Le jeu de mots passe moins en français. Mais il me fait ricaner, alors je le garde.
As, « ace » comme disent les anglophones, c’est le petit nom que se donnent parfois les asexuels. Je trouve ça plutôt mignon, alors je l’adopte.
Il y a déjà plein d’articles sur l’asexualité, tant et si bien que je me suis vraiment demandé s’il était vraiment nécessaire que j’en écrive un de plus. Et puis il s’est avéré qu’en fait, je recevais souvent des questions sur le sujet, et un rapide sondage a mis en avant que finalement, l’article, ça vous intéressait bien.
J’inaugure donc le premier article de ce blog que je fais pour vous et non juste pour moi. Je suis obligée de souligner que c’est un sujet assez lourd pour moi. Vous avez l’habitude de me voir aller au fond des choses, de décrire, de préciser, de prendre des exemples, d’écrire avec mes tripes. Pour cette fois, je me paie le luxe de me « déconnecter de mes émotions », parce que ça m’empêcherait de vous expliquer ce que je veux expliquer aujourd’hui.
Cet article risque donc d’être un peu plus sec que les autres, mais j’espère qu’il vous permettra de comprendre un peu mieux ce qu’est l’asexualité. Ou du moins, mon asexualité.
Il me semble important de commencer par là : tout ce dont je vais parler correspond à ma manière de le vivre. Je n’entends pas me faire porte-parole de tous les asexuels. Ne prenez pas tout pour des généralités. Si vous avez des doutes, face à une personne asexuelle, posez-lui des questions, afin de ne pas dire « Mais Lia a dit que… » : on a tous nos manières de vivre les choses. Voilà la mienne, et il est vraiment important de rappeler que je ne prétends pas parler au nom de tous.
Je vais ouvrir avec un petit point lexical : je vois souvent en ligne la confusion entre asexuel et asexué. Attention, je ne suis pas asexuée. A priori, je suis un individu de sexe féminin (mon genre, lui, restant néanmoins à définir, mais c’est une autre question). Par contre je suis asexuelle. Et là, ça y est, c’est le moment où je retrousse mes manches pour entrer dans le vif du sujet.
C’est quoi, cette asexualité avec laquelle je vous bassine depuis des lustres sur Twitter ou dans mes conversations ?
Dans mon cas, ça veut dire que je n’ai pas de « besoin » sexuel. Et très peu voire pas d’ « envie ». Je n’ai pas non plus la nécessité de me sentir désirée sexuellement. Je ne comprends pas pourquoi les gens font un tel cas du sexe. Pour moi, ça ne s’inscrit juste pas dans ma vie.
Je contre directement la première remarque qu’on me fait quand je présente l’asexualité : non, ça ne veut pas dire que « je suis frustrée /frigide/ne sais pas prendre mon pied ». Ne vous en faites pas. Comme tout le monde j’ai fait mes expériences, découvert ce qui marchait pour moi (et ce qui ne marchait pas), compris mon corps, et suis tout à fait en mesure de prendre du plaisir, merci de vous en soucier.
Ça veut juste dire que, concrètement, le sexe est une activité comme une autre, et que je préfère vachement lire un livre, en vrai. Ben oui, on va pas me forcer à me mettre au tricot si je n’y vois aucun intérêt, non ? Pareil pour le sexe.
Je ne me masturbe pas ; je ne l’ai jamais fait. Je n’en vois pas l’intérêt. Pourtant j’ai longtemps complexé pour ça, parce que « tout le monde le fait ».
Je suis par le passé rentrée dans des jeux de séduction par pression sociale et par mésapprentissage : on nous fait croire que nous n’existons que si des gens nous désirent.
Je suis contente d’être revenue de tout ça. Je n’y joue plus que si je m’amuse vraiment, et autant vous dire que ce n’est qu’avec des personnes bien spécifiques dont je suis sûre qu’elles savent exactement comment je fonctionne. J’ai appris à ne plus me mettre en danger. On s’amuse très bien sans se mettre en danger, même beaucoup plus. C’est quand même vachement mieux de ne pas faire les choses sous la contrainte !
A priori, je suis « comme ça ». Il m’a fallu du temps pour l’accepter : ce n’est pas tout à fait ce qu’on vous apprend. Je me suis sentie monstre, inutile, sans valeur, simplement parce que je ne comprenais pas l’intérêt de parler de cul, parce que je frustrais mes conjoint.e.s, parce que quelqu’un qui me désire me met atrocement mal à l’aise.
Forcément, ça soulevait des questions. Est-ce que c’était dû à mon rapport au corps tellement détaché ? Est-ce que c’était dû à une vague éducation un poil tradi (« beurk le sexe c’est sale ») ?
J’imagine que ces choses-là m’ont confortée dans ce que je suis, mais non, on dirait bien que j’ai été « comme ça » dès le départ.
