir à mettre en application, tout comme quand je suis parfaitement capable de vous dire quel côté est la gauche et quel côté est la droite, mais dans le feu de l’action, je me retrouve à guider quelqu’un en lui disant qu’il doit tourner à gauche alors que je parle de la droite (et c’est très clair dans ma tête). Je confonds les mots comme je confonds les émotions.
Le fait est que même si j’ai conscience que ma foutue caboche est à nouveau en train de me monter un plan foireux dans le crâne et que tout ça va immanquablement se terminer en cercle vicieux, je ne peux pas l’éteindre comme on éteindrait un ordinateur avant d’aller au lit.
Ce n’est pas faute d’en mourir d’envie. Souvent je me prends de rêver à un coup de marteau sur le crâne ou un anesthésiste personnel.
Ce n’est pas un hasard si j’aime autant me réfugier dans le sommeil. J’adore quand ma caboche se crée des rêves dans lesquels je n’ai qu’à vaguement suivre l’histoire, ramasser ce qui vient sans avoir à gérer des pensées.
Mais dès que je me réveille ça revient en masse. Souvent, je suis plus positive après avoir dormi. Mais ça n’empeche pas que je réfléchis, encore et encore, et encore et encore, et…
Je ne le fais pas exprès, je ne demande rien à personne.
Ça me tombe dessus.
Donc oui, je suis au courant que j’intellectualise trop
Je rationalise tout.
Je ne le fais pas pour le plaisir. J’ai conscience de ça. J’essaie d’arrêter. J’essaie vraiment, mais je n’ai jamais les bonnes méthodes et souvent ça me fait encore plus mal, et je ne sais pas comment en sortir, alors je cherche et c’est encore pire.
Souvent je m’évade dans autre chose, la lecture, le jeu (des kilomètres de solitaire au compteur, pour me laisser suffisamment braindead pour que je dorme). D’autres fois j’écris pour évacuer, jusqu’à m’épuiser et tomber de moi-même. Mais surtout j’en parle, parce que j’ai besoin d’en parler.
J’apprécierais juste que les gens à qui j’en parle ne me disent pas systématiquement que je réfléchis trop quand j’exprime un doute, une crainte, un malaise. J’en souffre.
Bien sûr, vous avez sans doute raison, comme ceux qui me disaient l’an passé « il faut que tu te poses » parce que je courais partout, tout le temps (-> notamment pour ne pas avoir le temps de réfléchir, donc).
Je me suis posée, beaucoup de choses vont mieux, et maintenant ma tête tourne bien, et trop aussi.
Cependant, quand vous me dites « Tu réfléchis trop, arrête d’intellectualiser, ne te centre donc pas tant sur ta personne », c’est un peu comme si vous disiez à quelqu’un qui est en train de se noyer « Ben t’es con, apprends donc à nager ! »
C’est trop tard pour apprendre à nager. Et si je me débats pour essayer de nager, je coule encore plus.
T’es bien gentille à nous faire des reproches mais tu veux qu’on te dise quoi, au juste ?
En cas de noyade, la seule manière de me sauver, c’est de me parler d’une voix douce pour que j’arrête de me débattre et que mon corps puisse flotter.
Autrement dit, me changer les idées, me lancer dans d’autres choses. Ou alors m’écouter, même. A partir de là, je réussis à dormir et tout va un peu mieux le lendemain — à moins que je ne fasse que me mentir à moi-même quand le matin vient.
Mais là, ces derniers temps, il y a toujours quelqu’un pour m’enfoncer la tête sous l’eau.
Et ça m’énerve.
Arrêtez.