Le malheur c’est que j’ai essayé d’aller à l’encontre de ça, pour suivre ce qu’on m’avait appris. Ça m’a causé beaucoup de problèmes… entre ceux qui m’ont dit « Je vais t’apprendre à aimer ça », ceux qui m’ont dit « Tu n’es qu’une égoïste/Je me sens mal par ta faute », et les professionnels qui m’ont dit « Perte de libido, vous êtes malade » avant de me renvoyer de spécialiste en spécialiste.
Je n’ai encore jamais rencontré personne qui avait exactement la même asexualité que moi, mais j’ai eu la chance, avec le temps, de rencontrer d’autres asexuels, et de me dire qu’on était plusieurs à être « comme ça c’est tout », et que c’était pas un mal, en fait !
« Mais alors, pourquoi tout ce foin ? Si c’est normal, c’est quoi, le problème ? »
J’ai souvent eu ce genre de réactions de gens qui ne comprennent pas le besoin d’en parler. J’ai du mal à les blâmer : ça paraît tellement simple quand c’est bien expliqué, c’est vrai quoi, personne ne va aller fouiller dans notre sexualité, qu’est-ce qu’on em… le monde avec ça, on ne court pas après les rapports sexuels un point c’est tout !
Pas si simple, malheureusement. Si dans la théorie ça pourrait très bien marcher comme ça, dans la pratique il s’avère que nombreux sont ceux qui mettent le nez dans notre sexualité sans demander.
Il y a les soi-disant spécialistes mentionnés plus haut. Ceux qui te font comprendre que le problème c’est toi, que tu ne fais pas assez d’efforts, ou alors que tu es malade parce que ne pas vouloir de sexe est une maladie. Dans mon cas, il y a eu un médecin généraliste, une gynéco et deux psys, comme ça.
Il y a les psychologues de comptoir et les cons, aussi, des fois… Je n’ai pas fait de captures d’écran, mais j’ai souvenir de quelques perles dans mes DM à l’époque où j’avais pris la parole sur le sujet. J’étais « égoïste », « nihiliste » car je « refusais de perpétuer la race humaine ». Rien que ça !
(De toute façon, envie ou pas, je refuse de « perpétuer cette sacrosainte race ». Si j’ai un rôle sur cette Terre, ce n’est certainement pas celui-là. Mes entrailles s’émeuvent plus d’une pièce de technologie avancée que d’un enfant, mes pulsions maternelles sont essentiellement liées aux choses que je crée, et le monde dans lequel nous vivons n’a pas besoin de voir plus d’enfants souffrir).
Il y a les films hollywoodiens, les livres, même les publicités maintenant, toutes les démonstrations de corps hypersexualisés qui nous rappellent qu’on devrait absolument vivre avec le sexe, nous forcer, en permanence, parce que sinon nous ne sommes pas normaux. J’en suis venue à boycotter les œuvres culturelles dans lequel la sexualité était représentée de manière « gratuite ». Dommage si ça avait l’air bien, mais ce ne sont pas les autres films, livres, séries, jeux… qui manquent.
Il y a les conjoint.e.s qui ne comprennent pas forcément que « non, pas ce soir », ça peut être « non, aucun soir », parce qu’on les a « habitués à mieux ».
Avec de la discussion, ça passe. Mais un asexuel avec un sexuel, en relation, ça peut vite devenir un enfer. Parce que d’un côté il? y a celui qui ne se sent plus désiré, qui ne trouve plus de spontanéité dans son couple, et qui a parfois l’ego à la dérive à cause de ça. De l’autre, il y a celui qui a l’impression que chaque invitation devient un harcèlement (parfois, c’est le cas d’ailleurs).
Et d’un côté comme de l’autre, les compromis sont extrêmement complexes à trouver. D’autant que l’expérience a prouvé que tout « je comprends, tu es comme tu es, ça ne nous empêchera pas d’être heureux » peut très vite devenir un mensonge.
Si c’est le cas, partez. N’attendez pas que cela tourne au vinaigre. Votre intégrité physique compte encore plus que votre amour de l’autre –un amour qu’il n’est peut-être même plus capable de vous rendre. Sachez vous écouter et être honnêtes avec vous. Ne vous mettez pas en danger.
Alors on pleure et on espère que la prochaine fois, on tombera sur un asexuel. Ou au moins sur quelqu’un d’ouvert d’esprit. Ou alors on se promet qu’il n’y aura plus de « prochaine fois » et c’est le déchirement de ne pas pouvoir avoir cette relation qu’on veut… « juste à cause du sexe ». Une chose si triviale et ridicule que tout le monde voudrait élever au rang d’indispensable et sacré.
Ça ne veut pas dire qu’il n’y a aucune solution : l’asexualité dans un couple, ça peut bien se vivre. Mais c’est la promesse que ça va être compliqué.
J’ai déjà vu des gens dire qu’ils sont « devenus asexuels après un traumatisme ». Ça me laisse perplexe. On ne devient pas homosexuel après un traumatisme, si ?
La pente est savonneuse, je préfère ne pas plonger là-dedans, mais je pense que ce genre de propos vient du fait que beaucoup confondent la phobie sexuelle et l’asexualité.
L’un peut aller avec l’autre, remarquez. J’ai développé avec le temps une véritable phobie sexuelle, simplement à cause de la pression liée à la sexualité. Les violences sexuelles, certaines découlant directement de « Je vais te soigner », ne m’ont pas aidée.
J’ai souvent des mauvaises surprises. Je coupe certains films et referme certains livres nausée au ventre, en sachant pertinemment que je ne pourrai plus jamais les reprendre. Les « voisins indélicats », comme on dit, m’ont souvent posé problème, encore maintenant. Il m’est arrivé de finir la tête dans la cuvette plus d’une fois, à vomir mes tripes tant la réaction à certaines informations est violente. J’évite les grosses fêtes où je risque de voir des gens qui « s’emballent ». Je m’assure de ne pas être seule si je dois me mettre en situation compliquée, dans les festivals ou en camping par exemple. J’essaie de me protéger un maximum.
Pour bien clarifier la différence entre phobie sexuelle et asexualité, donc :
- Ma phobie sexuelle vous dit « Par pitié, n’ayez pas envie de moi, ça me terrorise »
- Mon asexualité vous dit « De toute façon, il n’y a environ aucune chance que j’aie envie de vous ».
La phobie sexuelle, comme toutes les phobies, est handicapante. Mais l’asexualité, elle, ne devrait pas l’être. Elle est normale.
Chers asexuels, vous avez le droit d’exister. Vous n’êtes pas malades –ou alors vous pouvez l’être mais votre asexualité ne découle pas d’une maladie. C’est comme ça et vous vivez votre (a)sexualité comme vous le souhaitez. Personne n’a le droit de vous dire ce que vous devez faire dans l’intimité.
Et chères personnes qui se posaient des questions sur l’asexualité, j’espère avoir pu y répondre, même si j’ai conscience que le sujet est trop vaste pour en faire un tour complet. N’hésitez pas à poser vos questions si vous en avez.
En attendant, voilà. Je suppose que cet article est aussi mon coming-out pour ceux qui n’étaient pas encore au courant, mais ce n’est pas vraiment quelque chose que je cache. Je le brandis, parfois agressivement, parce que j’existe moi aussi, je ne suis ni malade ni un monstre. On a essayé de réparer chez moi quelque chose qui n’était pas cassé, on a essayé de me punir, de me convaincre que j’étais dans le tort. J’en chie toujours au quotidien, dans mes relations, et parce que la phobie sexuelle est toujours aussi complexe à gérer. On ne dit pas facilement aux gens pour qui c’est parfaitement normal que « non, là, ce sujet, ça ne va pas le faire, on va changer sinon je vais devoir aller vomir. » Surtout que la phobie ne se manifeste pas tout le temps, et qu’on devient vite « rabat-joie imprévisible ».
J’espère avoir fait le tour de la question. Pas simple à rédiger, cet article ! D’habitude je pars d’un point précis que je développe, mais là, le sujet est vaste, et en même temps très personnel. J’ai l’impression que tout est confus et désorganisé, mais le sujet m’angoisse tellement que je ne me sens pas de faire des passages, encore et encore, pour toujours corriger. Je l’éditerai sans doute, d’autant que j’ai peut-être oublié des choses… N’hésitez pas à me le faire remarquer si c’est le cas. Je pourrai faire des ajouts ou vous répondre dans les commentaires.
Si vous souhaitez vous renseigner sur le sujet avec un peu plus que ce témoignage maladroit, il y a pas mal de ressources mieux fichues sur internet également :
- Le super post de Belinda-Georges sur le sujet, qui m’a décidée à en parler aussi (et en plus elle cite France Gall)
- Le blog Asexualité-s qui regroupe des définitions, des articles poussés et des réponses à des articles traitant le sujet de manière incorrecte/incomplète (on y trouve aussi toute une catégorie Aromantisme. Etant plutôt du genre polyromantique, je ne pourrai pas vous en dire plus sur le sujet, mais il est bon de se renseigner car oui, tout ça existe)
- Le site de l’Association pour la Visibilité Asexuelle qui fait beaucoup de bien rien que par son existence.
Et en conclusion… Je ne suis ni malade ni frigide, je ne suis pas une fainéante ni un mauvais coup, je ne suis pas frustrée, égoïste ou mal baisée.
Je suis juste asexuelle. J’existe. Nous existons. Nous n’avons pas envie de vous. Et ça, société, il va falloir l’accepter. Et arrêter de foutre ce foutu sexe au centre du monde.